Actualités sociales hebdomadaires : Comment est né ce dispositif de veille ?
Olivier de Labarthe : Il y a eu deux éléments déclencheurs. Le premier rapport parlementaire de Jacques Guyard, en décembre 1995, tout d'abord, qui montrait l'influence des sectes sur la formation professionnelle, une activité qui leur permet à la fois de se procurer des fonds et des adeptes. Puis nous avons été cités dans un ouvrage comme ayant financé une formation sectaire. Nous avons alors pris conscience que nous n'étions pas toujours capables de savoir si les actions que nous prenions en charge étaient, ou non, dans la mouvance de sectes. Pour maîtriser et prévenir un tant soit peu ce risque, il nous fallait en premier lieu mettre en place un observatoire au sein de Promofaf. Comment fonctionne-t-il ?
- Avec les responsables de nos antennes locales, en prise directe avec l'offre de formation, nous avons recensé les thèmes sur lesquels il faut être particulièrement vigilant, les organismes ou les formateurs sur lesquels il convient de s'interroger à partir d'une grille d'analyse des programmes afin de déceler les indices d'une éventuelle influence sectaire. Quand nous avons un doute, nous alertons l'adhérent. Lequel, la plupart du temps, préfère ne pas courir de risque et ne maintient pas sa demande de financement. Mais quand nous avons une décision à prendre, nous essayons d'obtenir des informations concrètes. Nous contactons les organismes de lutte contre les sectes : la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), le centre Roger-Ikor contre les manipulations mentales, les associations de défense des familles et de l'individu (ADFI)... Nous joignons aussi, le cas échéant, les cellules des renseignements généraux axées sur les sectes, les ordres des médecins... Nous avons alors confirmation de nos doutes, ou pas. Mais nous ne prenons jamais de décision négative sans un élément tangible comme une plainte d'une famille ou d'un ancien stagiaire, ou sans une confirmation externe crédible.
Comment réagissent les organismes à qui vous refusez la prise en charge ?
- Quand un prestataire veut savoir pourquoi nous ne finançons pas, il peut obtenir une explication. Nous avons eu quelques confrontations ardues avec des organismes qui contestaient nos décisions, mais aucun procès, aucun contentieux. Nous n'excluons pas de façon expéditive, mais nous maintenons le dialogue. Ce qui, parfois, nous a servi à lever le doute. Nous devons avoir un dispositif transparent, car si nous nous trompons, nous pénalisons les salariés.
Quels éléments d'un programme peuvent, sur le papier, faire soupçonner une influence sectaire ?
- Premier élément de notre grille d'analyse, l'aspect général des documents (logo, références ésotériques...). Ainsi
que le recours à un certain vocabulaire : « énergie », « bonheur », « retrouver la paix, la sérénité », tout un verbiage qui fait appel à du rêve, du ressenti, mais ne dit rien des objectifs précis, du contenu et du déroulement du stage. Les lieux attirent également notre attention : endroits luxueux, moulin perdu au fin fond du Lubéron... De même que les dates et les horaires : nous regardons, par exemple, si les formations ont lieu le week-end, ou tard le soir, ou excèdent la
durée légale du travail. Autre point : le « service après-vente », qui associe à la formation des propositions commerciales complémentaires, livres, cassettes, système de franchise pour l'ouverture d'une boutique... Attention, aucun élément ne nous assure, à lui seul, que nous avons affaire à une secte. Mais un faisceau d'indices nous autorise à nous questionner, à nous inquiéter et donc à rechercher des informations complémentaires.
Quel bilan dressez-vous de votre démarche ?
- Avons-nous des armoires pleines de dossiers douteux ? La réponse est non. Nous en avons repéré un peu plus de 100, un chiffre à rapporter à nos 40 000 dossiers de formation annuels. En tout, une petite trentaine d'organismes ou de formateurs nous ont pré-occupés, et nous avons pris une décision de non-financement pour une dizaine d'entre eux.
D'un point de vue qualitatif, incontestablement, nous avons fait de la prévention. Notre action a sensibilisé les entreprises au fait qu'il ne faut pas être naïf face aux organismes de formation. Depuis un an, nous n'avons presque plus de dossiers nouveaux, preuve qu'il y a une autorégulation. C'est un résultat capital car, dans notre secteur, les personnels, confrontés en général aux situations douloureuses de la vie, recherchent des repères. Ce sont des proies plus faciles pour les sectes. Mais si nous avons sensibilisé les établissements, nous sommes aussi conscients que nous avons sensibilisé les sectes, qui ont appris à se masquer davantage.
Comment jugez-vous l'encadrement législatif de la formation professionnelle ?
- L'erreur fondamentale de la loi de 1971 est d'avoir permis de réduire la formation professionnelle à un produit marchand. Le contexte est commercial : marché concurrentiel, liberté des prix... Mais la formation est une prestation éducative, qui s'inscrit dans une vision éthique. Aujourd'hui, personne ne songe à privatiser l'Education nationale ! De même, alors que l'on parle de droit à la formation tout au long de la vie, comment imaginer que ce droit puisse être exercé s'il relève du seul marché ? Si les conditions éthiques ne sont pas précisées, il ne s'agit que d'un faux droit.
