« Aujourd'hui, les jeunes se détournent de plus en plus des centres de vacances et des colonies, qu'ils associent trop à des formules destinées aux enfants. Ils revendiquent de plus en plus tôt l'accès à des vacances en autonomie et avec leur groupe d'amis », notait, Michelle Rigalleau, déléguée générale de l'association Vacances ouvertes, lors d'un colloque consacré au départ des jeunes en vacances autonomes (1). Un constat partagé par nombre de professionnels de l'animation, à l'exemple de Franck Van Damme, directeur du service jeunesse de Bobigny (Seine-Saint-Denis) : « Les formules traditionnelles du camp d'ados, avec les séjours vélo ou randonnée, les jeunes n'en veulent plus. Ils cherchent à inscrire les relations fortes qui existent au sein de leurs groupes dans des projets positifs tels que des départs en séjours autonomes. » Ces nouvelles aspirations, particulièrement sensibles chez les 16-20 ans, bousculent les pratiques d'animation traditionnelles.
Responsable de la maison des jeunes et de la culture (MJC) du Chemin-Vert, un quartier difficile de Caen, Françoise Normand a lancé, en collaboration avec le service action prévention (SAP) et le centre socio-culturel, un dispositif d'aide au départ pour un public défavorisé. « On s'est aperçu qu'on avait affaire à une catégorie de jeunes qui ne trouvaient leur place dans aucune des formules existantes. Soit parce qu'ils étaient trop âgés, soit parce que le cadre proposé était trop figé ou, tout simplement, parce qu'ils voulaient partir sans que l'on soit là. » Si l'autonomie reste le maître-mot de l'expérience initiée à Caen, les responsables ont imposé quelques règles de base pour limiter les risques de dérapages. Des vacances en camping dans un périmètre de 50 km (pour pouvoir intervenir jour et nuit en cas de problème), une durée de séjour n'excédant pas cinq jours et des groupes de trois personnes au maximum pour ne pas compromettre la gestion des tâches quoti- diennes...
Très différente dans son approche et par le public concerné, l'expérience menée par le service jeunesse de Bobigny depuis 1997 concerne les départs en vacances autonomes de groupes de jeunes déjà constitués. Avant la mise en place de cette formule, note Franck Van Damme, il existait une contradiction entre une offre de vacances strictement individuelle et une demande collective de la part des jeunes : « Avant même de s'inscrire, un jeune cherchait à savoir si ses amis allaient pouvoir participer eux aussi à ce séjour. C'est ce qui conditionnait le départ. Or, il est très important d'apporter une réponse à ces aspirations de départs collectifs, car nous pensons que la construction de l'identité sociale d'un individu passe par l'appartenance à des groupes, qu'ils soient familiaux, sportifs, professionnels. »
Cette formule met, en outre, l'accent sur la liberté de choix des destinations, des activités et des modes d'hébergements ou de consommation. « Notre dispositif d'aide au départ vise les 17-25 ans et la seule condition préalable est d'habiter, de résider ou de travailler dans la ville de Bobigny. En dehors de cela, ils sont libres de choisir leur type de vacances comme tout le monde, d'aller vers des locations d'appartements ou de villas, s'ils en ont envie, plutôt que les éternels campings », souligne son responsable.
Une marge de manœuvre laissée aux jeunes qui pose la question de la plus-value « éducative » des dispositifs de vacances autonomes. Faut-il, ou non, mettre à profit cette période dénuée d'enjeux lourds (scolaires ou professionnels) pour orienter les jeunes, et notamment ceux en difficulté, vers des projets à teneur pédagogique ? Non, répond Franck Van Damme, qui estime inutile d'essayer de « tricher » et de les solliciter à travers ces dispositifs « pour qu'ils construisent une réponse citoyenne, pour rendre à la cité quelque chose qu'ils auraient reçu ».
