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Un sas entre le dedans et le dehors

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A Paris, le CHRS Soleillet accueille exclusivement des femmes sortant de prison. Afin de favoriser l'insertion de ce public très désocialisé et marqué par l'enfermement, ses équipes ont adapté leurs pratiques et préparent le séjour dès la détention.

« Lorsqu'elles quittent la prison, les femmes dont l'intervention pénale est venue sanctionner une longue série de ruptures sociales ne peuvent absolument pas rater leur sortie. Sinon cela se traduit souvent par des récidives, des suicides, des catastrophes avec les enfants... », affirme Alain Planeix, chef de service au centre socio- éducatif Soleillet (1), de l'association Aurore (2). C'est donc autour de ce constat, de ce besoin d'aider ces femmes à reprendre pied dans la vie libre, que ce centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) parisien a construit sa démarche d'accueil.

Créé, en 1984, pour pallier le manque de structures aptes à recevoir des femmes avec enfants sortant de prison, Soleillet a en effet décidé, en 1996, de ne plus admettre et accompagner que des femmes, avec ou sans enfants, issues de détention. A cette spécificité, l'établissement en ajoute une autre : travailler leur entrée très en amont et, pour ce faire, aller à leur rencontre sur leur lieu d'incarcération. Des choix parfois contestés puisqu'en tant que CHRS, Soleillet a vocation à être généraliste. « On n'est pas hors la loi, estime Alain Planeix. Selon les textes de l'action sociale, les sortants de prison forment un public prioritaire pour les CHRS. Mais il est vrai que le choix d'accueillir une telle population, d'aller en détention, d'intervenir longtemps à l'avance n'est pas dans les habitudes. » Quant à l'argument de l'effet « ghetto » d'un tel fonctionnement, ce chef de service le balaie : ici, les ex-détenues ne sont pas marginalisées, n'ont pas à cacher leur passé et les stigmates de l'enfermement n'étonnent personne. « En outre, formée aux réalités de la détention, l'équipe peut accueillir sereinement ces femmes ayant commis parfois des actes très violents. »

Préparer l'entrée

Aider des anciennes détenues à intégrer le dispositif de droit commun passe donc par la mise en œuvre très tôt de moyens spécifiques. « La libération crée une forte rupture, généralement synonyme d'échec dans les institutions de type action sociale, qu'il faut atténuer, explique Alain Planeix. En fait, notre souci n'est pas de préparer la sortie de prison, ce qui revient à l'administration pénitentiaire, mais l'entrée en CHRS. La prise en charge des problèmes (soins, enfant placé...) bien avant la sortie accroît les chances de réussite du séjour. »

Pour créer ce lien entre le dedans et le dehors, trois équipes de deux éducateurs se rendent régulièrement aux maisons d'arrêt des femmes de Fleury- Mérogis, Fresnes et Versailles. Orientées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), les détenues intéressées doivent solliciter une rencontre par écrit auprès du CHRS. Contact est alors pris avec le SPIP et un questionnaire (situation administrative, pénale, familiale...), adressé à la candidate. Celle-ci est informée de la date de passage des éducateurs. « Lors de ce premier entretien, en parloir-avocat, nous tentons de transmettre une photo du centre, d'exposer son fonctionnement, l'ambiance, afin que les détenues s'en fassent une idée la plus exacte possible », explique Valérie Caulliez, éducatrice spécialisée du CHRS. Peu à peu, les éducateurs apprécient la situation. La personne a-t-elle multiplié les passages en prison ?Avait- elle des ressources avant son incarcération ?Comment se passe la détention ? « Nous les voyons toujours à deux. C'est un temps riche mais aussi parfois violent, témoigne Jean-Noël Barnet, éducateur spécialisé. Certaines lâchent leur histoire profonde : viol, inceste... d'un coup, dès notre arrivée. » Sauf en cas d'importants troubles psychopathologiques ou d'immaturité non compatible avec un séjour en CHRS, le duo propose aux détenues de solliciter par écrit une deuxième rencontre. Après deux ou trois entretiens, la candidature est soumise à l'équipe : six éducateurs, une assistante sociale et le chef de service.

