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Un partenariat pour prévenir la désinsertion économique

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Pour tenter d'éviter le licenciement de salariés touchés par une inaptitude à leur poste de travail, la cellule d'intervention des Hauts-de-Seine mobilise depuis trois ans et demi médecins, travailleurs sociaux et acteurs institutionnels autour d'une politique de coopération et de prévention.

« Aujourd'hui encore, les médecins du travail voient arriver des salariés arrêtés à la suite d'un problème de santé juste avant leur retour dans l'entreprise. Ils vont en déclarer certains inaptes à leur poste de travail alors qu'ils n'ont pas eu de nouvelles d'eux pendant toute la période de l'arrêt maladie », regrette Eliane Roupie, chargée de mission à la cellule d'intervention pour le maintien dans l'emploi dans les Hauts-de-Seine (CIME 92)   (1).

Créée en 1997 dans le cadre d'une convention avec l'Agefiph et la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (2), la cellule s'est fixée pour objectif de réduire le nombre des licenciements pour inaptitude constatés depuis plusieurs années par les équipes de préparation de suite et de reclassement et les organismes d'insertion professionnelle.

A l'instar des autres cellules d'intervention existant en Ile-de-France, son action s'inscrit dans le cadre de la politique de prévention prônée par les programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés  (PDITH). Il s'agit, explique Lamia Jeanjean, coordonnatrice de ce plan dans les Hauts- de-Seine, de chercher des solutions pendant l'arrêt maladie, plutôt que d'agir a posteriori. Le maintien dans l'emploi vise à empêcher, dans la mesure du possible, les licenciements pour inaptitude, afin d'éviter la désinsertion économique.

A partir de 1997, la cellule se met à l'œuvre en s'appuyant sur un réseau de partenaires de santé (médecins du travail, médecins-conseil et médecins traitants), d'assistants sociaux (de secteur, de la Cramif et des grandes entreprises), d'acteurs institutionnels, tels que la Cotorep, l'Agefiph ou la caisse primaire d'assurance maladie  (CPAM) et de prestataires spécialisés en ergonomie ou en bilans de compétence. « Coordination », tel est le maître mot de ce dispositif qui brasse des logiques de travail,  des législations et des champs de compétences différents pour tenter d'aider les personnes victimes d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail.

Il a fallu ainsi rompre avec des pratiques de travail trop cloisonnées et apprendre à connaître les domaines d'intervention et les limites de chacun. Pas toujours très simple, estiment encore aujourd'hui certains partenaires. Comment faire en sorte que l'application des diverses réglementations ne nuisent pas à l'intérêt du salarié victime d'un accident ou d'une maladie professionnels ? « Une des difficultés réside dans la différence entre la législation de l'assurance maladie et celle qui s'applique au médecin du travail, souligne Bénédicte Le Dieu de Ville, médecin-conseil à la CPAM. Lorsque nous voyons un patient, nous devons statuer par rapport à une aptitude à un travail quelconque, tandis que le médecin du travail base son avis par rapport à un poste de travail précis. »

Il peut arriver, notent certains acteurs, qu'un avis d'aptitude rendu par le médecin-conseil soit suivi d'une décision contraire de la part de son collègue du travail, avec des conséquences fâcheuses pour le salarié. Privé de ses indemnités journalières, ce dernier se voit également dans l'impossibilité de reprendre son emploi.

Fondé sur la mise en commun des compétences et l'échange d'informations, le réseau a, en outre, soulevé la question du secret professionnel. « Il a fallu voir ce qu'on pouvait ou non se dire, se souvient Catherine Tijou, assistante sociale, responsable d'unité à la Cramif. En ce qui nous concerne, nous avons décidé de transmettre, après avoir demandé à la personne concernée si elle était d'accord, ce qui était nécessaire à la compréhension de la situation et uniquement cela. »

Si l'on estime, côté médecins, que le secret médical peut constituer parfois un frein à l'action du dispositif, pas question pourtant de le remettre en cause. « Il est important que l'on reste dans cette logique du secret médical, explique Bénédicte Le Dieu de Ville. D'abord parce que le conseil de l'ordre nous l'a rappelé, mais aussi parce qu'on ne peut pas travailler sans la confiance des patients. » Le document de liaison mis en place par la cellule pour améliorer la communication entre les partenaires médicaux et sociaux, ne comporte ainsi aucune information d'ordre médical (seuls les domaines d'inaptitudes apparaissent) et n'est utilisé qu'avec l'accord des personnes.

