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« Renommer la mesure de tutelle aux prestations sociales enfants pour mieux l'identifier »

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Serge Roche, président du CETT (1), plaide pour la reconnaissance de la spécificité du mandat de tutelle aux prestations sociales enfants  (TPSE). Il veut en finir avec l'image « d'une police des familles », quitte à rebaptiser la mesure.

« Gérer les paradoxes n'est pas la moindre des difficultés pour les travailleurs socio-éducatifs et cela peut participer à “leur malaise”. Il est sage et prudent du coup d'éviter les caricatures stériles et enfermantes. Je propose ainsi de ne pas opposer de façon simpliste les notions d'éducation et de contrôle, pas plus les notions d'aide et de contrôle. Le contrôle peut être défini comme l'exigence de prendre en compte les lois, les règlements, aussi imparfaits et provisoires soient-ils, ce qui éloigne le plus de l'arbitraire. L'effet de la décision judiciaire peut permettre de mettre en œuvre un travail de responsabilisation, car la responsabilité est un travail sur soi, un travail de prise de conscience qu'on fait avec les autres, grâce aux autres. Le cadre balisé du judiciaire prévoit que l'ensemble des protagonistes soient sous contrôle, ce qui devrait garantir le respect des libertés indivi- duelles.

Conviction partagée

Le mobile du contrôle doit s'affirmer dans un souci de recueillir des éléments de connaissance fiables, de s'assurer d'une prise en compte suffisante et opérante des données d'une situation, et non pour mieux sanctionner ou policer les adultes- parents. C'est dans la recherche d'un savoir partagé avec les intéressés que nous devons investir. Nos pratiques doivent évoluer le plus possible en fonction de la demande sociale et des évolutions du contexte socio-économique. Actualiser sans cesse nos connaissances, les mutualiser et s'autoriser à en débattre (les confronter) avec tous les acteurs facilite la gestion des paradoxes supposés, des antagonismes contre productifs, laisser à bonne distance certaines querelles prétexte à l'immobilisme ou la régression.

Nombres de travailleurs sociaux partagent une conviction :protéger l'enfant n'est pas contradictoire au fait de seconder le parent, si l'on veut bien considérer la famille comme instance structurante de la société et qu'elle demeure, à travers ces mutations, le premier lieu d'éducation et de socialisation. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales, a écrit récemment : “Les familles ne sont pas un problème à traiter, elles font partie de la solution.”

Si la mesure de tutelle est ordonnée dans l'intérêt de l'enfant, elle concerne obligatoirement toute la famille et vise à “satisfaire” les besoins de tous ces membres. Du reste, pour beaucoup de familles suivies, les prestations familiales représentent l'essentiel de leurs ressources. Dès lors, qu'en serait-il de l'usage des prestations aux besoins exclusifs des enfants ? Parler argent, budget, amène à évoquer le quotidien, les projets, les désirs, les aspirations et les confronter à ses moyens et à ses responsabilités d'assumer la charge d'enfants.

« Une  personne ressource » aux côtés des parents

Aider à la parentalité c'est souvent, concrètement, contribuer à des expériences positives de la relation parent/enfant : être partie prenante de projets d'inscription d'activités d'éveil pour les enfants, projets vacances parents-enfant, relogements, ameublements... Les parents témoignent souvent des difficultés, d'insécurités sociales ou de souffrances psychologiques, contredisant le statut de démissionnaire que certains leur prêtent.

Dans la réalité, les parents subissent souvent, avec leurs enfants, des conditions de vie matérielles difficiles. Ils ne les choisissent pas ou ne les imposent à leurs enfants, alors qu'eux-mêmes vivraient dans le confort. Car c'est essentiellement aux questions de précarité, d'insécurité, éprouvées par les membres d'une famille, auxquelles il faut répondre la plupart des fois dans nos missions d'intervention.

Le magistrat pour enfants peut, par sa décision, introduire un tiers, “une personne ressource” aux côtés des parents, afin de les mobiliser dans leur devoir de protection à l'égard de leur enfant, mais dans le même temps pour qu'on facilite l'accès à leurs droits ; en tout cas de pouvoir s'appuyer sur “un compagnon de route” pour qu'ils soient respectés. La spécificité du mandat de tutelle aux prestations sociales enfants  (TPSE) permet à l'intervenant d'être confronté, à travers les transferts d'argent (le service perçoit en lieu et place de l'allocataire les prestations familiales), au concret de la dynamique familiale. Il est en situation de grande proximité avec le contexte d'expression des difficultés, d'autant plus que cette intervention s'exerce principalement au domicile des personnes.

