Elles sont environ 15 000, soit 2 % du total des 700 000 associations en France. Le rapport remis, le 11 juin, par Jean-Claude Sandrier, député du Cher, à Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, dresse pour la première fois un tableau complet des « associations œuvrant pour la politique de la ville » et des difficultés qu'elles rencontrent. Un champ d'étude d'autant plus passionnant que monde associatif et politique de la ville se sont nourris l'un l'autre. « Née sur le terreau de cités qualifiées de “difficiles”, où l'accumulation des handicaps et l'exacerbation des situations remettent en cause l'organisation traditionnelle des pouvoirs publics, la politique de la ville a très vite valorisé les modes d'intervention sociale proches du terrain[...]. A cet égard, seules les associations proposaient des réponses rapidement opérationnelles et adaptées aux situations concrètes : elles ont donc fondé de manière déterminante la légitimité de la politique de la ville. Inversement, [celle-ci] a apporté une contribution non négligeable au renouveau associatif. Dotée de financements en constante augmentation, elle a permis de subventionner des projets innovants et inédits [...]. Favorisant l'initiative dans les quartiers en difficulté, elle y a stimulé l'émergence d'associations nouvelles, qui n'auraient sans doute jamais vu le jour », rappelle le document.
Qui sont-elles, ces associations ? Jean-Claude Sandrier en esquisse une typologie, fondée sur leurs relations avec le quartier où elles opèrent. Certaines sont issues d'initiatives « extérieures » à celui-ci, portées par des mouvements caritatifs, humanitaires ou des fédérations d'éducation populaire, ou bien créées par des corps sociaux travaillant dans ces territoires (enseignants, juges, éducateurs...). Parfois d'initiative publique, elles agissent alors comme « substituts de pouvoirs publics auprès des citoyens » - les missions locales, par exemple - ou comme « intermédiaires entre pouvoirs publics et citoyens » - à l'instar des PACT (3), dont la mission est de faciliter l'obtention des primes à l'amélioration de l'habitat. D'autres émanent de ces territoires eux-mêmes, comme les régies de quartier - qui, dans le sillage de mai 68, ont été lancées avec l' « ambition de développer les capacités d'autogestion au sein des quartiers en difficulté » - ou encore les associations d'habitants - qui « développent essentiellement du lien social ». Enfin, l'auteur classe dans un groupe à part entière les centres sociaux, les considérant comme la « synthèse » des deux premières catégories.
Au-delà de cette diversité, se dessine une identité commune. Ces associations « sont toutes mues par [...] le refus affiché, résolu et sans cesse répété de villes inégalitaires qui inscrivent dans leur espace les inégalités produites par notre société ». Une définition « en positif », indissociable de son double : « De manière négative, on pourrait dire que les associations œuvrant pour la politique de la ville se distinguent par les problèmes à résoudre et les contraintes à lever », note Jean-Claude Sandrier. De fait, les difficultés qu'elles rencontrent, peu différentes de celles auxquelles se heurtent les associations en général, se trouvent accentuées par la nature de leur terrain d'intervention, marqué plus souvent par l'insécurité, l'éloignement des centres de décision, l'absence de services publics... Ces obstacles, parallèlement, accroissent l'impact social des associations, qui deviennent « en premier lieu, avec l'institution scolaire, des écoles de la démocratie et de la régulation sociale ». Une « proximité démocratique » qui leur donne « un rôle qui parfois dépasse leur simple objet », souligne le rapport.
Ce contexte particulier rend encore plus insupportable la complexité des procédures relevant de la politique de la ville. « Si la simplification [...] concerne l'ensemble des associations, elle prend un caractère d'impérieuse nécessité dans les quartiers où les pouvoirs publics sont moins présents », insiste Jean-Claude Sandrier. Il relève qu'à l'heure actuelle - et malgré le dossier unique simplifié pour toutes les demandes de subvention adressées à l'Etat et au Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS), institué par le comité interministériel des villes de décembre 1998 (4) - une association doit, pour obtenir un financement, constituer de huit à dix dossiers, pour la commune, la région, éventuellement le département... Cette complexité représente d'ailleurs le premier grief à l'encontre des pouvoirs publics énoncé par les associations, à qui ce « parcours du combattant administratif » donne l'impression de faire l'objet d'une « suspicion ». Sans compter qu'il décourage les plus petites, pénalise celles qui émergent au profit des plus expérimentées- créant ce qui peut être vécu comme une concurrence - et détourne les énergies des actions de terrain au profit de tâches administratives.
A cette complexité s'ajoutent des délais de versement des subventions « beaucoup trop longs », qui engendrent de graves problèmes de trésorerie. Ainsi, en général, les financements de l'Etat n'arrivent, au plus tôt, qu'à la fin du deuxième trimestre. D'où d'importants frais financiers grevant le budget des associations. D'où aussi, parfois, des situations kafkaïennes : ne pouvant, du fait de ces délais, acquitter leurs cotisations sociales, elles ne peuvent joindre à leurs dossiers les attestations nécessaires pour prétendre au financement d'une nouvelle action... Pour sortir les associations de la politique de la ville de cette « précarité absolue[...], paradoxale pour des associations qui s'occupent de personnes en situation de précarité », Jean-Claude Sandrier préconise de faciliter et accélérer la mise à disposition des financements. Ce qui passe par le développement de la pratique du dossier unique commun aux différents partenaires. Ou encore par le versement avant le 15 février d'une partie - ou de la totalité pour des subventions inférieures à 10 000 F - des financements de l'Etat. Une proposition qui, il le concède, « ne s'inscrit pas dans le cadre des règles actuelles de la comptabilité publique, qu'il convient d'assouplir au profit [de ces associations] d'autant plus qu'elle concerne une part très réduite du tissu associatif français et constitue à cet égard un champ expérimental extrêmement pertinent ». Il pourrait être suivi, Claude Bartolone ayant laissé entendre, à l'occasion de la remise du rapport, qu'une circulaire allant dans ce sens serait diffusée en juillet. Le député du Cher souhaite également la suppression du seuil de 100 000 F de subvention qui conditionne, en l'état actuel de la réglementation, la signature de conventions pluriannuelles (5) avec l'Etat. Plancher qui ne concerne que 15 % des associations des quartiers. Autre suggestion, la création d'un fonds d'avance sur subvention rendant possible, par exemple, la mise en œuvre rapide d'une action nécessitée par l'urgence sociale.