Ces difficultés initiales se sont effacées, notent aujourd'hui les partenaires, devant la volonté générale de parvenir à une meilleure articulation des actions. « Nous, assistantes sociales, nous connaissons mal le marché du travail et il y avait de notre part une crainte de toucher à tout ce qui tourne autour de l'emploi, admet Catherine Tijou. On hésitait à tirer la sonnette d'alarme pour un salarié qui nous semblait inapte à reprendre son poste et à appeler l'employeur parce qu'on pensait que cela pouvait provoquer son licenciement. Avec ce dispositif, on passe le relais à un partenaire pour la phase de dialogue avec l'entreprise. »

Tous reconnaissent également l'importance d'une action précoce et en particulier de la visite de pré-reprise qui permet au médecin du travail d'envisager des solutions (formation, aménagements de poste, temps partiel thérapeutique, etc.) alors que le salarié est encore en arrêt maladie. L'augmentation du nombre de ces visites l'an dernier illustre l'efficacité du travail d'information de la cellule pour que les signalements des situations d'inaptitude soient effectués le plus tôt possible. La cellule effectue également des campagnes de sensibilisation à destination des entreprises, souvent démunies face à l'inaptitude d'un employé, et des salariés eux-mêmes. « Quand un accident survient, la personne doit souvent faire un travail de deuil par rapport à l'ancien poste ou à l'ancien métier. L'écoute et l'accompagnement que les salariés peuvent obtenir auprès des différents partenaires de la cellule, leur permet de ne pas se sentir seuls face à cette machine qu'est l'entreprise », explique Eliane Roupie.

Plus de trois ans après le lancement du dispositif, la politique de prévention semble porter ses fruits. Plus de 70 % des 137 dossiers « bouclés » l'an dernier, se sont conclus par un maintien du salarié dans l'emploi (à son poste de travail, dans l'entreprise ou par le biais d'un reclassement externe). Ces accompagnements peuvent prendre du temps (entre trois mois et deux ans) et jonglent avec une large panoplie d'outils. Exemple :ce plombier pour qui il a fallu rencontrer l'entreprise avec le médecin du travail, envisager avec le médecin-conseil une reprise à temps partiel thérapeutique, collaborer avec la Cotorep pour avoir une reconnaissance plus rapidement, obtenir une prime de maintien de la part de l'Agefiph et mettre en place avec la sécurité sociale un contrat de réédu- cation professionnelle chez l'employeur.

CIME OU COME ?

Au niveau national, plus de 70 départements sont concernés pas des dispositifs de maintien dans l'emploi de personnes touchées par une inaptitude ou une aptitude restreinte. Ces dispositifs sont cofinancés par l'Agefiph et l'Etat, s'inscrivent dans le cadre des programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés, mais peuvent prendre des formes différentes selon l'histoire des pratiques existant dans chaque département : des cellules ad hoc, à l'exemple des CIME ou COME (cellules opérationnelles de maintien dans l'emploi) en Normandie ou des partenariats moins poussés du fait d'une moindre mobilisation de certains acteurs.

