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Un nouvel outil pour l'insertion

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Améliorer, promouvoir la santé des détenus et faciliter leur insertion, tels sont les objectifs de l'éducation pour la santé en milieu carcéral. Si, sur le terrain, divers projets prennent vie, ils se heurtent aussi à maints écueils. Et paradoxes.

« Il y a peu de temps encore, l'éducation pour la santé n'était pas gagnée. Et pas que dans la pénitentiaire ! Il faut donc mesurer le chemin parcouru. Même s'il reste beaucoup à faire. » Formulée par Odile Sampeur, directrice adjointe du centre pénitentiaire de Nantes, lors du colloque « Education et promotion de la santé en milieu pénitentiaire »   (1), ce constat en demi-teinte reflète le sentiment des professionnels. En clair, malgré un démarrage difficile, la dynamique est lancée, mais de nombreux freins subsistent.

En confiant au service public hospitalier l'organisation des soins en milieu carcéral ainsi que la coordination d'actions de prévention et d'éducation pour la santé, la loi du 18 janvier 1994 (2) visait à « assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles offertes à l'ensemble de la population ». Si le but est loin d'être atteint, en particulier en matière de santé mentale, cette réforme a cependant permis de faire un pas vers la notion de détenu-citoyen. Elle a aussi obligé nombre d'acteurs aux cultures différentes à travailler ensemble. Non sans mal.

En milieu carcéral, l'éducation pour la santé repose sur la qualité du partenariat entre les équipes sanitaires, les personnels pénitentiaires et les intervenants extérieurs. Chacun doit faire un pas vers l'autre, en comprendre les missions et en accepter les contraintes. Voire les contradictions, comme celles de l'administration pénitentiaire, entre les notions de garde et d'insertion. Aussi le niveau de partenariat varie-t-il d'une prison à une autre. Pour Didier Coudray, conseiller d'insertion et de probation à la maison d'arrêt de Saint-Malo, « s'il y a sur le fond l'acceptation tacite d'un travail en commun, il convient d'abord de s'entendre sur les demandes. Les critères d'un conseiller d'insertion et de probation ne sont pas forcément ceux du directeur, du surveillant ou du médecin. Le risque est de voir les actions se juxtaposer, ce qui en desservira le sens. Or le sens n'appartient pas à un seul corps professionnel. »

L'interdisciplinarité exige donc des acteurs de trouver un langage commun. La formation semble alors le moyen idoine. En atteste le bilan de la formation- action, orchestrée entre 1998 et 2000 dans dix sites pilotes par l'administration pénitentiaire, la direction générale de la santé et le Comité français d'éducation pour la santé. En offrant à des équipes de terrain pluridisciplinaires une aide à la mise en place de programmes d'éducation pour la santé, cette action leur a permis de mieux saisir le concept, de forger une méthodologie et d'améliorer le travail partenarial. Voire de faire taire, par la médiation des formateurs, des conflits qui perduraient depuis la création des unités de consultation et de soins ambulatoires au sein des établissements.

Mais les équipes ont aussi à surmonter l'extrême paradoxe que constitue l'éducation pour la santé dans un milieu tel que la prison. D'abord, l'enfermement génère des pathologies propres :pertes du sommeil, angoisse, tabagisme, troubles mentaux, automutilations, auxquelles il faudra souvent remédier. Ensuite, observe Odile Sampeur : «  Rendre acteur, dans une dynamique d'éducation pour la santé, quelqu'un qui exécute une peine, dans un lieu qu'il n'a pas choisi, n'a rien d'évident. » De plus la prison signifie aussi, assure Didier Coudray, « une attitude de régression. Le détenu a beau revendiquer une autonomie, il lui faut une sacrée force de caractère pour ne pas répondre au ronron du temps carcéral : je mange quand on me sert, je sors quand on m'ouvre. Il devra donc reprendre sa position de sujet. »

Enfin, les conditions de vie dans maints établissements empêchent de considérer l'éducation pour la santé comme une priorité, ou nuisent à la crédibilité des actions. Difficile de convain- cre des bienfaits du shampoing des gens qui n'ont quasiment pas accès aux douches. Ou d'aborder la question du sommeil sans régler celle de la proximité d'une poubelle malodorante. «  L'éducation pour la santé n'est pas dissociable d'un droit à l'hygiène, affirme Didier Coudray. Je suis toujours frappé de voir des collègues de coursive accepter que la crasse existe en prison. Comme si elle faisait partie intégrante de sa conception ! » Une mentalité bien ancrée quand on sait que l'éducation pour la santé a permis parfois, juste en pointant les insuffisances, d'améliorer les conditions de détention :arrivée de l'eau chaude, évolution de l'hygiène alimentaire.

