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« Il faut dépasser le mur de l'encadrement »

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Dernière séance, le 18 juin, pour le Conseil supérieur du travail social (CSTS), qui achève son quatrième mandat. A 74 ans, Jacques Ladsous, véritable cheville ouvrière de cette instance, a décidé de ne pas représenter sa candidature à la vice-présidence. Regard sur le CSTS mais aussi sur l'évolution du travail social.

Actualités sociales hebdomadaires : Quel bilan dressez-vous du CSTS ?

Jacques Ladsous : Il me paraît plutôt positif. Je crois que le CSTS s'est cherché pendant quelque temps. Au début, c'était un outil assez formel. Et puis devant l'ampleur des sujets proposés et des discussions qui se sont engagées dans les groupes de travail, il est devenu une assemblée qui débat. C'est un peu, pour moi, un instrument de la démocratie sociale au sens où l'expression est totalement libre. C'est une instance où des professionnels de terrain tentent de réfléchir ensemble afin d'orienter le travail social. Je ne sais pas, sincèrement, si les ministres se servent beaucoup de ces travaux, mais ceux-ci sont très attendus sur le terrain. De fait, on peut s'interroger sur l'intérêt que les ministres en charge des affaires sociales portent aux travaux du CSTS. Martine Aubry a plutôt pratiqué la politique de la chaise vide...

- C'est vrai que Martine Aubry, lorsqu'elle était ministre de l'Emploi et de la Solidarité, avait proposé à maintes reprises de venir présider le conseil. Mais l'importance de son ministère l'a empê- chée, à chaque fois, de se rendre disponible. Néanmoins, Elisabeth Guigou s'est engagée à être présente, le 18 juin, lors de la dernière séance de la mandature. Et puis, nous avons eu la visite des secrétaires d'Etat à la santé et à l'action sociale, Bernard Kouchner puis Dominique Gillot, de Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, de Claude Brévan, déléguée interministérielle à la ville, qui représentait Claude Bartolone...

Pensez-vous que le CSTS réussisse à infléchir les politiques sociales ?

- Il me semble qu'il les influence de deux façons. D'une part, nous avons la possibilité, dans le cadre des groupes de travail, d'inviter des experts - philosophes, sociologues, membres du conseil d'éthique... -, ce qui entraîne un va-et- vient continuel entre la pensée et l'action. De plus, nous sommes souvent sollicités en province pour développer les idées exposées dans nos rapports et en débattre avec les professionnels. Je ne sais pas si nos préconisations sont appliquées à la lettre, mais il y a bien une imprégnation qui se fait sur le terrain. A mon sens, c'est sous cette forme-là que l'influence du conseil est la plus intéressante. Même si elle existe aussi par le biais des avis qu'il doit rendre sur telle ou telle question relative au travail social.

Vous aviez proposé, en décembre, la création, au sein du conseil, d'une mission de veille sur l'éthique et la déonto logie (1). Or, l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE) a lancé, avec d'autres, une instance interprofessionnelle de réflexion sur la déontologie (2). N'est-ce pas une façon de vous couper l'herbe sous le pied ?

- Non, car nous avions reçus, dans le cadre de notre réflexion, les représentants de l'ANCE. Dans notre rapport, nous avions proposé qu'il y ait un lieu permanent de veille sur l'éthique, comprenant des représentants du CSTS, mais aussi ouvert à d'autres personnes. Maintenant, si plusieurs associations se mettent ensemble pour créer cette instance, tant mieux. Nous ne revendiquons pas de place privilégiée en la matière. Il n'est pas sûr d'ailleurs que ce soit judicieux de domicilier cette commission au CSTS. Nous pensons simplement qu'il faut un instrument et qu'il doit être lié au comité national d'éthique.

On reproche souvent au CSTS de ne pas être suffisamment interpellatif, voire offensif, sur certains sujets ?

