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Quel accompagnement pour les personnes dépendantes ?

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Alors que le Parlement discute le projet de loi sur l'allocation personnalisée d'autonomie, l'ANAS plaide pour reconnaître l'accompagnement social comme garant et promoteur de l'autonomie des personnes dépendantes âgées ou handicapées.

« L'apparition de toute forme de dépendance-  a fortiori physique - ne doit pas occulter le principe d'autonomie des individus, qui reste au cœur de toute démarche d'accompagnement. » Derrière cette réflexion de Catherine Gucher, assistante de service social et maître de conférences en sociologie à l'université de Grenoble, se profile un champ d'interrogation central pour l'action sociale, réactualisé par les débats autour de l'allocation personnalisée d'autonomie. Et l'Association nationale des assistants de service social  (ANAS)   (1) d'inviter à battre en brèche « cette fausse opposition entre dépendance et autonomie »   (2). Pour elle, il s'agit bien d'un préalable à tout débat sur la place de l'intervention sociale aux côtés des interventions médicales ou d'aide ménagère auprès des personnes devenues dépendantes du fait de la maladie, du handicap ou de l'âge. « A force de vouloir évaluer la dépendance, n'oublie-t-on pas d'accompagner la personne, de maintenir et de restaurer son autonomie ? »

La question est particulièrement cruciale dans le maintien à domicile et en gérontologie (domaine historiquement peu investi par le travail social), mais elle se pose également à l'hôpital et dans les institutions médico-sociales. Les personnels des services d'aide et de soins à domicile et les travailleurs familiaux sont en première ligne, ainsi que les assistants de service social exerçant au sein des caisses régionales d'assurance maladie  (CRAM), des hôpitaux et des centres communaux d'action sociale. Mais « l'ensemble des professionnels du travail social sera à terme concerné », estime Paola Paravano, présidente de l'ANAS. « Il y a, en effet, fort à parier que le champ de la dépendance, notamment des personnes âgées, devienne un domaine d'exercice des assistants de service social plus fréquent que l'insertion professionnelle », renchérit Christine Garcette, directrice de l'association.

Dans le domaine des personnes âgées, outre l'enjeu démographique et quantitatif pour la prise en charge, il s'agit bien de légitimer et de valoriser la dimension du travail social. Volontiers laissée au sanitaire, la gérontologie peine en effet à intégrer des logiques et des pratiques professionnelles du social. Une « conception défectologique et médicalisante de la vieillesse »

continue de primer, juge Catherine Gucher. Les difficultés des associations d'aide à domicile à imposer professionnalisation et inscription dans le champ de la loi de 1975 (principe qui sera acquis une fois la réforme définitivement adoptée), mais aussi le caractère encore très médical des réseaux gérontologiques en témoignent.

Du côté du handicap, la situation est un peu différente : le social est présent. Mais ici, en revanche, c'est la culture de l'intervention au domicile et de l'accompagnement vers l'autonomie qui est encore neuve.

Pourtant les problématiques se rejoignent et les frontières administratives ou de services entre le secteur du handicap et celui des personnes âgées se fissurent. D'ailleurs, les services de soins infirmiers à domicile, à l'origine uniquement destinés aux personnes âgées, sont, depuis peu, autorisés à agir auprès de personnes handicapées. A contrario, « les équipe de soutien-vie à domicile de l'Association des paralysés de France  [APF] , jusque-là réservées aux moins de 60 ans, peuvent intervenir depuis décembre 2000 pour des personnes âgées atteintes de déficiences motrices », précise Catherine Deschamps, responsable Vie sociale à l'APF.

Professionnaliser l'aide à domicile

Cette transversalité d'intervention est déjà, souvent, une réalité sur le terrain. Elle a été choisie par l'association Ages et vie de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) qui, « créée il y a 20 ans avec un abord gérontologique, intervient actuellement de manière polyvalente au domicile de personnes handicapées et dépendantes quel que soit leur âge », explique son directeur Denis Mennessier.

La cohérence de l'action passe par le développement d'une véritable professionnalité de l'intervention à domicile. C'est la garantie pour que, quels que soient les publics, l'aide et l'accompagnement de la personne s'exercent dans le respect de son autonomie, voire dans un but de promotion sociale et citoyenne. Ages et vie fonctionne ainsi avec une cellule d'évaluation, en charge d'accueillir les demandeurs et de négocier un projet de vie. « La pire des choses est d'envoyer les intervenants au charbon sans cadrer l'action, sans lui donner du sens », alerte Denis Mennessier, rappelant que « l'aide à domicile doit être “missionné” et qu'il ne doit pas être laissé seul, sans préconisations, à décider ce qu'il doit faire et comment ». Ages et vie milite donc pour la diffusion d'une culture d'interrogation continue sur les pratiques dans les associations d'aide à domicile, au travers notamment de groupes de parole, de temps de réunion. C'est ici toute la problématique du secteur de l'aide à domicile qui surgit. Secteur écartelé entre une minorité structurée autour des services d'aides aux familles, aux emplois bien repérés, et une majorité peu lisible, qui gère des emplois précaires. « Comment parler de réunions, de supervision des pratiques, dans un champ qui s'est laissé envahir par les services mandataires ? Dans ces derniers, l'employeur reste la personne à domicile et le service n'a ni lien juridique valable, ni les moyens financiers pour inclure les salariées dans ces démarches », s'insurge Marie- Emmanuelle Matet, directrice du service d'aide familiale à domicile d'Orléans (Loiret). En grande difficulté de recrutement, offrant des salaires peu attractifs, toujours en mal de reconnaissance, l'aide à domicile est en crise. Comment, dans ces conditions, accompagner les politiques de maintien à domicile des personnes âgées et d'intégration en milieu ordinaire de vie des personnes handicapées ? La reconnaissance des services d'aide à domicile dans le champ de la loi du 30 juin 1975 rénovant l'action sociale et médico-sociale suffira-t-elle ?

