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Un espace pour se reconstruire

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A la suite d'itinéraires souvent chaotiques, les jeunes filles placées à la Villa-Préaut (Villiers-sur-Marne) y trouvent un point d'ancrage souple où reprendre pied dans la vie. Mais apprivoiser des adolescentes en rupture de liens est un travail au long cours, nécessitant une grande tolérance et beaucoup de compréhension.

A quelques encablures de Paris, dans un environnement tranquille et coquet avec ses pavillons bordés de jardinets, la Villa-Préaut de Villiers-sur-Marne constitue le port d'attache temporaire de 31 jeunes filles âgées de 16 à 21 ans (1). Placées dans ce foyer éducatif de l'association Jean-Cotxet par un juge des enfants (tribunaux du Val-de-Marne, de Paris et des autres départements de la région parisienne) et généralement suivies par un référent extérieur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), les adolescentes sont encadrées par une équipe de 15 éducateurs. Ceux-ci les accompagnent au sein des différentes unités de vie du foyer : la villa proprement dite où habitent 11 jeunes filles, cependant que, dans une rue adjacente, deux pavillons regroupent, chacun, huit pensionnaires ; au fond de leur jardin commun, une maisonnette aux volets bleus - sans maîtresse de maison ni éducateurs sur place, à l'inverse des autres structures - permet à quatre jeunes majeures d'expérimenter un début d'indépendance.

Le dernier recours

On n'arrive pas par hasard à la Villa-Préaut : réputées « incasables », environ la moitié des adolescentes ont déjà connu - et mis en échec- une bonne dizaine de placements (en familles d'accueil, foyers éducatifs ou lieux de vie). « Pour les organismes qui nous les adressent, note Monique Pacot, chef de service, nous sommes considérés comme le dernier recours : si la jeune fille ne trouve pas sa place ici, le juge mettra fin, au moins provisoirement, à sa prise en charge, quel que soit l'âge de l'intéressée. » D'autres adolescentes n'ont pas ce long parcours décousu - même s'il s'avère parfois, notamment dans les familles d'origine africaine, que beaucoup ont été hébergées chez différents membres de la parenté. Inter- venant à la suite d'une crise grave (découverte d'un viol ou d'un inceste, conflit très dur avec les parents consécutif à une fugue, etc.), leur placement à la Villa-Préaut est leur première expérience institutionnelle. Cinq ou six autres pensionnaires de la villa, enfin, sont des jeunes filles présentant des troubles importants de la personnalité, ayant souvent déjà connu plusieurs hospitalisations en psychiatrie et que les services hospitaliers ne veulent pas ou ne peuvent pas garder (2). « Avec ces gamines-là, dont on ne sait pas toujours si on a eu raison de les accueillir, on fait un peu un travail d'équilibristes », reconnaît François Samson, psychiatre exerçant à temps partiel dans le foyer. Néanmoins l'expérience prouve qu'elles tirent bénéfice de la vie de groupe :partager le quotidien de jeunes moins déstructurées leur permet de mobiliser leurs capacités relationnelles et intellectuelles et, sur les dix dernières années, seules trois d'entre elles ont dû être réorientées en raison de leurs troubles psychiques.

« Au début, se souvient Monique Pacot, présente à la villa depuis son ouverture en 1982, on s'interrogeait sur les problèmes que pourrait entraîner une telle hétérogénéité des publics :par exemple, quand une jeune délire, comment va réagir sa voisine de chambre ? » Bien sûr, certaines se plaignent : « Moi j'irais bien à l'école, s'il n'y avait pas des folles qui font le bazar la nuit et m'empêchent de dormir ! » Mais en fait, la solidarité joue et la différence n'est pas rejetée. «  Contrairement à nous qui faisons des clivages entre ce qui relève, ou pas, de la psychose, les jeunes, ici, savent qu'elles ont toutes, à un moment ouun autre, “déraillé”. Et de constater que l'équipe ne réagit pas alors sur le mode de la violence, a quelque chose de rassurant » commente François Samson.