En plus de tisser des liens avec les professionnels qu'elles retrouveront ensuite, les visites, mensuelles, permettent aux femmes de mûrir leur projet et d'envisager l'avenir.

« L'intervention en amont et répétée de Soleillet a des effets très positifs, mobilisateurs, sur les détenues, affirme Valérie Prats, conseillère d'insertion et de probation à la mai- son d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Elles comprennent mieux qu'elles doivent s'investir, et commencent à bouger. Certaines se mettent alors à demander des adresses. C'est très important qu'elles soient ainsi poussées de l'extérieur. Cela soutient la dynamique de projet et notre discours. » Mais comme chaque médaille a son revers, la longueur de la procédure pose aussi des problèmes : « Certaines ne sont pas en capacité de penser longtemps à l'avance leur sortie et il leur est difficile d'entendre qu'un accueil rapide est possible. Du coup, elles se découragent et se retrouvent dans des structures inadaptées », note Valérie Prats. Délivrer des certificats d'hébergement engendre aussi des difficultés pour le CHRS. Hormis les personnes définitivement libérées (60 % des résidentes), celui-ci accueille en effet des femmes dans le cadre, notamment, d'une libération conditionnelle, d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'une mise en liberté. « Leur octroi étant en partie lié à l'existence d'un hébergement stable, les entretiens avec les détenues sont parfois un peu faussés », analyse Valérie Caulliez. Sans compter les avocats, voire les juges, qui font pression, soulignant au passage le manque de structures adaptées.

Clé de voûte, le partenariat

Pour réussir ce travail en amont, le centre d'hébergement et le service d'insertion et de probation doivent étroitement collaborer. A Fleury-Mérogis, dont viennent 40 % des résidentes, un réel partenariat s'est noué. « On est sur la même longueur d'onde, assure, enthousiaste, Franck Sassier, conseiller d'insertion et de probation. Avec Soleillet, on prend vraiment le temps d'échanger sur les détenues concernées et de réfléchir à la meilleure orientation possible. On n'est pas dans l'approximatif. » L'appro- che étant bien partagée par les deux équipes, les personnes proposées sont en général acceptées.

Ailleurs, on reproche parfois au CHRS ses refus. « On nous adresse des femmes très jeunes pour qui il faut un cadre plus contraignant que le nôtre », justifie Valérie Caulliez. « Leur réaction s'explique, tempère Alain Planeix, car il est vrai que des gens restent en prison uniquement parce que le secteur social ne peut les accepter. Mais ils doivent admettre que Soleillet peut être dangereux pour certains. » Une dimension comprise par le centre de détention de Joux-la- Ville, près d'Auxerre, qui, avec ceux de Rennes et de Bapaume, fournit 10 % des résidentes. Le travail s'effectue cette fois par téléphone et il s'agit d'accueillir des femmes en permission de sortir, en vue de préparer une future admission. « Pour ces personnes qui ont subi une longue incarcération, c'est une excellente solution. Cela nous permet d'évaluer leurs capacités à tenir, d'observer leur comportement vis-à-vis de l'équipe, des résidentes, de l'extérieur. Et pour elles, de voir si la structure leur convient », affirme Valérie Caulliez.

Quand le centre accepte des personnes en permission de sortir, ce n'est jamais, en effet, dans le but unique de leur fournir une ressource hôtelière. Une vision parfois mal perçue. « Le plus difficile de notre projet a été de bien clarifier les choses avec l'administration pénitentiaire, notamment d'expliquer que l'action sociale ne prend pas en charge les personnes relevant d'autres services. Or, celles en permission de sortir sont encore sous écrou et financement de l'administration pénitentiaire. » Aucun critère autres que ceux de l'action sociale n'est retenu. Quels que soient la nature du délit ou du crime, leur état de santé ou leur situation administrative, Soleillet accepte les candidates, dans sa structure commune (neuf chambres et un deux-pièces) ou ses appartements (neuf F1, trois F2 et un F3) sis dans les HLM voisines.

