« La ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées vient de présenter en conseil des ministres une communication sur la protection de l'enfance. C'est plutôt une bonne chose. Et si les mesures “immédiates” qu'elle a annoncées consistent plus en initiatives, d'ailleurs sympathiques mais d'efficacité limitée, qu'en une vraie réforme des méthodes et des moyens, on peut saluer la volonté de Ségolène Royal de faire évoluer les pratiques dans le sens de l'intérêt des enfants et des familles.
La lecture du texte de la communication n'appelle en effet ni enthousiasme ni critique. Prenant en compte l'ampleur des dépenses liées à la protection de l'enfance, mesurant bien la difficulté à trouver le juste équilibre entre dénonciation des placements abusifs et stigmatisation du placement, la ministre reprend des thèmes de réflexion qui, du rapport Bianco-Lamy au rapport Naves-Cathala en passant par tous les travaux du secteur associatif, visent à coordonner plus étroitement l'action de l'Etat, des collectivités locales et des associations pour mieux repérer, prévenir et accompagner les difficultés des familles à assumer leur responsabilité éducative.
On peut s'interroger sur la signification profonde de “la diversification du champ de recrutement des familles d'accueil”, on peut discuter le bien-fondé du parrainage, il reste que ces intentions relèvent d'une bonne volonté d'ouvrir plus largement les capacités d'accompagnement de familles et d'enfants en difficulté.
La diffusion d'un “guide des droits des parents pris en charge par l'aide sociale à l'enfance” répond à un besoin réel, à la condition d'y inclure le rappel des devoirs et des responsabilités des parents parce que, dans le cas contraire, on risque de céder à la démagogie et de faire passer au second plan l'intérêt des enfants, qui est quand même le fondement d'une politique de protection de l'enfance.
Les inspecteurs des directions départementales des affaires sanitaires et sociales seront sans doute un peu surpris de lire qu'il faut lancer un programme d'inspections qualitatives, “pour que soit davantage prise en compte la dimension sociale et éducative”. Pour avoir assisté à des inspections, j'ai toujours eu l'impression que c'est bien ce qu'ils font déjà, avec beaucoup de conscience. Mais il est sans doute parfois utile de rappeler les choses.
Bref, tout cela irait dans le bon sens si...
Si, quelques heures avant et après le conseil des ministres, la presse n'avait pas transmis à l'opinion un tout autre message : la ministre veut diminuer de moitié le nombre des placements qui sont, dans leur immense majorité, décidés pour cause de pauvreté des parents ; les services de l'aide sociale à l'enfance seraient en conflit avec les familles, les présidents de conseils généraux auraient recours trop facilement au placement d'enfants, sans contrôle. Quant aux éducateurs, ils auraient par trop facilement tendance à “arracher” les enfants à l'affection de leurs parents, etc.
Comment peut-on s'expliquer qu'une communication modeste mais raisonnable devient, dans sa dimension réelle qui est celle de sa médiatisation, une critique ouverte de celles et ceux qui, à divers titres officiels, professionnels ou bénévoles, ont la responsabilité des interventions ?
Car c'est bien cela qui est traduit par la presse, et vous savez bien qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Comme Martine Aubry avant elle, Ségolène Royal semble cautionner le rapport d'une association certes respectable mais dont le champ d'action est limité aux familles victimes d'exclusion. Dès lors, il est certain que toutes les mesures concernant ces familles s'appliquent à des familles pauvres.
Si nous sommes tous d'accord pour dire que la précarité aggrave les risques de fragilité sociale et éducative des familles, c'est un faux syllogisme que d'affirmer : “puisque les familles pauvres font l'objet de mesures de placement d'enfants, tous les placements d'enfants sont décidés pour cause de pauvreté”. Le rapport Naves-Cathala remettait utilement les pendules à l'heure : parmi les familles étudiées et pourtant choisies par ATD quart monde, la pauvreté était au treizième rang seulement des causes complexes qui avaient provoqué le placement d'un enfant.
Il n'est pas juste de contribuer à laisser planer un tel doute, voire une telle suspicion. N'importe quelle assistante sociale, n'importe quel éducateur peut apporter la preuve que, avant de décider d'un placement, on aura envisagé et tenté toutes les possibilités d'une intervention en “milieu ouvert”, c'est-à-dire dans le cadre familial. Et puis, il faut quand même rappeler qu'aucune mesure ne peut être directement prise par l'aide sociale à l'enfance sans l'accord de la famille.
Les juges des enfants sont-ils alors critiquables ? Peut-on leur reprocher, lorsqu'ils sont en présence de présomptions de danger grave, d'avoir décidé un placement provisoire ? S'ils ne le faisaient pas et qu'un malheur survienne, les mêmes censeurs les cloueraient au pilori. Le principe de précaution, devenu dogme d'Etat, ne s'appliquerait-il pas aux enfants ?
Il est faux, et injuste, de laisser entendre que les travailleurs sociaux n'ont cure des parents d'enfants suivis par l'aide sociale à l'enfance. C'est attenter gratuitement à leur profession. C'est une marque d'ignorance de ce que sont les pratiques quotidiennes du secteur socio-éducatif, qui a depuis longtemps et bien avant qu'un ministre ne s'en inquiète, compris, théorisé et mis en pratique la nécessaire priorité du travail avec les familles et celle du maintien du lien parents-enfants.
Il n'est pas raisonnable de faire, à partir de situations dramatiques, réelles mais ponctuelles, une démonstration générale selon laquelle le système français de protection de l'enfance va à l'encontre de l'intérêt des familles.
Un tel à-peu-près, peut-être politiquement “porteur”, n'aura pour résultat que de décourager un peu plus celles et ceux qui, au-delà des paroles et des discours, consacrent leur vie à la protection d'enfants et de familles qui sont, les uns et les autres, en danger.
Il est bien entendu intelligent de prôner une meilleure prévention. Mais allons plus loin dans cette logique :la prévention, en l'état actuel des choses, ne peut se substituer au curatif, elle doit le compléter, dans une vision ambitieuse de restauration des parents dans leur rôle de parents. Donner du sens à une réforme de cette ampleur nécessite une analyse objective de l'ensemble du système, avec ses échecs mais avant tout avec ses réussites.
Car c'est notre société qui sécrète les dysfonctionnements familiaux. C'est donc notre projet social global qui doit être réorienté pour redonner aux parents la reconnaissance de leur mission. Remettre l'enfant et sa famille au cœur du projet nous concerne tous. Nous y arriverons, non pas en nous dressant les uns contre les autres, mais en prenant, chacun, les responsabilités qui sont les nôtres. “Chacun”, c'est aussi l'Etat. »
Robert Bouquin Président de l'Unasea : 118, rue du Château- des-Rentiers -75013 Paris -Tél. 01 45 83 50 60.
(1) Voir ASH n° 2215 du 18-05-01.