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Eviter le pot de terre contre le pot de fer

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Permettre aux habitants d'exercer leur citoyenneté face aux lourdeurs de l'administration. Telle est la tâche délicate de Raymond Barbin, cet ancien travailleur social devenu délégué du médiateur de la République dans deux quartiers en difficulté de Créteil.

Un bureau un peu austère dans les locaux du relais mairie du Palais, à Créteil (Val-de-Marne)  : c'est là que Raymond Barbin reçoit ce jeudi après-midi. Dans sa permanence, située au sein d'un petit centre commercial, au pied des tours de ce quartier prioritaire de la politique de la ville, le nouveau délégué du médiateur de la République, nommé le 1er novembre 2000, accueille tous ceux qui rencontrent une difficulté avec une administration ou un service public. Il est l'un des 103 intervenants de proximité installés au cœur des quartiers sensibles (1).

Faciliter l'accès aux droits

Cet ancien travailleur social est assesseur au tribunal pour enfants de Créteil. A 47 ans, c'est avant tout la nouveauté de la mission de délégué qui l'a incité à se porter candidat en plus de ses activités professionnelles. « Pour moi, explique- t-il , être médiateur était une façon encore plus prégnante d'être citoyen, mais au service des gens de la base. En travaillant à l'accès aux droits par tout le monde et pour tout le monde. »

 Depuis sa nomination, Raymond Barbin a reçu dans ses deux permanences, l'une au relais mairie du Palais, l'autre au centre social Kennedy (dans le quartier très urbanisé du Mont-Mesly), une soixantaine de personnes, venues de Créteil et des communes environnantes. Un public très large : des personnes démunies, dont un grand nombre a des problèmes d'endettement assez lourds, mais aussi des gens aisés. Parmi les questions traitées, une majorité de dossiers touchant les impôts ou la redevance TV, et le secteur social :relations avec la caisse d'allocations familiales, les Assedic, etc. Le panel est assez large (2). « Ces gens ont un problème difficile à résoudre par l'institution qui les a rejetés, et souvent ne leur a pas répondu. Ils arrivent avec un grand nombre d'interrogations. Ils cherchent un conseil, une porte de sortie », explique l'intervenant.

Ici, la notion d'accueil est primordiale. Le temps d'écoute est toujours assez long. En moyenne, Raymond Barbin ne reçoit que trois personnes par semaine. Un chiffre qui peut paraître bien maigre. Néanmoins, « il faut plus d'une demi-heure pour comprendre une histoire personnelle. Ensuite, la gestion du dossier peut prendre deux à trois heures, ou s'étendre sur plusieurs mois », nuance le délégué. Et comme il ne peut étudier la situation qu'à partir des pièces fournies par l'usager, il lui faut d'abord interpeller l'institution mise en cause pour s'assurer de la véracité du propos.

Souvent d'ailleurs, le litige est réglé assez rapidement par la médiation. « On écrit avec du papier à en-tête de Marianne, plaisante-t-il  ; alors les administrations, qui n'aiment pas trop être questionnées, répondent très vite. » Le conflit n'a fréquemment pour origine qu'une mauvaise interprétation des faits par l'une ou l'autre des parties. Là, la mission du délégué du médiateur prend toute sa dimension : celle d'améliorer les relations entre les habitants des quartiers et l'administration. « Les gens savent que notre porte est ouverte et que même si nous ne résolvons pas leur problème, une réponse va leur être donnée. Alors que dans les administrations, on n'est jamais au bon endroit au bon moment. Il faut une certaine force aujourd'hui pour demander son dû. »

Du coup, un certain nombre d'usagers, désappointés face à une administration dont ils ne parviennent pas à se faire entendre, se retrouvent dans le bureau du médiateur, à la recherche d'un simple appui. Raymond Barbin cite l'exemple de cet homme d'origine algérienne, qui vient le voir presque toutes les semaines, un jour pour lui parler d'un divorce, un jour pour son fils qui vient d'être mis sous tutelle, etc. Ou celui de ce médecin venu pour des questions très pointues de propriété. « On entend tout. On vient beaucoup nous demander conseil, comme dans des permanences d'assistance juridique. J'ai vu arriver - nous sommes sur un site universitaire - une dame qui louait une chambre sans bail. Je lui ai simplement conseillé d'en établir un ; elle est repartie », explique-t-il.

