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« De la nécessité et des limites du Conseil national des origines »

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P résident de l'association Droit des pupilles de l'Etat et des adoptés, Claude Sageot apporte sa contribution au débat sur le droit d'accès aux origines (1) et son soutien au projet de loi défendu par Ségolène Royal (2).

« Initiateur du manifeste “Abandon, Adoption, Filiation”   (3) et travaillant avec tous les acteurs de la lutte pour la connaissance de la vérité des origines personnelles, je lis avec attention les données du débat ouvert par les ASH sur le droit d'accès aux origines. J'y retrouve l'ambivalence fondatrice de la situation que nous connaissons depuis deux siècles. Que cela soit produit par les acteurs eux-mêmes n'est même pas surprenant puisque, s'appuyant sur la méconnaissance du fait de l'abandon, elle renvoie chacun à une opposition de croyances, jamais à une expertise et à une connaissance établie. C'est la clé de l'immobilisme de l'institution. Au nom de l'intérêt garanti par l'Etat, l'administration peut renvoyer dos à dos ceux qui parlent au nom des “mères” et ceux qui parlent au nom des “abandonnés”.

Un projet à soutenir

Le projet de loi de Ségolène Royal ouvre pourtant une porte dans la voie de la reconnaissance des abandonnés et de leur histoire réelle. En créant un Conseil national des origines personnelles, l'Etat déclare enfin que les secrets ne le sont peut-être pas autant qu'on a bien voulu le dire, autant que cela a été, ou est encore, opposé aux “abandonnés”.

Ce faisant la ministre reconnaît le travail des associations. Elle offre la possibilité d'accéder aux données de naissance, bien plus nombreuses que la rumeur et les bonnes intentions veulent bien le dire. Directement ou indirectement, les dossiers sont souvent riches d'enseignements sur l'histoire des “abandonnés”. Aujourd'hui, les associations ne peuvent avoir accès à ces données, faute de pouvoir d'investigation, dont sera doté le conseil à venir.

Plus encore, cette création implique que l'Etat énonce le principe que les abandonnés ne doivent plus être dépossédés de ces données et que tout doit être fait pour en permettre l'accès. L'irréversibilité de l'acte d'abandon ne doit pas s'opposer à la connaissance de ses circonstances. En cela le projet mérite d'être soutenu et défendu. C'est pourquoi nous le défendons fermement.

Combattre  les irrationalités

Mais les opposants à cette évolution veillent- les croyances sont tenaces - et nous regrettons le retrait des propositions de participation des associations à ce conseil. L'Etat irait jusqu'au bout de la reconnaissance, si l'expertise des “abandonnés” était enfin reconnue. Le conseil est encore conçu avec l'idée qu'en cette affaire l'administration doit rester seule maître du jeu. Il s'agit là du premier pôle de résistance à ce projet. La constitution du secret par l'Etat, son interprétation abusive par des fonctionnaires reste le premier obstacle à la légitime réponse attendue par les “abandonnés”.

L'opposition faite entre les droits de la femme et ceux de l'enfant en est le second. C'est le plus redoutable et le plus irrationnel des arguments contre l'accès à la connaissance des origines. Il est construit sur “l'impensé” que constitue le fait de l'abandon. Que les billets d'abandon du XIXe siècle mettent en évidence le poids de la misère et l'espérance des femmes en la possibilité de jours meilleurs pour leur enfant ou pour elles- mêmes, que les Mères de l'Ombre témoignent des conditions abusives qui ont présidé à l'abandon de leur enfant (3), que l'étude du secrétariat du droit des femmes montre que les femmes qui abandonnent sont d'abord des femmes en situation de dépendance, que l'on sache un peu mieux que la maternité est un processus qui se construit et nécessite le temps de cette construction n'y change rien. Le principe d'un droit de la femme à faire disparaître sa réalité de “femme ayant accouché”, est opposé comme un absolu à la connaissance des origines. Dans le projet de loi, l'invitation faite à la femme de donner son identité, même si elle souhaite le faire avec demande de secret, est un compromis qui risque fort de compromettre l'ambition du projet lui-même. La ministre fait le pari d'une dynamique positive. Nous la soutenons fermement, mais avec un certain scepticisme.

Pour que le projet aboutisse dans son application il faudra bien des moyens. Nous n'en avons pas encore entendu parler. Qui nommera les correspondants départementaux du conseil ? Qui s'assurera que les données déposées par la mère ne seront pas censurées, comme cela reste le cas aujourd'hui ? Quels moyens humains et financiers seront mis à disposition du conseil pour engager ses investigations ? Autant de questions qui, si elles restent sans réponse, alimentent justement la colère de ceux qui restent dans une situation injuste et humainement intolérable. Car la souffrance d'origine est en jeu.

