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Quatre départements témoignent des disparités de l'aide sociale à l'enfance

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Bizarrement, bien qu'il porte sur l'aide sociale à l'enfance  (ASE) - l'un des sujets de prédilection de Ségolène Royal -, ce document n'a fait l'objet d'aucune publicité de la part de la ministre déléguée à la famille. Elle a même choisi de l'ignorer, lui qui, en pointant les disparités liées à la décentralisation, pourrait fâcher l'Assemblée des départements de France.

Pourtant le rapport de Contrôle de quatre services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, bouclé en mai par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), - et que les ASH se sont procuré - mérite le détour. C'est la première fois que cette administration, qui a gardé le contrôle de l'ASE, exerce sa prérogative depuis la décentralisation. Passant à la loupe quatre départements, elle apporte donc un éclairage détaillé des efforts et des ratés dans la gestion des services confiée aux conseils généraux. Donnant, sur bon nombre de points, une épaisseur aux plaintes que les professionnels s'échinent, sans grand succès, à faire remonter du terrain.

Certains ne manqueront pas d'objecter que cette analyse ne fait que conforter, dans ses grandes lignes, celle de Pierre Naves et Bruno Cathala sur Les accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents, commandée par Ségolène Royal (1). Mais ce serait une grave erreur d'analyse. Pierre Naves et Bruno Cathala, dans un rapport juste et plutôt consensuel, répondaient (par la négative) à une question politique soulevée sous la pression d'ATD quart monde : l'augmentation des placements est-elle liée à la seule misère financière des parents ? Ici, l'IGAS effectue une mission classique de contrôle dénuée d'enjeu politique. Et après les déclarations ambiguës de Ségolène Royal entretenant la confusion ASE-placements d'enfants dans l'opinion publique (2), ce document a le mérite de rappeler que les choses ne se résument pas à un tel raccourci. Et que la seule diminution du nombre de placements - objectif affiché par la ministre - ne peut tenir lieu d'une politique de l'enfance impliquant un renforcement des moyens et un rôle de garde-fou de l'Etat plus affirmé.

Pour en revenir au rapport, la mission a visité, entre mai et décembre 1999, le Bas-Rhin, l'Essonne, l'Eure et la Gironde, sélectionnés « pour leurs problématiques diversifiées » (3). Certes, comme l'indiquent les rapporteurs, leurs constats « ne sauraient être généralisés tels quels à l'ensemble des départements ». Ils donnent néanmoins des tendances à affiner ou nuancer.

L'IGAS reconnaît d'abord « les efforts significatifs » réalisés par les départements sur certaines modalités de recrutement et de suivi des assistantes maternelles, les circuits de signalement... La mission note encore la mobilisation des professionnels et des innovations en matière de tarification ou d'adaptation de l'équipement social.

L'urgence comme stratégie

Toutefois, le pilotage des services reste insuffisant :l'ASE apparaît comme un service relativement excentré vis-à-vis du pouvoir politique et de la direction générale des services. Avec le risque d'être « davantage alimentée au quotidien par l'urgence sociale que par la déclinaison d'une stratégie départementale ». De fait, l'activité se résume plutôt à la gestion de multiples dispositifs juxtaposés. Seuls le Bas-Rhin, en 1991, et la Gironde, en 1997, se sont dotés d'un schéma départemental de l'enfance. Dans l'Essonne, il était en cours d'élaboration au moment de la mission et dans l'Eure programmé pour 2001. Situation « représentative de l'inapplication préoccupante de la loi de 1983 dans nombre de départements ». A cela s'ajoute un manque de suivi de l'activité, des outils d'évaluation peu performants ou inexistants, et une commande publique « insuffisamment exigeante ». Enfin, l'organisation administrative des quatre conseils généraux n'est toujours pas stabilisée et s'appuie sur une coordination (interne ou externe) peu formalisée.

Pas question néanmoins de faire porter le chapeau aux seuls conseils généraux. Parallèlement, l'administration centrale s'est « désengagée de l'aide sociale à l'enfance au lieu de développer des outils d'évaluation ou des référentiels de bonnes pratiques qui font aujourd'hui défaut au secteur », constate l'IGAS. Laquelle revient sur l'outil statistique éclaté et obsolète, les faiblesses de la psychiatrie infanto-juvénile, la pauvreté endémique des moyens des tribunaux pour enfants, malgré la judiciarisation croissante. Ainsi les délais de traitement des signalements par la justice dépassent souvent trois mois. Et il n'est pas rare que le délai global de cheminement (depuis l'évaluation par les services départementaux) soit supérieur à un an.

