Accablant. Le rapport définitif de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'ancien comité départemental de l'Yonne de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH 89) (1) met violemment en cause ses dirigeants. Déjà, les premiers éléments de cette enquête, commandée en décembre par Elisabeth Guigou, avait conduit cette dernière, fin février, à placer un administrateur provisoire à la tête des huit établissements de l'APAJH 89 (2). La lecture du document, daté d'avril 2001, rendu public le 28 mai par l'Association de défense des handicapés de l'Yonne (ADHY), éclaire encore davantage cette décision.
Dans chacune des structures, qui peuvent accueillir 535 personnes handicapées et emploient près de 300 salariés, la mission relève des « dysfonctionnements » : ici, le « laxisme en matière de tenue des locaux », là, « une direction se préoccupant peu des usagers », ailleurs, « des personnels et des usagers en grande souffrance ». C'est cependant au sein du foyer d'hébergement qu'ils sont les plus graves. Plusieurs instances avaient déjà pointé les « dérives financières » et l' « absence de projet éducatif » dans cette structure. L'IGAS, dès 1993, estimait que « la directrice ne possède pas de compétence en matière de gestion ». Les services du conseil général, qui y ont mené plusieurs inspections de 1999 à janvier 2001, énumèrent « des pratiques répréhensibles dans l'utilisation des biens et des personnels du foyer » : repas gratuits pour la directrice et sa famille, utilisation du personnel à des fins privées... Ils soulignent également « l'absence de direction éducative qui se double d'une absence de gestion du personnel aboutissant à une situation de laxisme où chacun gère son temps et son travail en fonction de ses propres intérêts risquant d'entraîner une certaine forme de maltraitance ». Autant de dérives « toujours actuelles », regrette l'IGAS, l'APAJH 89 n'ayant « pris aucune mesure pour remédier à ces dysfonctionnements graves ».
La situation du foyer, il est vrai, n'est que le reflet du climat « malsain » qui règne au sein de l'association, entretenu par le silence qui entoure les affaires à connotations sexuelles qui l'atteignent. En ce qui concerne le chapitre des « disparues » à la fin des années 70, dont certaines fréquentaient ses établissements, l'association « n'entreprend pas les démarches qui contribueraient à faire la lumière sur l'attitude des responsables de l'époque ». Autre exemple, le conseil d'administration a refusé de se porter partie civile contre le secrétaire général de l'association, condamné en 1992 pour abus sexuels sur une jeune handicapée. « En refusant de tirer toutes les conséquences des multiples incidents de violence ou d'abus sexuels survenus dans l'association (3) , ses responsables entretiennent une atmosphère de permissivité avec une forme de perte de repères moraux », lit-on dans le document. Les propos « irrespectueux, parfois obscènes », l' « existence d'un mépris au plus haut niveau de l'association à l'égard des handicapés » contribuent encore à priver les personnels de leur capacité à « discerner la frontière entre une attitude affectueuse et un geste équivoque ou une attitude ferme et une violence inacceptable ». Les inspecteurs de l'IGAS ont également été frappés par l' « atmosphère de peur » régnant dans l'association, évoquée par la plupart des 200 témoins rencontrés : salariés, usagers ou parents, ils ont dit leur peur de la hiérarchie, du président, de la délation, des manipulations, de la rumeur.
Autre point relevé : « l'inversion des priorités de cette association où les considérations financières supplantent les objectifs pédagogiques ». Il importe avant tout, dans un souci de rentabilité, d'assurer la pleine occupation des établissements. Par exemple, l'admission en CAT est conditionnée à la résidence au foyer, une consigne « imposée depuis des années - toujours oralement - aux directeurs [des deux centres] ». Cette gestion « hôtelière » conduit à passer outre les souhaits et l'intérêt des résidents. Certains demandent en vain, de longue date, un soutien pour accéder à un appartement autonome. Parallèlement, la dimension éducative est « sacrifiée », souffrant d'une « grande pauvreté » de moyens, de même que la prise en charge thérapeutique par des médecins, infirmiers ou psychologues. Autant de constats qui accroissent l' « étonnement » de la mission de l'IGAS de voir figurer au bilan consolidé de 1999 sept millions de francs de placements financiers.
Avant la révélation de ce rapport, l'administrateur provisoire nommé par le ministère n'excluait pas de confier à nouveau la gestion à l'association, toujours présidée par Georges Decuyper, à condition d'engagements sur des modifications de son fonctionnement. Les inspecteurs de l'IGAS, cependant, se montrent très clairs : « Les pratiques passées et actuelles de l'association APAJH 89 ne laissent pas d'espoir en sa capacité de redresser la situation ». Ils ajoutent : « L'équipe de responsables actuelle, décrédibilisée, doit laisser place à de nouvelles instances dirigeantes. » Lesquelles devront mettre en place « des réformes profondes », notamment établir « un projet associatif plaçant la personne handicapée et son insertion sociale et professionnelle au centre de l'action ».
Toutefois, le rapport divulgué par l'ADHY, met également en cause le contrôle exercé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de l'Yonne pendant de nombreuses années. Ainsi en 1996, l'IGAS signalait des « manquements graves en ce qui concerne la tutelle des équipements en faveur des handicapés », en particulier l'absence de planification. Ce n'est qu'en 2000, avec l'arrivée d'une nouvelle directrice, que la DDASS « s'est impliquée plus clairement sur la politique en faveur des personnes handicapées », en engageant l'élaboration d'un schéma départemental d'accueil.
Mais un autre document, élaboré par l'IGAS et la DRASS de Bourgogne, daté d'avril 2001 et portant sur « l'action de la DDASS de l'Yonne et de l'IME d'Auxerre dans la période des disparitions de huit jeunes filles entre 1977 et 1979 », se montre également très critique vis- à-vis des services de l'aide sociale à l'enfance, dépendant, à l'époque, de la DDASS. Selon certains de nos confrères, il fustige « la façon très administrative » dont étaient traitées les fugues, qui ne faisaient pas l'objet d'une vigilance particulière. « L'apparente renonciation à toute recherche par le service lui-même et l'absence d'initiative de relance des services de police et de gendarmerie après la constatation de la fugue aussi bien pour les mineures que les jeunes majeures, n'est pas acceptable », ajoute-t-il. Précisant que l'IME, malgré des « déficiences » dans l'organisation de son service social chargé du suivi des élèves sorties, « a rempli ses obligations dans le cas des jeunes disparues ». On comprend que ce deuxième rapport ait été, lui, transmis à certains médias, le 29 mai, par l'avocate des dirigeants de l'APAJH 89. Finalement, mis devant le fait accompli de ces révélations, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité a décidé, le 30 mai, de rendre publics les deux documents de l'IGAS.
(1) L'association a été radiée par la fédération nationale en janvier dernier - Voir ASH n° 2198 du 19-01-01.
(2) Voir ASH n° 2204 du 2-03-01.
(3) La mission a répertorié une dizaine d'affaires, réelles ou alléguées, au cours de la dernière décennie.