D'autant que les crises et autres explosions de fureur et d'invectives ne sont pas l'apanage des seules personnalités très perturbées. D'ailleurs, la grande majorité de ces manifestations ne relèvent pas d'un recours en urgence à la psychiatrie, mais elles sont des appels à l'aide adressés aux adultes : les éducateurs, comme le directeur ou la secrétaire du foyer, la maîtresse de maison, l'homme d'entretien. D'où l'importance d'être à plusieurs pour faire face à ces démonstrations spectaculaires dont les effets s'avèrent souvent très libératoires : « La crise aide les jeunes à avancer et fréquemment, après la tempête, elles réussissent à nouer des relations beaucoup plus authentiques avec nous », constate Valérie Gimonet, éducatrice. Dans cette réflexion sur le sens du passage à l'acte, les membres de l'équipe, quel que soit leur statut dans l'institution, sont accompagnés par un psychiatre analyste extérieur au foyer.

Proposer un espace suffisamment souple et contenant pour que la violence du mal-être puisse s'exprimer sans que cette confrontation conflictuelle occasionne le rejet des intéressées : c'est tout l'enjeu du travail mené au foyer. Mais apprivoiser des « sauvageonnes » dont la première activité consiste à essayer de se faire renvoyer n'est évidemment pas chose aisée. « Elles dépensent beaucoup d'énergie et d'intelligence pour y parvenir », commente Alain Griffond. L'équipe du foyer en déploie tout autant pour résister à l'envie de les satisfaire. Elle dispose, pour cela, d'un atout maître : l'absence de règlement formel. Ainsi, par exemple, il n'est nulle part stipulé qu'on est autorisé à fumer dans les couloirs ou à injurier les adultes. Mais nul écrit non plus ne précise que c'est interdit avec cette tarification faute-sanction qui finirait par aboutir, immanquablement au renvoi. « Pour les adolescentes que nous accueillons, un tel système fonctionnerait comme une véritable provocation à la transgression », explique Alain Griffond. Le fait de ne pas brandir d'interdictions à tout bout de champ permet que s'instaure, progressivement, une relation de confiance, préalable à l'intériorisation de limites. « A la différence d'autres établissements plus rigides, note Abdoulaye Thiam, éducateur récemment arrivé à la villa , la fluidité qui règne ici semble conduire les filles à s'autonormer. »

La plupart des adolescentes ont été victimes de la toute-puissance des adultes, jusques et y compris sur leur corps. « Ce qui, avec d'autres jeunes ayant reçu une éducation ordinaire de parents suffisamment chaleureux, constituerait un simple rappel à l'ordre, représente, pour elles, une répétition de cette toute-puissance de l'autre qui déclenchera leur fuite ou un enchaînement de processus menant à leur exclusion. C'est pourquoi il nous faut savoir lâcher du lest », estime François Samson. Cela n'empêche pas l'équipe de recourir, le cas échéant, à la soupape de sécurité que constituent les séjours dits « de rupture » - au sens de changement d'air -, pour éviter la rupture-expulsion. « Pendant les dix jours que la jeune fille aura passé dans une famille d'accueil en Ardèche, tout le monde peut souffler, et on redémarre de façon plus sereine », explique Monique Pacot.

Si, à la villa, il est quasiment proscrit d'exclure, deux interdits très forts sont néanmoins signifiés d'emblée aux adolescentes : ils concernent la toxicomanie dure et les relations sexuelles au foyer. Il est arrivé que, pour la première raison, des adolescentes soient orientées sur d'autres structures. En revanche, la deuxième règle semble jouer de façon protectrice et n'est qu'exceptionnellement mise à mal par les jeunes filles, y compris celles qui ont, au-dehors, une sexualité très dispersée. Pour le reste, tout se parle et s'explique, se négocie et se traite, en tête à tête et au cas par cas. Qu'il s'agisse des sorties ou de tout autre sujet - ce qui sera possible à l'une n'est pas automatiquement accordé à l'autre. Chacune obtient une réponse adaptée à sa maturité ou à sa capacité d'accepter une contrainte. Cette attitude, curieusement, ne semble pas poser de problèmes aux intéressées : en fait, constate Valérie Gimonet, « les jeunes comprennent que chaque situation est unique et appelle, comme telle, un traitement différencié ». Entre elles d'ailleurs, les adolescentes n'agissent pas autrement : estimant que Zoé va mal, elles pourront accepter pendant plusieurs mois que leur camarade s'adresse à elles uniquement sur le mode de l'insulte, alors qu'elles ne se laisseraient invectiver par nulle autre.