Les pratiques « soulèvent des interrogations et des inquiétudes », juge la mission. D'abord, les dispositifs sont saturés. Avec, par manque de postes éducatifs, des files d'attente dans le Bas-Rhin (64 mesures en attente au service de protection des mineurs au 17 septembre 1999), l'Essonne (250 mesures en attente de manière chronique) et l'Eure (4). Conséquences : un nombre de mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) par éducateur très élevé dans le Bas-Rhin et l'Eure : 40, voire plus. Et une interrogation : comment effectuer un accompagnement social de qualité ? Dans l'Essonne, ce chiffre varie de 24,5 à 30. Seule la Gironde a fixé une norme départementale de 28 mesures par éducateur. A cela s'ajoute le manque de places en établissement et chez les assistantes maternelles. Ce qui s'explique, selon l'IGAS, moins par une carence de l'offre que par son inadaptation aux fratries et aux adolescents ou aux enfants présentant des troubles du comportement.

Des inégalités de traitement

Autre inquiétude : les fortes disparités de moyens, source d'inégalités pour les usagers. Les dépenses directes ASE par habitant de moins de 21 ans (1997)  passent ainsi du simple (1 244 F dans l'Eure, 1 507 F dans le Bas-Rhin) au double (2 523 F dans la Gironde). Un écart particulièrement prononcé en matière de prévention : par habitant de moins de 21 ans, l'effort varie de 105 F (Eure) à 461 F (Gironde). Par ailleurs, si les personnels sont fortement sensibilisés à la prévention de la maltraitance, les capacités de pilotage et de suivi de l'enfance en danger sont très insuffisantes. Ce qui provient, dans trois des quatre départements, des relations difficiles avec l'autorité judiciaire. « Au total de réelles interrogations subsistent quant à l'aptitude du dispositif actuel de signalement à assurer, à organisation et à moyens inchangés, la protection efficace des enfants présumés en danger », s'inquiète l'IGAS. Qui pointe la constitution d' « une zone grise administrative où des enfants réputés en danger peuvent ne plus systématiquement être suivis par les services sociaux des départements, ceux-ci ayant transmis le dossier aux parquets sans pour autant que la justice, trop encombrée, ait pris le relais ».

L'IGAS relève également les difficultés des départements à remplir l'obligation d'accueil d'urgence des mineurs et des mères isolées avec enfants : des locaux souvent « peu adaptés, voire nocifs », malgré des « innovations intéressantes » dans la Gironde et dans l'Essonne. De plus, la prise en charge des adolescents délinquants ou pré-délinquants est souvent l'objet de conflits avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse.

Par ailleurs, les aides financières ne sont guère articulées avec la prévention, sauf dans l'Eure où l'instruction des demandes fait apparaître les démarches en cours ou à engager pour la famille. Enfin, les interventions à domicile restent insuffisamment développées et les instances de représentation des usagers, « alors même qu'il s'agit d'un domaine où sont en jeu les destins individuels et familiaux de publics fragiles », sont totalement absentes.

Autant de constats qui amènent l'IGAS à formuler une série de recommandations visant à renforcer « la veille sociale » de l'Etat (par la constitution d'un tableau de bord national) et garantir « la cohérence de la prise en charge » de l'aide sociale à l'enfance. Elle réclame aussi des mesures contraignant les départements à respecter « la règle du jeu collectif » en introduisant, par exemple, des délais de réalisation des schémas départementaux.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.

(2)  Voir ASH n° 2215 du 18-05-01.

(3)  L'échantillon comporte des départements qui présentent une forte amplitude en termes de niveaux de dépense par habitant à population comparable (Bas-Rhin, Gironde), ont une dominante rurale (Eure) ou urbanisée (Essonne). La mission s'est appuyée à la fois sur des entretiens avec l'ensemble des personnes concernées, des visites de services et d'établissements et l'examen de plus de 400 dossiers d'enfants admis à l'ASE.

(4)  Au niveau national, le ministère de la Justice estimait (début 1999) à 7 000 le stock de mesures d'AEMO judiciaires en attente.

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