Les limites du dispositif

Si les résultats sont très encourageants, ils ne doivent pas conduire à instaurer une politique systématique et « jusqu'au-boutiste » de maintien dans l'emploi, estiment les responsables de la cellule. « Il existe aujourd'hui une espèce de culpabilité générale issue d'un discours bien pensant et prônant la performance à tout prix, la recherche effrénée d'un emploi, constate Catherine Tijou. Mais, il y a des personnes très atteintes sur le plan physique ou trop loin de l'emploi à qui l'on préfère dire “vous avez beaucoup travaillé et cotisé et vous avez aussi le droit d'arrêter”. On essaie alors de trouver un système d'indemnisation, d'envisager avec eux un passage en retraite, etc. » Le dispositif n'est pas non plus adapté aux personnes trop perturbées psychologiquement et dont le maintien dans l'entre- prise peut leur être néfaste et porter préjudice à l'employeur.

Plus de trois ans après son lancement, la cellule des Hauts-de-Seine veut développer encore le travail d'anticipation pour éviter, comme c'est encore le cas parfois, d'avoir des signalements de risques d'inaptitudes le jour de la reprise. Voire, comme l'explique Eliane Roupie, « le jour où une inaptitude définitive est prononcée ». Cet objectif passe par le renforcement du partenariat, notamment avec les médecins traitants, aujourd'hui à l'origine de moins de 1 % des signalements des situations à risque (3). Ceux- ci sont « dans une logique de soins, précise Franck Lasfargues, médecin du travail. Parfois, ils ne savent même pas si le patient travaille ou pas. Si l'avis d'aptitude ou d'inaptitude est du ressort du médecin du travail, il est très important de parler de la situation du patient le plus tôt possible avec le médecin traitant. »

Henri Cormier

DES DISPOSITIFS VICTIMES DE LEUR SUCCÈS ?

On dénombre huit cellules d'intervention pour le maintien dans l'emploi  (CIME) en Ile-de-France, soit une à Paris et une dans chaque département de la région. En 2000 (4) , l'activité des dispositifs en Ile-de-France a connu un net accroissement. Si le nombre de signalements (3 000) n'a augmenté que de 3 % en un an, les cas traités par les cellules de maintien dans l'emploi de la région ont enregistré une hausse de 61 % par rapport à 1999, pour s'établir à 2 592. Le taux de maintien dans l'emploi en Ile-de-France s'élève à 59 % (avec des variations allant de 43 % dans l'Essonne à 77 % dans les Yvelines). Des chiffres qui font dire à certains que ces dispositifs sont dans une période de transition nécessitant une nouvelle orientation. « Il y a une montée en charge actuellement dans les cellules qui devient de plus en plus difficilement gérable par les personnes qui sont sur le terrain. Et sur un plan politique, même s'il semble y avoir une prise de conscience des enjeux que représente le maintien dans l'emploi, nous n'avons pour l'instant aucun moyen supplémentaire, souligne Lamia Jeanjean, coordonnatrice du programme départemental d'insertion des travailleurs handicapés pour les Hauts-de-Seine. Ces actions semblent pourtant avoir fait leur preuve, dans la mesure où l'on se situe dans le domaine de la prévention et où l'on n'a pas à entrer dans un parcours assez lourd (formation qualifiante, aide à l'accompagnement vers l'emploi, etc.). » S'il n'est pas question pour les dispositifs de maintien de traiter l'ensemble des situations d'inaptitude (quelque 139 000 cas déclarés en Ile-de-France en 1997), l'Agefiph évoque, par exemple, la question des critères de sélection des cas à traiter. Repérer un « cœur de cible », correspondant aux configurations propres à chaque département, permettrait aux dispositifs d'éviter des effets d'engorgement.

Notes

(1)  CIME 92 : 3, rue Pierre-Curie - 92600 Asnières - Tél. 01 41 32 02 02 .

(2)  Pour 2001, le budget de CIME 92 s'élève à 800 000 F, pris en charge à 80 % par l'Agefiph et à 20 % par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

(3)  Pour 34 % des cas signalés par les médecins du travail et 13 % par les médecins-conseils.

(4)  Selon les données 2001 de l'Observatoire d'Ile-de-France sur les personnes handicapées.

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