Un lieu pour elles, en exclusivité

Ce temps de reconstruction et de socialisation proposé aux adolescentes est aussi un temps de distanciation d'avec leur famille. La Villa-Préaut est leur foyer, un espace où elles ont leur place, pas leurs parents. La présence de ces derniers est refusée lors de l'admission. Et s'ils peuvent venir par la suite, bien peu nombreux sont ceux qui cherchent à rencontrer le directeur ou le psychiatre. « Nous sommes d'abord là pour protéger les jeunes de la folie de leur famille et nous ne souhaitons pas prendre en charge, directement, le travail de régulation avec le milieu familial », déclare François Samson. Sur ce point, l'équipe cherche à généraliser la collaboration avec un tiers extérieur (référent ASE ou éducateur de milieu ouvert).

Rien n'interdit, pour autant, à l'adolescente de se rendre dans sa famille, si elle le souhaite. Qu'il s'agisse d'aller voir les parents à Paris, la grand-mère en Espagne, le frère à Quimper ou la cousine en Suisse, « nous facilitons ces contacts en achetant les billets, mais sans pousser aux rencontres », explique Alain Griffond. En rupture avec l'idéologie du maintien, à tout prix, du lien parental, l'équipe du foyer estime qu'une prise de recul avec un passé douloureux peut avoir des effets positifs à terme : cette période de mise à distance des parents serait un préalable permettant à la jeune fille d'élaborer, ensuite, des relations moins pathogènes avec eux. Une position que corrobore une étude sur le devenir d'adolescentes placées à la Villa-Préaut entre 1982 et 1996, réalisée par la sociologue Isabelle Fréchon : 5,  10,15 ans après leur départ, selon les cas, la majorité d'entre elles expriment leur satisfaction d'avoir pu réaménager leurs rapports avec leur famille, à leur initiative et à leur rythme - pas ceux du juge, des éducateurs ou des parents (3).

Passer de la répétition traumatique à l'appropriation de sa propre histoire exige néanmoins un temps de maturation suffisant. C'est pourquoi la durée du placement doit être assez longue, afin qu'un travail plus personnel puisse compléter le travail proprement éducatif. « Je ne fais pas de psychothérapies au foyer, précise cependant François Samson, mais un travail préparatoire à une thérapie, que certaines jeunes entreprendront éventuellement à l'extérieur, souvent plusieurs années après leur sortie. » Toutes ne passent pas à cette seconde étape. Néanmoins, elles apprennent, à la Villa-Préaut, que la parole a un sens et que les conflits peuvent se régler avec des mots, pas uniquement avec des coups. Les jeunes filles savent également que la porte du foyer leur restera toujours ouverte en cas de besoin - et elles ne se privent pas de la pousser. A tout moment, quelle que soit la date de fin de leur prise en charge administrative et financière, les anciennes peuvent en effet faire appel au psychiatre, aux éducateurs ou à l'assistante sociale mandatée pour exercer le suivi après placement. Mais elles sont nombreuses, aussi, à revenir tout simplement prendre un repas dans leur ancien « chez elles ».

Caroline Helfter

Notes

(1)  Villa-Préaut : 2 ter, rue de Cœuilly - 94350 Villiers-sur-Marne - Tél. 01 49 30 82 90.

(2)  Le foyer travaille aussi en partenariat avec des lieux de soins spécifiques (intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile, CMP, hôpitaux de jour, services de psychiatrie de l'Assistance publique).

(3)  Au moment de l'enquête, trois quarts des 70 jeunes femmes interrogées entretenaient des relations avec leur mère et 50 % avec leur père.

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