25 ANS DANS LE TRAVAIL SOCIAL

Aujourd'hui assesseur au tribunal pour enfants de Créteil, une fonction qu'il cumule avec celle d'administrateur ad hoc (3) , Raymond Barbin a derrière lui 25 ans d'expérience du travail social. Sa carrière, débutée comme animateur en centre de loisirs, puis éducateur spécialisé dans un foyer de semi-liberté, lui a permis d'aborder deux des domaines qui lui tenaient à cœur. Celui du tourisme social, en tant que directeur de centres de vacances notamment, et celui de l'habitat, puisqu'il a exercé comme chargé de mission pour la mise en place de la loi Besson dans une association, avant de rejoindre une autre structure ayant, elle, pour vocation de loger des personnes atteintes du VIH ou malades du sida.

Ces demandes nombreuses d'information et de conseil dépassent les strictes attributions du médiateur. Dans les faits, sa fonction d'orientation est très importante. Un rôle de filtre, en quelque sorte, qu'il ne réfute pas : « Je suis un maillon, je suis là pour aiguiller aussi », assure-t-il. Confronté à un problème particulièrement épineux, Raymond Barbin renvoie ses visiteurs vers des permanences juridiques, des assistants sociaux, ou encore vers des associations caritatives.

« Ce qui me confère une certaine autorité, c'est d'avoir travaillé autour de l'individu et des groupes, de connaître les institutions publiques et les associations », défend cet homme convaincu de l'intérêt de sa mission. Cette transversalité permet, selon lui, d'éviter le sentiment d'isolement dont se plaignent certains des nouveaux délégués (4). « Celui qui n'a jamais travaillé en réseau et qui n'a pas le bon sens et surtout la débrouillardise nécessaire pour pénétrer certains organismes, a forcément quelques difficultés à remplir cette mission. »

Sa nouvelle fonction s'inscrit dans le droit-fil de ses expériences antérieures. Au même titre en effet que le travail social, il l'envisage comme une démarche citoyenne qui consiste à aider l'individu à se prendre en charge. « Mon message de travailleur social est de dire que des services existent et que le réseau est très riche pour se sortir d'une situation. »

Comment définit-il sa mission ? Elle consiste, selon lui, à rappeler que chaque citoyen a des devoirs et des droits. Le délégué insiste d'ailleurs auprès de ses visiteurs sur cette notion de devoir. Une façon de les engager à se prendre en charge. De rappeler que tout ne tombe pas du ciel. « Je constate que dans le secteur social, il y a des habitués de l'assistance. Celui-ci fait émerger des errants, analyse-t-il. Certaines personnes savent très bien qu'il existe des unités de soins, des organismes qui donnent la soupe le soir. »

Ce qui intéresse également l'ancien travailleur social, c'est de toucher à des problèmes du quotidien. Mais aussi de tenter de « démêler les problématiques, souvent multiples, ou de déceler le problème humain qui se cache derrière la question concrète, immédiate, qui motive la démarche vers le médiateur ».

Si les situations sont en effet souvent complexes et très diverses, elles ont cependant un point commun : la dimension de l'individu face à l'administration. « C'est le pot de terre contre le pot de fer. Entre les deux, le médiateur doit tout régler. Vous entendez la détresse d'un requérant pour qui sa demande est la plus importante. Et face à lui, vous avez une administration pour laquelle il est compliqué de revenir sur une décision. »