Un accompagnement individualisé est offert aux résidentes, qui ont deux éducateurs référents. Au cœur du séjour : « dégager des débuts de solution qui pourront se maintenir » et « prévenir le retour aux formes de ruptures antérieures », résume Alain Planeix. Premier cap : calmer l'angoisse inhérente à la sortie, qui se traduit parfois par de fortes décompensations psychiques, ainsi que l'activisme frénétique de démarches, facteur d'échec, dans lequel tombent maintes résidentes. « Celles-ci connaissent, en effet, souvent un temps de désillusion un mois après la sortie car elles se sont beaucoup investies et les résultats tardent à venir », atteste Jean-Noël Barnet. Pour permettre la restauration des droits sociaux, l'obtention de papiers, la mise en place de soins, l'insertion professionnelle, l'accès à un logement, le travail sur la relation mère-enfant..., des entretiens hebdomadaires sont prévus. Les éducateurs accompagnent aussi, si besoin, les résidentes lors des démarches rendues difficiles par les préjugés pesant sur les ex-détenues. Cette prise en charge, globale, est d'autant plus utile que la plupart des femmes n'ont connu aucune intervention préventive antérieure à l'incarcération malgré de grandes défaillances sociales, et que la détention n'a rien arrangé :perte du travail, du logement, déstructuration des liens familiaux. D'année en année, les difficultés des personnes s'aggravent et, notamment, leur état de santé physique et mentale empire. Résultat : des situations patinent, et les durées de séjour s'allongent. La prise en charge de six mois prévue par la direction des affaires sanitaires et sociales  (DASS) est donc dépassée : la moyenne atteint 18 mois. Néanmoins, les efforts fournis finissent par payer.

Retisser les liens mère-enfant

« Notre credo, explique Alain Planeix, c'est qu'une personne puisse ici, sur tous les aspects de sa réinsertion, construire quelque chose de nouveau sans devoir dès le départ abandonner ce qu'elle était avant. » C'est aussi partir de l'idée que toutes veulent s'en sortir. Mais pour cela, il faut offrir des perspectives, travailler des objectifs précis et motivants. Comme récupérer son enfant, placé en foyer ou en famille d'accueil lors de l'incarcération ou, souvent, avant.

Un important travail de regroupement familial est donc mené. Il s'agit d'éviter les pièges d'un retour prématuré. « Dans l'illusion d'un changement de vie, beaucoup de mères font pression pour récupérer tout de suite leur enfant. Or,  elles ont besoin de se poser un temps, de réfléchir à ce qu'elles veulent faire sur tous les plans. Lors des entretiens en détention, on en parle », souligne Valérie Caulliez. « Il faut parvenir à ne pas s'opposer de front au désir de la mère de récupérer son petit, complète Alain Planeix, et réaménager cela dans des délais, des conditions administratives, judiciaires, en intégrant la parole de l'enfant. » Un retour progressif :une journée, puis un week-end..., est souvent la solution car il permet aux liens de se reconstruire en douceur. Sur les 18 enfants résidant à Soleillet, 12 ont ainsi rejoint leur mère au cours du séjour.

Si le travail du CHRS est respecté par la DASS de Paris, s'il a pu être présenté lors de colloques et suscite l'intérêt croissant de l'administration pénitentiaire et des services de justice, son action envers les sortantes de prison n'est cependant toujours pas reconnue dans les documents administratifs. Car elle remet quelque peu en cause les modalités d'intervention des CHRS. Néanmoins, dans le cadre du reconventionnement des établissements et de la mise en place parallèle des schémas départementaux, la DASS semble s'intéresser à l'aspect novateur du projet. Soleillet cessera-t-il, alors, d'être, selon l'expression d'Alain Planeix, « reconnu clandestinement »  ?

Florence Raynal

Notes

(1)  Centre Soleillet : 9/11, rue du Soleillet - 75020 Paris - Tél. 01 40 33 86 60.

(2)  Association Aurore : 33, rue des Cévennes - 75015 Paris - Tél. 01 45 58 50 97.

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