Se réapproprier son corps

Mais si cette démarche éducative permet à l'administration pénitentiaire d'avancer, elle cherche avant tout à faire progresser les détenus dans leur approche de la santé. « Avant leur incarcération, constate Marie-Thérèse Climas, médecin responsable de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de la maison d'arrêt de Rochefort, la plupart ont négligé leur hygiène de vie. Ils ont évolué dans des conditions qui la rendaient impossible. Beaucoup n'ont recours aux soins que dans l'urgence, ne se projettent pas, voire sont dans la dépendance. » De fait, nombre d'entrants cumulent de très lourdes difficultés sanitaires, psychologiques et sociales (1). « Dès lors, l'action qu'on peut mener, analyse Jean-Daniel Sibert, responsable du service pénitentiaire d'insertion et de probation de Savoie, consiste d'un côté à les amener à se soigner, c'est médical ; de l'autre, de façon pluridisciplinaire, à leur faire comprendre qu'ils doivent ménager leur capital corps. » A cette fin, dans les prisons, trois types d'actions se sont mises en place : des séances collectives thématiques et ponctuelles, des ateliers d'expression verbale ou artistique, et des actions, plus rares, de réflexion à long terme. Il s'agit pour les détenus de se réapproprier leur santé, de s'interroger sur leurs comportements, de se responsabiliser, d'acquérir une estime de soi et de là un respect des autres, enfin de se projeter dans l'avenir.

A la maison d'arrêt d'Orléans, un programme de prévention des rechutes chez les malades alcooliques, visant à les doter d'outils comportementaux alternatifs face à l'alcool, a été élaboré à la suite d'une réflexion en unité de consultation et de soins ambulatoires et en service pénitentiaire d'insertion et de probation. « Environ 30 % des détenus, explique le docteur Marie-Christine Boutrais, étaient des malades alcooliques et, très souvent, cette consommation avait entraîné un passage à l'acte, délictuel ou criminel. Il nous semblait intéressant d'utiliser le temps passé en détention pour initier des soins. »

Pour coller aux temps d'incarcération, souvent courts en maison d'arrêt, l'action s'étale sur trois mois. Un premier module, obligatoire, incite les malades alcooliques à participer au programme en six séances de groupe. « Les détenus peuvent aussi, ajoute-t-elle, rencontrer des professionnels pour poursuivre dehors leur prise en charge thérapeutique. » Et c'est bien là l'un des enjeux de l'éducation pour la santé : comment maintenir la demande de soins à la sortie et le bénéfice des actions ?Une question clé pour Jean-Daniel Sibert : « Si l'on ne réussit pas à transférer à l'extérieur cet état d'esprit de promotion de la santé, on risque de voir revenir des gens qui auront récidivé pour avoir repris un rythme de vie n'en tenant pas compte. » Une tâche difficile cependant, car « quand on se retrouve en liberté, on a tendance à vouloir oublier tout ce qu'on a appris en prison », assure Didier Coudray. Aussi, outre la création de relais, l'implication du détenu, dès la conception de l'action, est-elle essentielle.

« Toute la question de l'éducation pour la santé repose sur la prise en compte du détenu, en tant qu'usager du service public, mais aussi en tant que sujet, avec un héritage culturel, social », analyse-t-il. « Les représen- tations de la santé et les demandes des détenus ne sont pas forcément les nôtres, renchérit Marie-Thérèse Climas. Il faut les écouter. » C'est ainsi qu'à Casabianda, centre de détention corse sans barreaux implanté sur un domaine agricole ouvert, l'équipe, qui pensait aborder les accidents du travail, a dû changer son fusil d'épaule. « Nous avons recueilli des données auprès de volontaires sur l'état de leurs représentations de la santé et leurs attentes, via des entretiens semi-directifs de groupe, explique Sophie Balin, psychologue. Or c'est le thème du stress et de la pression au quotidien qui a émergé massivement. » Des groupes de parole ont alors été mis en place. Et les détenus ont pu y exprimer leur souffrance et prouver leur disposition à se prendre en charge. Négocier les termes des projets se révèle donc indispensable.