A priori, ce n'est pas sa mission. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne le soit pas. Le groupe « violences » a interpellé le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sur la réalité des violences en institution par le biais de son enquête nationale (3). Et sur la nécessité de protéger les travailleurs sociaux du licenciement lorsqu'ils dénoncent des pratiques maltraitantes dans leurs établissements. Nous avons été écoutés puisque cette protection est désormais inscrite dans la loi.

Les étudiants avaient interpellé, en février, le CSTS sur leurs difficultés à se faire entendre du gouvernement. Pensez-vous avoir joué votre rôle par rapport à ce mouvement ?

- Nous avons reçu et écouté les étudiants. Mais nous n'avons pas voulu, comme ils le demandaient, refuser de siéger. Certains membres du conseil ont d'ailleurs pu faire avancer des choses : Dominique Charvet, président de cham- bre à la cour d'appel de Paris, a pu, ainsi, défendre l'idée du salaire étudiant dans le cadre du rapport du Plan dont il a dirigé les travaux (4). Cela étant, certaines des revendications du mouvement ne sont pas partagées par tous. Nous sommes les premiers à souhaiter que les étudiants puissent être représentés au CSTS pour en débattre. Nous leur en avions déjà fait la proposition lors du précédent mandat. Mais encore faut-il qu'ils parviennent à s'organiser pour cela.

A vez-vous des regrets ?

- Oui, sur la pauvreté des moyens dont dispose le conseil. Ceux-ci se limitent au remboursement des frais de transport de ses membres pour venir siéger aux réunions et à la présence d'un secrétariat au sein de la direction générale de l'action sociale. Pour vous donner un ordre d'idées : en 1999, nous avons fait 124 interventions dans l'Hexagone pour présenter nos travaux. A chaque fois, nous étions invités et nos déplacements pris en charge. Imaginons que nous ayons les moyens pour répandre nos idées, organiser chaque année des séminaires en région. On pourrait valoriser davantage les travaux du CSTS et décupler son impact.

De par votre parcours professionnel, vous êtes un peu la « mémoire du travail social ». Quel regard portez- vous sur son évolution ?

- Un regard plutôt positif. Le champ de l'intervention sociale s'est considérablement élargi. Le travail social n'est plus considéré comme un élément annexe, mais comme le mode d'accompagnement des difficultés que peuvent vivre les individus ou les groupes. Cette évolution lui donne une dimension qui n'a plus rien à voir avec l'image du bureau d'assistance d'autrefois. On est bien dans un travail social constructif qui vise à aider les personnes à retrouver leur place dans la société. Au cours des trente glorieuses, les structures l'emportaient sur l'usager. Aujourd'hui elles sont souvent mises en cause et l'on privilégie davantage les modes d'intervention innovants et l'expérimentation.

M ais n'y a-t-il pas un décalage entre cette incitation à l'innovation et les moyens alloués aux professionnels ?

- Il y a un décalage, mais il n'est pas aussi important que certains le pensent. On n'innove pas forcément en ajoutant quelque chose à ce qui existe. On innove aussi en sachant transformer et restructurer. Par exemple, dans la formation, on peut, certes, augmenter les quotas des étudiants pour faire face à la pénurie prévisible de professionnels. Mais, il y a aussi à réinventer nos modèles de formation qui ne sont plus adaptés : faire participer les établissements et services à la formation, reconnaître l'expérience de terrain - et sur ce point, j'attends beaucoup de la reconnaissance de la validation des acquis professionnels...

Quoi qu'il en soit, les travailleurs sociaux sont-ils, à votre avis, prêts à innover ?

- Je ne pense pas que les travailleurs sociaux soient incapables de créativité ou de mobilisation. Ou, quoi qu'en disent certains, qu'ils soient démotivés ou qu'ils aient un esprit « fonctionnaire »  - même si, pour moi, le service public est extrêmement important. Je pense, par contre, que nos cadres sont trop frileux et insuffisamment prêts à modifier certaines choses.

Que voulez-vous dire ?