Un travail d'aide à la parentalité s'inscrit nécessairement dans la non-rupture de l'intervention pour instaurer un appui confiant. L'obligation de suivi, si ce n'est de résultats, inscrit dans le mandat judiciaire, semble répondre à l'intensité du soutien que requièrent certaines situations et le temps de l'intervention judiciaire est contractualisé, au sens où il est rythmé par des échéances avec un tiers magistrat, qui est là pour “veiller”.

La réactivité des dispositifs est primordiale

De mon expérience de travailleur social et responsable d'un service de TPSE, je peux témoigner des limites et des insuffisances du mandat judiciaire. Mais je pourrais aussi évoquer le caractère parfois trop aléatoire du mandat administratif pour assurer une réponse adaptée aux attentes des familles. Ce n'est pas rendre service aux parents que de construire des dispositifs de prévention et de protection cloisonnés, rigides et parcellaires. Ce qui me paraît le plus important pour favoriser un retour à l'autonomie des familles, c'est, en amont des interventions, la réactivité des dispositifs d'écoute, d'évaluation des plaintes des personnes à l'adresse de la société. “Il s'agit d'éviter de saisir la vie sociale au travers les particularismes des services” (Jean-Michel Belorgey).

Paradoxalement, la décision judiciaire confère une légitimité, une prise en compte solennelle de la demande d'aide des parents ; elle intervient souvent tardivement alors que la situation est déjà lourde de contentieux et de conflits. Les scrupules des prescripteurs (la question des signalements ?) sont tels, qu'ils laissent souvent le soin aux intéressés eux-mêmes de se signaler. C'est un sujet délicat. Il est donc important d'essayer, collectivement, d'en débattre.

La mesure de tutelle conserve l'image “d'une police des familles” (ancienneté et histoire du dispositif légal et réglementaire) ou d'une vision caricaturale de “soldeur de dettes”. Elle reste aujourd'hui une institution méconnue, mal située, d'accompagnement familial et de lutte contre les exclusions sociales. Pour actualiser ces représentations et contrarier cette logique du “mal-entendu”, il y a lieu de remettre en cause, de façon décisive, le mot tutelle s'agissant de prestations familiales, afin de ne plus la confondre ou l'assimiler aux mesures de tutelle à la personne (protection des majeurs). Il y a lieu de la renommer pour mieux l'identifier et il semble se dégager à ce sujet un large consensus.

Associer autrement les usagers

Le devenir de ce dispositif (de cette logistique) d'intervention, inscrit résolument dans le judiciaire (une conviction qui reste tenace et bien vivace dans les débats internes des services et institutions) et singulièrement dans le champ de la protection de l'enfance et de la famille (mesure à part entière et à côté de l'action éducative en milieu ouvert), n'oblige en rien de le maintenir dans ce registre stigmatisant et dépréciatif de la tutelle éducative à l'égard des adultes-parents. Quand bien même, il faudrait rebaptiser notre carrefour.

Les engagements militants associatifs de bon nombre de professionnels dans des domaines très divers participent à la prise de conscience de l'importance et des enjeux dynamiques d'associer autrement “les intéressés” et de faire une place à chacun, car toute résolution d'un problème ne peut être qu'une œuvre collective. L'évolution idéologique passe par un changement de regard et donc de perspective ; envisager l'autre comme un allié et non comme un bouc-émissaire, réfléchir à toutes méthodes d'intervention visant la coproduction, la cogestion, dans le respect des responsabilités de chacun- faire avec, assurer à l'usager une présence de tiers-témoin et participant, autant que faire ce peu, à toutes initiatives les concernant - participe à ce changement de cap. L'engagement et la militance ne peuvent tenir lieu de compétence, mais ils stimulent toutes recherches de savoirs partagés. »

Serge Roche Président, coordinateur national du CETT/APEA : 69, avenue de Toulouse - 34070 Montpellier -Tél. 04 67 42 66 44.

Notes

(1)  Carrefour d'échange technique tutelle aux prestations sociales enfants.

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