La loi a donné une définition floue de la formation professionnelle. Tout peut rentrer dans le cadre. Les textes doivent donc s'attacher à mieux dire ce qu'elle est. A ne pas la définir, on crée une situation potentiellement ouverte à tous les trafics. Et pas seulement aux dérives sectaires.
Quelles sont les dérives qui vous pré- occupent le plus ?
- Beaucoup de stages ont l'apparence d'une formation mais n'en sont pas. Ainsi, partir pendant dix jours dans le désert « pour découvrir, par le silence, le bien-être éternel » - de telles offres existent -, peut être profitable sur le plan personnel. Mais tout ce qui fait du bien n'est pas de la formation professionnelle continue.
D'autre part, les formations qui manipulent et fragilisent les personnes en créant, par exemple, des situations où le stagiaire perd sa liberté de dire oui ou non. Les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ne peuvent pas ne pas élaborer de critères permettant de caractériser que l'on se trouve, ou non, dans un cadre de formation. La marge de liberté du stagiaire me semble être l'un de ces critères. Il est impensable que la formation professionnelle puisse se dérouler dans un contexte d'enfermement, sinon c'est du « bourrage de crâne », de l'endoctrinement. Le droit d'arrêter le stage, de quitter les lieux devrait être garanti. Quelle est cette marge d'autonomie quand on part en groupe pendant dix jours dans le désert, pour reprendre le même exemple ?
Que peuvent faire les organismes paritaires collecteurs agréés ?
- Certains - notamment la Fédération de la formation professionnelle - disent que l'entreprise est responsable de ce qu'elle achète et l'organisme paritaire collecteur agréé n'a pas à s'immiscer entre elle et l'organisme de formation. Nous pensons qu'il n'est pas possible de maintenir cette position en totalité. L'OPCA ne doit pas choisir l'offre de formation, mais il doit donner des garanties aux entreprises et aux stagiaires, qui sont en droit d'attendre de lui qu'il exerce un rôle éthique. Nous revendiquons cette responsabilité. D'autant plus que la formation professionnelle est un dispositif public, fondé par des organismes paritaires au nom de l'intérêt général. Elle est financée par des fonds collectifs, qui ne peuvent être détournés de la mission pour laquelle ils sont collectés : apporter des capacités, des compétences à des gens qui le demandent ou l'acceptent. Nous sommes responsables devant l'Etat de l'utilisation de l'argent qui nous est confié. C'est un enjeu démocratique. Avant de répondre à une loi, la formation répond à une éthique.
Nous ne voulons pas mener seuls cette réflexion sur la nature de notre responsabilité, qui va bien au-delà du risque sectaire. C'est la raison pour laquelle nous avons rassemblé, autour de Promofaf, un comité d'éthique, réunissant des professionnels des secteurs éducatif et sanitaire, des représentants d'institution (MILS, direction générale de l'action sociale...), l'Union nationale des ADFI, le centre Roger-Ikor... Il arrive qu'il examine des dossiers sur lesquels nous sommes dubitatifs.
Quel écho trouve votre démarche parmi les autres OPCA ?
- Nous n'avons jamais rencontré beaucoup d'enthousiasme pour cette réflexion, qui ne semble pas urgente et majeure. Dans le milieu de la formation professionnelle, les préoccupations éthiques ne sont qu'en émergence. Les enjeux collectifs - et l'éthique en est un - sont négligés au profit des enjeux plus individuels et immédiats. En outre, pour sortir des simples considérations gestionnaires et recourir à une réflexion déontologique conduisant à accorder ou à refuser le financement d'une action de formation, il faut accepter de renoncer à la tranquillité des modes traditionnels de fonctionnement des OPCA et s'aventurer sur terrain difficile.
Propos recueillis par Céline Gargoly
« Art. L. 900-1 : [...] La formation professionnelle continue fait partie de l'éducation permanente. Elle a pour objet de permettre l'adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l'accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social [...].
Art. L. 900-2 : Les types d'actions de formation qui entrent dans le champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle continue sont les suivants
:1° Les actions de préformation et de préparation à la vie professionnelle [...]
;2° Les actions d'adaptation. Elles ont pour objet de faciliter l'accès de travailleurs titulaires d'un contrat de travail à un premier emploi ou à un nouvel emploi
;3° Les actions de promotion. Elles ont pour objet de permettre à des travailleurs d'acquérir une qualification plus élevée
;4° Les actions de prévention. Elles ont pour objet de réduire les risques d'inadaptation de qualification à l'évolution des techniques et des structures des entreprises[...]
;5° Les actions de conversion [...]
;6° Les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances. Elles ont pour objet d'offrir aux travailleurs, dans le cadre de l'éducation permanente, les moyens d'accéder à la culture, de maintenir ou de parfaire leur qualification et leur niveau culturel ainsi que d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative. »
(1) Promofaf : 9, rue Maryse-Hilsz - 92309 Levallois- Perret - Tél. 01 49 68 10 10.
(2) Pour mémoire, la loi renforçant la prévention et la répression des mouvements sectaires est parue au Journal officiel du 13 juin 2001 - Voir ASH n° 2218 du 8-06-01.