- Au lieu d'interpeller l'administration, ils ont un peu trop tendance à se couler dans ses exigences. Or si les personnes qui peuvent la secouer et faire sauter les verrous n'en prennent pas la responsabilité, elle a tendance à gérer par routine. Je crois que les cadres ne sont pas suffisamment stratèges. On a voulu des cadres gestionnaires ; on en a fait des gestionnaires frileux. C'est pourquoi, j'ai proposé avec d'autres collègues du CSTS qu'un groupe de travail soit créé sur la formation des cadres. Celui-ci devrait être installé à la direction générale de l'action sociale (5), et non pas en son sein, mais ses conclusions seront portées devant le conseil.

Le ressourcement du travail social passerait donc essentiellement par un changement d'attitude des cadres ?

- Je crois, en effet, que bon nombre de jeunes ont envie de s'investir, mais qu'ils se découragent très vite devant le peu d'empressement que suscitent leurs initiatives. Quand ils ne reçoivent pas de blâme de la part de leur hiérarchie. Or il faut savoir prendre des risques. On ne peut pas faire du social sans être, parfois, en situation de risque.

N'avez-vous pas aussi le sentiment que, depuis 20 ans, le travail social manque d'un souffle et d'une ambi- tion politique ?

- Ce qui manque surtout, à mon avis, c'est une perception réelle du social. D'où l'intérêt du rapport de Claude Brévan sur les métiers de la politique de la ville (6), qui a su se situer non à la marge, mais dans un ensemble. En se disant qu'il n'était pas possible de laisser se creuser le fossé entre les intervenants de la politique de la ville et les travailleurs sociaux. C'est

cette vision globale qui fait cruellement défaut aujourd'hui et que portait, en 1981, Nicole Questiaux, ministre d'Etat à la Solidarité nationale - restée malheureusement un an seulement au gouvernement ! Martine Aubry a été obsédée par l'emploi car la priorité de l'époque était la lutte contre le chômage. Or le social c'est aussi le logement, la santé, la formation... Sans une perception suffisante de la manière dont les choses s'imbriquent les unes les autres, on ne peut mener de véritable politique sociale.

Pensez-vous qu'il y a une relève possible dans le travail social ?

- A mon avis, oui. Mais il faut qu'elle dépasse le mur de l'encadrement. Ce qui m'a plu lorsque j'ai débuté comme professionnel, c'est qu'il s'agissait d'un travail de pionnier et que tout était à défricher. Bien sûr nous étions parfois rappelés à l'ordre, mais cela ne nous empêchait pas de créer. Nous nous référions aux deux grands philosophes de l'époque : Jean-Paul Sartre, qui défendait la notion de projet, et Gaston Berger, qui parlait de la nécessité d'avoir une vision prospective des choses... Je crois qu'aujourd'hui, il faut retrouver cette dimension du projet et de la prospective, même si la société est beaucoup plus complexe et qu'avec la mondialisation bon nombre de choses nous échappent.

SUR TOUS LES FRONTS

A 74 ans, Jacques Ladsous peut être considéré comme une « mémoire du travail social ». Educateur, enseignant, directeur d'établissement, militant associatif, auteur de plusieurs ouvrages, aujourd'hui « entrepreneur de spectacles » pour le théâtre du Fil, ... il a été sur tous les fronts du travail social. Et participe, actuellement, à la rédaction d'un livre collectif sur la loi contre les exclusions. Dès la création du Conseil supérieur du travail social en 1984, il a été associé à tous ses travaux. Et occupe la vice-présidence depuis 1993. Réélu en 1997, il a décidé de ne pas se représenter pour le quatrième mandat du CSTS. Non qu'il soit fatigué, mais il veut éviter la personnalisation de la fonction.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Dans un rapport sur la question - Voir ASH n° 2193 du 15-12-00.

(2)  Voir ASH n° 2215 du 18-05-01.

(3)  Diffusée dans les ASH - Voir ASH n° 2103 du 22-01-99.

(4)  Voir ASH n° 2204 du 2-03-01.

(5)  Voir ASH n° 2216 du 25-05-01.

(6)  Voir ASH n° 2181 du 22-09-00.

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