Ces questions de délais sont à résoudre en priorité, insiste l'auteur du rapport. « En mettant un terme [aux] inquiétudes [des associations] , il sera possible de recentrer le débat sur leurs aspirations profondes, notamment les modalités de leur participation à la politique de la ville. » Les acteurs associatifs, animés de « craintes d'instrumentalisation permanente », souhaitent en effet devenir véritablement « coproducteurs » de cette politique. Beaucoup se plaignent d'être insuffisamment associés à l'élaboration de l'appel à projets, ou encore mal informés des procédures d'attribution de crédits, les refus n'étant « jamais motivés ». Nombreux sont ceux qui voudraient davantage de dialogue avec les « décideurs », et pointent une « sensation de distance ressentie entre les quartiers en difficulté et les pouvoirs publics ». Quant aux plus petites associations, elles regrettent de ne pas trouver d'interlocuteurs pour évoquer des problèmes autres que financiers et « gardent l'impression que la stratégie globale de cette politique leur échappe ». C'est la raison pour laquelle Jean-Claude Sandrier propose notamment d'identifier, dans les équipes opérationnelles des contrats de ville, un correspondant dédié aux petites associations. Plus largement, l'amélioration du partenariat passe par la mise en place, au niveau de chaque contrat de ville, d'une « conférence des associations de la politique de la ville », centrée sur la définition d'orientations, le suivi et l'évaluation des appels à projets... Ses travaux seraient soumis à la discussion avec les habitants. Il préconise aussi d'accroître la transparence des procédures de programmation des contrats de ville, en invitant des représentants associatifs aux comités de pilotage ou en développant un tableau de bord de suivi aisément consultable par tous.
Au terme de ses travaux, le député du Cher met en avant la nécessité d'assurer un « soutien spécifique » aux associations intervenant dans le champ de la politique de la ville. Il pourrait passer par la création systématique de « centres de soutien » à leur intention : elles y trouveraient une aide à la création, à l'établissement d'un budget, à la définition de statuts ou de projets... Il recommande aussi, pour une plus grande efficacité, d'élaborer, au sein de chaque contrat de ville, une stratégie de mutualisation des projets et des ressources bénévoles, salariées et matérielles. Les centres sociaux situés sur les territoires de la politique de la ville, par ailleurs, devraient voir leur financement de base garanti « en contrepartie de prestations spécifiques particulièrement adaptées aux quartiers ». Enfin, il met l'accent sur les échéances des années 2001-2002, en prônant la désignation, pour chaque contrat de ville, d'un correspondant euro. Ainsi que l'instauration pour un an, à compter du 1er juillet 2001, d'une « bourse de la création associative dans les territoires en contrat de ville » d'un montant de 10 000 F. Une façon de célébrer le centenaire de la loi de 1901. Quel sort le gouvernement entend-il réserver à cet ensemble de propositions ? Un début de réponse sera vraisemblablement apporté, le 27 juin, lors du prochain comité interministériel des villes.
Les crédits spécifiques d'Etat destinés aux financements des contrats de ville ont été multipliés par deux et demi entre 1998 et 2001. 73 %d'entre eux sont destinés aux associations œuvrant pour la politique de la ville (563 millions de francs sur 771 en 2000). Au total, en 2000, on peut évaluer à 1,35 milliard de francs l'ensemble des subventions spécifiques accordées aux associations par les différents partenaires (670 millions de francs en 1998). L'Etat apporte 42 % du total, suivi des communes, avec 27 %. En moyenne, une association intervenant dans la politique de la ville est financée à hauteur de 195 200 F par an par l'ensemble des partenaires, parmi lesquels l'Etat apporte 79 400 F. Ces montants masquent d'importantes disparités : 60 % de ces associations bénéficient de crédits spécifiques d'Etat inférieurs à 50 000 F, tandis que, pour 15 % d'entre elles, ils dépassent 100 000 F. Sur la période de la première génération des contrats de ville (1994-1999), les crédits spécifiques de la politique de la ville ont permis de subventionner 15 000 associations. Le flux annuel est de l'ordre de 134 000 projets financés, au bénéfice d'environ 8 000 associations. Au total, 61 % des enveloppes spécifiques sont dédiées à des actions ciblant la jeunesse.
Céline Gargoly
(1) Voir ASH n° 2181 du 22-09-00.
(2) Les associations œuvrant pour la politique de la ville - Jean-Claude Sandrier - 31 mai 2001.
(3) « Protéger, Améliorer, Conserver, Transformer ».
(4) Voir ASH n° 2096 du 4-12-98.
(5) Voir ASH n° 2192 du 8-12-00.