Quelle protection pour les majeurs vulnérables ?

Pour la plupart des professionnels, cette reconnaissance ne remplacera pas une réflexion de fond sur la prise en compte de la dépendance dans les politiques et leur financement, d'une part, et dans les modes d'intervention : aide à domicile, services de soins, services de tutelle, services sociaux, d'autre part. Ainsi, beaucoup rappellent, comme l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (3), que l'emploi direct par la personne de son aide à domicile est inadapté à la prise en charge de sa dépendance. Et réclament que la loi relative à l'aide personnalisée d'autonomie inscrive, pour l'aide à domicile, le principe du recours à des intervenants salariés d'association.

Par ailleurs, la question des valeurs qui sous-tendent l'action des professionnels - les questions d'éthique et de partage des pratiques - deviennent primordiales quand la dépendance des personnes les prive de leur libre arbitre. Les majeurs vulnérables, sous protection judiciaire (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle), sont actuellement 650 000 en France, « mais leur nombre devrait presque doubler d'ici à 2050 », prévient Florence Fresnel, avocate au barreau de Paris. Le quart d'entre eux sont des personnes très âgées, un autre quart des personnes handicapées déficientes intellectuelles.

C'est d'abord le droit en la matière qui montre ses failles. « 47 % des majeurs protégés ne sont pas entendus par le magistrat », dénonce Florence Fresnel, qui rappelle que « la Cour européenne, dans une décision du 30 janvier 2001, vient de condamner la France à ce sujet ». En outre, l'accompagnement de ces personnes pose, au quotidien, la question des prises de décision à caractère personnel les concernant. « La gestion autonome des actes courants, qui est un principe dans les mesures de protection, pose un problème quand la dépendance la rend impossible. Par ailleurs, le droit des tutelles parle de la personne dans sa relation aux biens, mais laisse un vide sur les actes personnels », souligne Serge Ducongé, directeur de l'Union départementale des associations familiales de Charente. Lequel soulève également le problème de l'explosion des mesures de curatelle renforcées pour des personnes très dépendantes. Et dont le consentement - principe pourtant attaché à cette mesure - ne peut être recueilli. Dès lors, le temps de l'accompagnement devient aussi important que le tutorat à la gestion des biens. Prévu par les textes d'origine de la protection des majeurs sous forme de tutorat à l'accompagnement social, il est cependant rarement utilisé car mal financé.

C'est donc bien à une logique purement juridique ou purement gestionnaire de prestations, induite par une certaine approche de la dépendance, que s'opposent bon nombre de professionnels, à l'instar de Sylvie Godet, assistante de service social et responsable d'un service social de la CRAM. « Rares sont les dispositifs départementaux organisant la prestation spécifique dépendance qui ont intégré un véritable accompagnement social, pourtant nécessaire à la pérennité de l'équilibre retrouvé grâce à la mise en place du plan d'aide », déplore-t-elle. Il s'agit d'aider la personne dans son rapport à la dépendance et dans la résolution des problèmes qui y sont liés, de soutenir les aidants naturels, de jouer éventuellement un rôle de médiation entre la personne et son entourage. Mais aussi d'anticiper les évolutions et d'adapter le plan d'aide. Autant de dimensions que Sylvie Godet espère voir prises en compte au travers de la nouvelle allocation personnalisée d'autonomie.

Restera à régler la coordination des différents intervenants médicaux et sociaux- les centres locaux d'information et de coordination et autres réseaux locaux y œuvrent - en prenant garde à ce que la personne dépendante reste au centre des pratiques.

Jusqu'où maintenir à domicile ?

Ne faut-il pas également arrêter de confondre autonomisation et maintien systématique à domicile ? « Que signifie-t-il pour certaines personnes du quatrième âge, isolées et immobilisées, sinon parfois un enterrement de première classe ? », interroge le psychiatre et gérontologue Olivier de Ladoucette. Avec lui nombreux sont ceux qui dénoncent le maintien au domicile jusqu'aux dernières limites faute de places suffisantes en établissements de long séjour, sous couvert d'un discours idéologique opposant « bon domicile » à « mauvais établissement ». Comme si, d'ailleurs, les structures accueillant des personnes âgées ou handicapées se trouvaient exemptes de toute réflexion concernant le respect des droits, des capacités et des marges d'autonomie des personnes.

Faibles moyens au domicile, manque de lits et taux d'encadrement rigides en établissement d'un côté ;injonctions tous azimuts au respect des personnes et de leur autonomie, le plus longtemps possible en milieu ordinaire, de l'autre : l'écart se creuse. « Et il ne sera pas résorbé tant que l'on refusera de mettre en place une véritable politique en la matière dans ce pays », affirme Denis Jacquat, député de la Moselle. Laquelle ne peut passer, selon lui, « que par la création au sein du système de protection sociale d'un cinquième risque vieillesse-dépendance ».

Valérie Larmignat

Notes

(1)  ANAS : 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris - Tél. 01 45 26 96 11.

(2)  Cette thématique a été abordée par l'ANAS par deux biais : le colloque « Pour l'autonomie de la personne devenue dépendante : de sa prise en charge à sa prise en compte », qui s'est tenu du 4 au 6 avril 2001, à Paris ; la Revue française de service social, « Autonomie. Dépendance : pratiques sociales d'évaluation et d'accompagnement »  - n° 200 - Mars 2001.

(3)  Voir ASH n° 2211 du 20-04-01.

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