Les sources  de la souffrance d'origine

Peut-être pourrons-nous commencer à réfléchir sur le fait que la souffrance d'origine s'exprime de multiples manières : ici par le mutisme et l'autodestruction, là par des états dépressifs permanents, ailleurs par un débordement d'énergie inouï, presque toujours par des sanglots aussi violents qu'inattendus, qu'elle a de multiples sources.

Source externe de la maltraitance produite par de si étranges placements, qui s'étend de l'humiliation à la violence physique, qu'ont énoncée bien des pupilles dans leurs écrits et bien des études. Source externe de la dépossession : modification des identités, falsification des lieux de naissance, des dates de naissance, commentaires sur les dossiers en présence de l'intéressé sans laisser la possibilité d'une lecture directe, mensonge sur le contenu des dossiers, et bien d'autres pratiques témoignant de la non-reconnaissance de la qualité humaine des demandeurs, largement mises en évidence par de multiples témoignages.

C'est sur ces sources que l'institution du conseil peut heureusement influer. En ouvrant l'accès aux dossiers, il permettra à chacun de reconstituer son itinéraire, reconnaissant, là où il y a lieu, la mesure des éléments de maltraitance éventuelle, ou les abus d'usage encore couverts par des personnels trop souvent sans formation. En permettant l'accès aux données de naissance, il permettra partiellement de réduire la part de souffrance liée à la dépossession. Si cela est, nous pouvons penser qu'une grande part des sources extérieures de la souffrance disparaîtra.

Mais le conseil ne pourra pas permettre aux intéressés de réduire les effets des sources internes de la souffrance d'origine.

Comment comprendre la lente montée de cette souffrance durant la vie des individus qui ont été “abandonnés” ? Comment expliquer que ceux-là même qui ont eu une vie sociale apparemment “réussie” se retrouvent, en avançant en âge, devant des difficultés croissantes face à l'expression de leur difficulté d'être ?Là où certains réduisent l'expression de la souffrance à des moments de modifications substantielles de la vie sociale (naissance d'un enfant, disparition d'un proche, mort des parents adoptifs), là où d'autres considèrent que cette souffrance s'exprime à des périodes particulières de la vie de l'individu (la trentaine, la cinquantaine), nous constatons que cette souffrance est inscrite durant l'ensemble de la vie et ne fait que se renforcer avec le temps. Au fond, pour les abandonnés, tout se passe comme si une douleur était enfermée et refoulée le temps qu'ils s'installent dans une vie qui ne les avait pas spécialement bien accueillis. Douleur inhibitrice dans bien des cas, mais aussi douleur ressource pour leur activité sociale, douleur autorisée lorsque leur vie est accomplie. Mais qui voudra dire le désespoir silencieux de ceux qui vont mourir sans jamais avoir pu savoir d'où ils venaient ? La ministre elle-même s'étonnait dans un entretien public du nombre de demandes qu'elle recevait de personnes très âgées. Au sein des associations, nous savons le poids de cette douleur.

D'où vient-elle ? La seule réponse de l'ouverture des dossiers ne peut la satisfaire. Nous pensons que les “abandonnés” ne peuvent faire l'impasse sur la violence de l'abandon comme mode très particulier de séparation. Le trauma qui en résulte doit être appréhendé comme moteur et inhibiteur de l'aspiration à vivre. Nos congénères en témoignent constamment.

L'exigence et le devoir de réparation

Au-delà n'est-il pas temps de nous interroger sur l'exigence de connaissance des origines, sur l'étonnante relation des supposés échecs des retrouvailles, la crainte énoncée de ces mêmes retrouvailles ? Peut-on considérer que les retrouvailles heureuses quelquefois citées sont toujours marquées du signe de la réparation... de la mère par l'enfant ? Ne peut-on commencer à penser que le moteur de la recherche des origines est le profond désir de réparation d'une mère que l'abandonné a connu en détresse ? Que les retrouvailles ratées sont celles qui ne permettent pas cette réparation ? Et que la souffrance d'origine est d'abord la souffrance de nos mères que nous portons jusqu'à ce que nous puissions leur faire savoir qu'elles ont fait leur juste chemin ? Que nous agissons parce que nous avons la mémoire de ce qu'elles ont souffert ?

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles ne peut résoudre cela. Mais il peut et il doit lever les obstacles réglementaires et administratifs, réduire les pratiques abusives pour que nous puissions enfin pouvoir et savoir dire à nos mères que nous les reconnaissons dans leur souffrance. »

Claude Sageot Sociologue - Ancien pupille, adopté - Président de Droit des pupilles de l'Etat et des adoptés : 36, rue Costes-et-Bellonte - 41000 Blois -Tél. 02 54 43 81 04.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2207 du 23-03-01 ; n° 2209 du 6-04-01 et n° 2210 du 13-04-01.

(2)  Voir ASH n° 2193 du 15-12-00 et n° 2198 du 19-01-01.

(3)  Voir Droit d'origine, la parole des acteurs - Claude Sageot - Ed. L'Harmattan.

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