En atteste aussi l'action menée au centre pénitentiaire d'Aiton. « En 1997, quand on a eu vent des budgets spécifiques de l'administration pénitentiaire pour mener des actions d'éducation pour la santé, narre Jean-Daniel Sibert, on a décidé de monter un projet autour de la surconsommation de médicaments, qui posait de graves problèmes : usage détourné, trafic. » Le service socio-éducatif décide alors de créer une pièce de théâtre, bâtit le projet, trouve des intervenants, puis propose l'action aux détenus. Aucune réaction ! « En parlant avec eux, on a compris qu'ils voulaient conserver la maîtrise du sujet. On a négocié et on a pu former un groupe de travail sur le scénario. » Le thème prévu a été abordé mais parmi d'autres qui leur tenaient à cœur : tels la promiscuité, le suicide, les relations père-fils, la sexualité, la maladie mentale, l'espoir dans l'avenir. Ecrite, la pièce a été jouée et une vidéo réalisée. « Les détenus, très mobilisés, ont noué entre eux des liens de respect. Même avec les condamnés pour affaires de mœurs, d'habitude violemment rejetés. Ils ont progressé dans l'écoute des autres, la tolérance, et ont gagné en aisance en s'exprimant en public. » Depuis, deux groupes de parole mensuels se sont mis en place.

A la maison d'arrêt et au centre pénitentiaire de Caen, enfin, c'est un ambitieux programme qui se construit autour du détenu à partir d'une expérience de trois ans de soins infirmiers personnalisés. Pluriannuel et global, il vise à l'aider à utiliser ses ressources et à se restaurer dans toutes ses dimensions, pour s'inscrire dans un processus de socialisation en vue de sa réinsertion. Réajusté, puis validé par les directions pénitentiaires, hospitalières et le service pénitentiaire d'insertion et de probation, il fédère les professionnels autour de trois axes :hygiène de vie (image de soi, hygiène bucco-dentaire, contraception, alimentation), prévention des pathologies, suicide. En particulier, l'unité de consultation et de soins ambulatoires et le service pénitentiaire d'insertion et de probation initient une action concertée d'accompagnement à la sortie. « Comme chacun a un entretien avec les entrants, explique Anne-Marie Tanniou, cadre infirmier supérieur, nous mettons en place une synthèse commune pour travailler autour d'un objectif central tout au long de la détention. Pour nous, la sortie se prépare dès l'entrée. » Un guide du sortant sera en outre mis au point avec les détenus. « Leur intérêt croît, se réjouit Anne- Marie Tanniou. Néanmoins, nous mettrons des années pour voir l'impact de ce programme. »

Evaluer la démarche

Encore faudra-t-il auparavant que soit réglée la délicate question des critères d'évaluation et que soient créés les outils permettant de jauger la cohérence globale de la démarche d'éducation pour la santé sur le long terme et d'assurer la transférabilité des actions. Les conditions de vie à l'extérieur pourraient bien alors être mises en accusation. Enfin, la réussite de l'éducation pour la santé dépendra aussi de sa reconnaissance dans la démarche d'insertion du détenu. « Or les critères pris en compte pour les réductions de peine sont, culturellement, le travail et la formation, relève Didier Coudray. Quelle rétribution a un détenu faisant un énorme effort pour lâcher le tabac ? Maintenir son corps en état ?Réfléchir à son problème d'alcool ? Il faut aussi prendre en compte cette insertion par la santé. Par le quotidien. »

Florence Raynal

Notes

(1)  Organisé à Rennes, les 2 et 3 avril, par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, le ministère de la Justice et le CFES - Contact : Codess 35 - 1, place du Maréchal-Juin - 35000 Rennes - Tél. 02 99 67 10 51.

(2)  Voir ASH n° 1906 du 22-12-94.

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