Reste à savoir comment le nouveau délégué de proximité est perçu, en particulier par les administrations locales, premières concernées. Si elles sont informées de son existence et reconnaissent, plus ou moins volontiers, les difficultés que peuvent rencontrer leurs usagers, celles interrogées par les ASH hésitent encore à se prononcer. De fait, la nomination du délégué n'est intervenue que très récemment - il y a six mois - et le nombre d'affaires traitées est encore très limité. A la trésorerie principale de Créteil, on explique ainsi que très peu de dossiers ont fait l'objet d'une intervention du délégué et que les contribuables disposent déjà de nombreux canaux pour exercer leurs recours. Aussi, cette nouvelle fonction apparaît-elle d'abord comme un intermédiaire de plus. « Cela ne change rien dans les relations avec nos contribuables », explique l'un des responsables de la trésorerie. A la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne, Rémi Gervat, responsable des ressources humaines, se montre « tout à fait favorable à toute aide extérieure dans la compréhension et le traitement des dossiers, dans un souci d'accès au droit ». Mais, jusqu'à présent, il n'a pas eu connaissance d'interventions du nouveau délégué du médiateur.

Le temps manque

A la circonscription d'action sociale de Créteil, Raymond Barbin fait désormais partie des personnes ressources. « Nous dirigeons vers lui notre public, quand il y a lieu, reconnaît Marie-Jo Igabille, responsable adjointe à la circonscription. Mais nous ne menons pas pour l'instant de travail de collaboration plus fructueux. Ce n'est pas un refus de notre part, je pense que la fonction est absolument nécessaire pour les habitants de nos quartiers. Ce sera probablement fait à la rentrée. »

Mais, pour l'ancien travailleur social, le temps manque. Il s'agit sans doute là de l'une des difficultés du délégué du médiateur, qui ne dispose que de deux permanences d'une demi-journée par semaine.

En effet, si Raymond Barbin juge la fonction réellement utile, il faudrait du temps pour effectuer un important travail en amont. Un travail de contact, de prospection pour appréhender la ville, connaître sa sensibilité. « Moi, je me suis lancé dans cette mission en assumant ce manque de temps. Il est clair que pour l'instant, les individus ont des demandes qui ne sont pas résolues. Mais la fonction peut se concevoir comme un vrai travail, avec en amont et en aval un “staff” organisationnel départemental. Actuellement, conclut-il, c'est compliqué d'être un homme-orchestre. »

Sandrine Pageau

DES PROFILS DIVERSIFIÉS

Jusqu'à présent, les délégués du médiateur, installés en préfecture depuis 1978, étaient en majorité des fonctionnaires à la retraite (64 %). Afin de « mieux correspondre à la diversité de la société civile », le recrutement a été ouvert plus largement au secteur privé, aux jeunes et aux femmes. Toute personne disposant de connaissances juridiques, d'un état d'esprit correspondant à la mission de médiation et ayant une bonne appréhension des quartiers en difficulté, peut désormais se porter candidate. Les nouveaux délégués en place (5) , qui perçoivent une indemnité mensuelle de 2 200 F net, sont donc issus de tous les secteurs d'activité, même si la moitié d'entre eux relève encore du secteur public. Un quart vient du secteur associatif, et 16 % sont étudiants. Les femmes représentent 62 % d'entre eux, et 82 % ont moins de 55 ans. La médiature de la République souhaite encore accentuer la féminisation et le rajeunissement du recrutement de 200 nouveaux délégués en 2001 et 2002.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2146 du 17-12-99.

(2)  Sur le bilan du médiateur de la République et de ses délégués pour 2000, voir ASH n° 2212 du 27-04-01.

(3)  Les administrateurs ad hoc sont chargés d'assister les mineurs victimes d'infractions sexuelles lorsque la protection de leurs intérêts ne peut pas être assurée complètement par leurs représentants légaux ou par l'un d'entre eux .

(4)  Lors d'une réunion organisée le 10 avril par le ministre délégué à la ville - Voir ASH n° 2210 du 13-04-01.

(5)  Selon le Rapport 2000 au président de la République et au Parlement - Médiature de la République : 53,  avenue d'Iéna - 75116 Paris - Tél. 01 45 02 72 72.

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