Recevoir la newsletter

Immigrés : être père à distance

Article réservé aux abonnés

Arrivés seuls en France dans les années 50 et 60, à la demande d'un pays en mal de main-d'œuvre pour ses grandes industries, ils sont des centaines d'immigrés maghrébins ou africains à vivre encore dans les foyers créés pour eux. Ils n'ont jamais pu, ou jamais voulu, se réinstaller dans leur pays d'origine, ni faire venir leur famille. Ce sont pourtant des pères et des maris. Comment ont-ils vécu cette séparation d'avec leurs femmes et leurs enfants ? Et comment leurs familles ont-elles fait face à l'absence ? Une enquête, réalisée par un sociologue, Jacques Barou, à la demande de la Sonacotra (1) et du Comité français pour l'Unicef (2), tente de cerner la complexité de ces relations tissées dans l'éloignement.

Des liens familiaux distendus

Partis « pour le pain », ces hommes, originaires du Maghreb, du Mali ou du Sénégal, se devaient d'assurer un revenu à leur famille. Cet impératif financier a maintenu leur éloignement, distendant peu à peu les liens filiaux. Le sociologue, au fil des témoignages croisés de ceux qui sont partis et de ceux qui sont restés, montre comment les familles ont organisé l'absence du père. Celui-ci a délégué son autorité à son épouse, devenue « père et mère » ou à un autre membre de la famille. Petit à petit, le père n'est plus demeuré pour les enfants que celui qui donne de l'argent. « Quand je leur téléphone, raconte un Algérien de 55 ans, ils me parlent un peu de la pluie et du beau temps et puis, très vite, ils demandent de l'argent. » Mais c'est aussi, souligne Jacques Barou, à travers cette aide financière que les immigrés ont le sentiment de remplir leur rôle de père et c'est cela qui les dédouane de leur absence et de l'impossibilité d'assurer en conséquence un rôle éducatif plus concret. « Moi, j'ai toujours envoyé ce que je pouvais comme argent et je suis retourné régulièrement [au pays], témoigne un Algérien de 64 ans. Je ne les ai jamais oubliés. C'est pour ça qu'on est considérés, pas comme ceux qui ont oublié leur famille, leur pays. »

Aujourd'hui, ils ont plus de 50 ans en moyenne, et une famille d'au moins trois enfants - souvent beaucoup plus - à charge. Certains, malgré cette vie familiale marquée par la séparation, tirent un bilan plutôt positif de leur parcours : ils ont réussi leur projet - assurer à leurs proches un revenu satisfaisant - et l'éducation de leurs enfants restés au pays. Mais ce même parcours, lorsque les conditions économiques ne leur ont pas permis de disposer de ressources suffisantes pour faire vivre décemment leur famille, peut être vécu comme un échec. D'autres, enfin, regrettent de ne pas avoir demandé à bénéficier du regroupement familial lorsque c'était possible. Même si beaucoup affirment que c'est pour favoriser l'éducation de leurs enfants qu'ils les ont laissés au pays, les lois françaises accordant « trop de liberté » aux jeunes.

De la distance à l'incompréhension

De leur côté, les enfants, aujourd'hui adolescents ou jeunes adultes, parlent du manque souvent ressenti face à l'absence du père, mais aussi du détachement lorsque celui-ci, pour des raisons économiques, espaçait ses séjours au pays. « Quand j'apprenais qu'il venait, avoue une jeune Marocaine, j'étais contente certes, mais pour moi, c'était comme un étranger. Jamais, je n'osais rien lui demander. Il me ramenait des cadeaux, oui, mais c'est pas ça qui m'intéressait, je ne le sentais pas proche. » Avec l'éloignement, leur relation est souvent passée de la distance à l'incompréhension.

Que faire alors, s'interroge l'auteur de l'enquête, pour que « l'émigration des hommes seuls ne débouche [pas] pour les pères et les enfants sur des destins parallèles condamnés à évoluer sans jamais pouvoir se rejoindre ? » Il propose des aides au retour, au moins une fois par an, dans le pays d'origine, pour maintenir le lien père/enfant, ou une aide à l'éducation des enfants restés au pays, au nom de l'égalité des chances avec ceux qui ont bénéficié d'un regroupement familial et étudié en France. Car, en dépit de conditions très différentes, le cycle migratoire tend à se perpétuer. Certains enfants, en effet, continuent à s'exiler. Et bien souvent contre la volonté du père.

S.P.

Notes

(1)  Sonacotra : 42, rue de Cambronne - 75015 Paris - Tél. 01 40 61 42 00.

(2)  Le devenir des enfants d'immigrés demeurés au pays d'origine : regards croisés pères/enfants - Jacques Barou, chargé de recherches au CNRS - Disponible au Comité français pour l'Unicef : 3, rue Duguay-Trouin - 75006 Paris - Tél. 01 44 39 77 77.

LE SOCIAL EN ACTION

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur