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Une « balise » pour l'évolution des politiques sociales

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L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté, le 21 mai, la nouvelle « classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé »   (1). Marc Maudinet, directeur du Centre technique national d'études et de recherche sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI) (2), en explique la portée.

Actualités sociales hebdomadaires : Pourquoi la précédente classification a-t-elle été révisée ?

Marc Maudinet : La première classification internationale des handicaps avait été publiée officiellement en 1980 par l'OMS, qui est une agence de l'Organisation des Nations unies (ONU). Or, en 1993, celle-ci a adopté des « Règles pour l'égalisation des chances des handicapés », axées sur la non-discrimination et la pleine participation à la société. L'organisation a souhaité une révision de la classification pour la faire correspondre à cette logique. D'où le processus engagé en 1995. Quel est l'esprit de la révision ?

- L'une des principales critiques adressées à la version de 1980, intitulée « Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités, désavantages », était d'avoir été dominée par le modèle médical du handicap, mettant l'accent sur les déficiences physiques ou mentales, mais ne valorisant pas suffisamment la participation sociale. La classification révisée s'appuie davantage sur le modèle social : on met en exergue la participation de la personne et son environnement.

En outre, l'ancien modèle ne correspondait plus à la vision que voulaient défendre les organisations de personnes handicapées. Elles demandaient, pour certaines, en particulier les associations anglo-saxonnes, que l'aspect négatif du handicap - qui permet d'engager des processus de compensation, dans une logique de discrimination positive - ne soit plus le seul élément mis en valeur. Les concepts de « déficiences », « incapacités », « désavantages »  ont été remplacés par ceux, plus neutres, de  « fonctionnement », d' « activité », de « participation ». Le désavantage n'existe pas a priori mais il y a possibilité de participer à la société ou restriction de cette participation. En fait, la classification ne concerne plus seulement le handicap, mais elle décrit les composantes de la santé - terme qui reste à définir - et certains éléments du bien-être relatifs à la santé. Elle est susceptible de s'appliquer au « fonctionnement humain »  dans sa totalité. C'est une évolution importante, mais qui pose question... Est-il possible de classer l'humain de façon universelle ?

Le CTNERHI, « centre collaborateur » français de l'OMS en vue de la révision de la classification, est réservé sur le texte adopté...

- Le processus a été lancé avec l'objectif d'établir une deuxième classification du handicap. Mais il est apparu plus important, au fur et à mesure des travaux, de classer le « fonctionnement humain » dans son ensemble pour avoir des statistiques internationales fiables sur la santé. Cette démarche est intéressante, mais il semble que les indicateurs sont centrés sur les pays occidentaux. L'universalité de ce modèle se réduit à l'hémisphère nord. Ce sera probablement source de difficultés pour les statisticiens et les épidémiologues à venir.

En outre, dans la nouvelle classification, on raisonne de façon binaire. On peut, ou pas, faire telle chose. Et la description de l'environnement est statique. Les liens que les personnes entretiennent avec leur environnement n'apparaissent pas de façon dynamique. Mais quand nous avons voulu introduire la subjectivité de la personne, son implication dans la prise de décision, nous n'avons pas été entendus. Ceci reste pourtant important puisque l'on entend classer universellement l'être humain !

Vous êtes donc déçus ?

- Il ne s'agit pas de jeter le bébé avec l'eau du bain. La première classification avait eu un effet pédagogique en permettant de mieux comprendre le handicap, à travers trois éléments distincts, la déficience, l'incapacité et le désavantage. La nouvelle version s'ouvre à l'environnement des personnes. Il s'agit d'un premier pas et nous espérons le même effet pédagogique avec cette nouvelle classification.

De plus, raisonner en ne mettant pas toujours l'accent sur le handicap constitue un changement de point de vue intéressant. A condition toutefois - c'est l'une des craintes de la France, qui dispose d'une protection sociale importante - que ce raisonnement ne soit pas poussé à l'extrême. Des compagnies d'assurance pourraient refuser d'indemniser en se fondant sur ce que la personne peut encore faire. De même, cette logique pourrait servir de support au désengagement de l'Etat : une non-discrimination totale supposerait qu'il n'y ait aucune loi sur le handicap et les personnes en difficulté, ainsi que la disparition du secteur spécialisé. On peut glisser vite vers un modèle libéral. C'est pourquoi les associations françaises sont vigilantes.

La France a d'ailleurs émis des réserves lors de l'adoption du nouveau texte, l'estimant insuffisamment testé...

- Deux premières versions du texte révisé ont été testées. Chaque centre collaborateur a sollicité des spécialistes, organisé des conférences, pratiqué des tests linguistiques pour la clarté des termes, etc. Alors qu'il y avait un quasi-consensus, et que tout le monde avait travaillé pendant plusieurs années sur cette deuxième version révisée, un nouveau texte a été proposé par l'OMS en décembre 2000, regroupant activité et participation en une seule catégorie. C'est ce texte qui a été adopté par l'Assemblée mondiale de la santé. Quelle sera son opérationnalité ? Nous n'en savons rien car il n'a pas été testé.

Quel devrait être l'impact de ce nouveau texte ?

- La classification n'est pas imposée aux Etats, mais elle s'imposera probablement d'elle-même. Les organisations internationales la prendront comme référence. Elle servira de base aux statistiques mondiales, ce qui peut entraîner une modification de l'approche des Etats qui vont vouloir rentrer dans ce cadre. L'enquête sur les personnes handicapées menée par l'INSEE ces dernières années (3) s'appuyait sur la première classification. Dans la prochaine enquête, il entrera vraisemblablement des éléments du nouveau texte.

Les politiques sociales françaises ne vont pas être modifiées du jour au lendemain. Mais l'influence de la nouvelle classification va faire apparaître de nouvelles grilles d'analyse des situations. La révision, en 1993, du guide barème des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel pour l'attribution des taux d'incapacité, par exemple, s'est appuyée sur l'articulation entre déficiences, incapacités et désavantages de la première classification. Ce barème est actuellement en révision, et il est trop tôt pour que la version en préparation tienne compte de la nouvelle classification. Mais elle apparaîtra sans doute lors de la prochaine refonte.

Pour un directeur d'établissement, ce texte ne change rien dans l'immédiat. Mais il lui indique la façon dont sont en train d'évoluer l'ensemble des politiques sociales. C'est une balise, un outil d'évaluation de ses propres outils de travail, de son organisation interne... Il est probable, par exemple, que dans cinq ans, les schémas départementaux d'hébergement et d'accompagnement des personnes handicapées prendront en compte la deuxième classification pour évaluer les besoins de prise en charge.

Quels sont les chantiers à venir ?

- Il reste beaucoup à faire. On entre dans un processus de travail collectif pour trouver une cohérence internationale à l'utilisation de cette classification. Il est normal qu'il y ait des craintes. Mais c'est à nous, acteurs, de construire son opérationnalité et de faire en sorte que modèles médical et social ne soient plus opposés. Il faut trouver un équilibre. Et sortir du raisonnement binaire pour réintroduire du lien social, de la subjectivité...

Quant au CTNERHI, il doit être très attentif à tous les effets induits. Quel impact sur la représentation des personnes handicapées, sur la révision du guide barème... ? Que change-t-il aux pratiques des professionnels ? Il va falloir déterminer les difficultés d'utilisation rencontrées par les médecins, les institutions... Dans un département, on pourra, par exemple, établir des statistiques de prise en charge avec cet outil ; dans un établissement, on le prendra comme support de réflexion sur le fonctionnement des services. Il faut aussi créer un outil pédagogique pour expliquer cette nouvelle classification aux différents acteurs. Mais notre programme de travail n'est pas encore arrêté. Nous devrions le définir à la rentrée avec la direction générale de l'action sociale.

Propos recueillis par Céline Gargoly

LE B. A. BA DES CLASSIFICATIONS

Les classifications de l'OMS permettent de coder les informations relatives à la santé. Elles utilisent un langage commun normalisé facilitant la communication dans le monde entier entre différents utilisateurs, notamment les travailleurs de santé, les chercheurs, les décideurs et le public en général, y compris les personnes handicapées. La première classification a été utilisée comme outil statistique. Mais aussi comme outil de recherche - pour mesurer les conséquences des maladies, la qualité de vie... ; comme outil clinique, par exemple pour l'évaluation des résultats de la réadaptation ; comme outil de politique sociale -pour planifier la sécurité sociale, les systèmes d'indemnisation, etc. ; et comme outil pédagogique - pour la conception de programmes de formation... Elle reposait sur trois catégories : la déficience, en rapport avec les organes et les fonctions du corps et de l'esprit ; l'incapacité, conséquence de cette déficience sur les actes élémentaires de la vie quotidienne en termes de communication, de locomotion, de soins corporels, d'aptitudes à la vie professionnelle ; le désavantage, conséquences de la déficience et/ou de l'incapacité sur l'insertion de la personne dans un groupe social. La classification révisée permet de décrire le fonctionnement humain et les restrictions qu'il peut subir, selon un mécanisme à deux étapes. Elle établit d'abord deux listes de base : les fonctions organiques et les structures anatomiques d'une part, les activités (de la vie quotidienne) et la participation (à la société) d'autre part. Elle dresse aussi la liste des facteurs environnementaux qui ont un impact sur ces composantes : l'environnement physique et matériel, les relations avec la famille, les amis, les pairs..., mais aussi les lois et réglementations, les réseaux sociaux officiels, les services de transport, les attitudes et les idéologies... A chaque point de chaque liste correspond un code alphanumérique. Un ou plusieurs autres codes qualificatifs précisent l'ampleur du fonctionnement (ou du handicap, s'il y a par exemple incapacité, limitation d'activité ou restriction de participation) ou la mesure dans laquelle un facteur environnemental est un facilitateur ou un obstacle pour la personne. Au total, si l'on utilise la version intégrale de la classification, la situation de chaque personne peut être décrite avec 1 424 codes.

Notes

(1)  La nouvelle classification est disponible en français sur le site de l'OMS : http ://www.who.int/icidh.

(2)  Le CTNERHI est l'un des huit « centres collaborateurs » de l'OMS pour cette révision - CTNERHI : 236 bis, rue de Tolbiac - 75013 Paris - Tél. 01 45 65 59 00.

(3)  Dite « HID »  - Voir ASH n° 2186 du 27-10-00.

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