En revanche, pour Christine Rosso, chargée d'études à la sous-direction de la jeunesse du conseil général de l'Essonne, inscrire les dispositifs d'aide aux vacances des jeunes dans une démarche de projet plutôt que de consommation est primordial. « La vie associative, les vacances ou les loisirs constituent une première occasion de mise en œuvre d'un projet individuel ou collectif qui peut beaucoup aider les jeunes par la suite, dans leur vie individuelle ou professionnelle. Le conseil général souhaitait privilégier les projets s'inscrivant dans une démarche culturelle, sociale et de solidarité et dans lesquels les jeunes étaient aussi acteurs d'une certaine réflexion. » Un avis partagé par François Cardot, coordinateur du comité local d'aide aux projets de Villeneuve-d'Ascq (Nord). Dans le cadre de ce dispositif d'aide pour un public de jeunes défavorisés âgés de 16 à 25 ans, les responsables mettent l'accent sur le montage des projets (plus que les projets eux-mêmes) et les jeunes se voient donc imposer des critères de travail : « Au retour des vacances, on ne va pas leur demander des expos, des photos... Par contre, on va leur demander de mettre en évidence les outils utilisés pour monter leur projet, s'ils ont utilisé des technologies nouvelles, comme Internet, par exemple. » La préparation d'un départ en vacances autonomes peut alors être utilisée comme outil d'insertion sociale, notamment lors de démarches telles que des recherches d'emploi, estime François Cardot.
Si les avis divergent sur la nécessité de solliciter une contrepartie auprès des jeunes à l'occasion de ces projets, les responsables des services jeunesse et autres structures d'animation notent dans leur ensemble que ces formules d'aide aux départs autonomes permettent une sensibilisation à de nouveaux codes sociaux et favorisent l'apprentissage de la responsabilité. Les premiers départs en vacances autonomes, explique le sociologue Bertrand Dubreuil (2), « apparaissent comme un passage de la sécurité familiale à l'indépendance de l'âge adulte avec ses risques et ses responsabilités ». A travers les contacts qu'ils entretiennent lors de leurs recherches d'hébergement ou à l'occasion des démarches engagées pour organiser leur transport, par exemple, les jeunes apprennent à s'engager, souligne Leïla Bouzidi, du service jeunesse de Bobigny : « Pour nous, ils sont adultes et leur responsabilité est directement impliquée lorsqu'ils louent, par exemple, une maison ou un appartement. Ils s'engagent eux-mêmes avec des chèques de caution. »
Les professionnels mettent également en avant le renforcement de certains partenariats par le biais de ces dispositifs. Partenariat d'abord entre les différentes structures « jeunesse » d'une commune ou d'un département, comme le déclare Françoise Normand : « Pour les responsables de la MJC, l'objectif consistait à être soutenus par les capacités spécifiques des éducateurs, tandis que le but du SAP était de voir les jeunes s'inscrire dans des dispositifs normalisés. » A l'occasion de l'opération « Sac-ados » (3), mise en place conjointement par le conseil général de l'Essonne et l'association Vacances ouvertes, des relations plus étroites se sont ainsi nouées entre les structures pour la jeunesse de plusieurs villes du département. « On s'est rendu compte, note Christine Rosso, qu'au sein d'une même ville, un club de prévention, une maison de quartier, un service jeunesse ou encore un centre social n'avaient pas forcément l'habitude de travailler ensemble ou ne se connaissaient parfois même pas. Cette initiative a permis de créer un partenariat entre eux. » Mais ces opérations d'aide au départ permettent également un renforcement des liens avec les jeunes et surtout de tisser « une relation positive » avec un public réputé difficile, explique Françoise Normand.
Ces éléments positifs ne doivent pourtant pas dissimuler les difficultés qu'amènent ces nouvelles revendications des jeunes. Car le contexte, insiste Michelle Rigalleau, « n'est guère favorable à une pédagogie de l'autonomie : les structures touristiques craignent - parfois à juste titre -des débordements ». Ces aspirations nouvelles obligent donc les professionnels à prendre certains risques pédagogiques tout en essayant d'éviter les dérapages juridiques.
S'il est clair, estime François Cardot, que les dangers existent toujours lors des premiers départs en vacances autonomes et qu'il est « impossible de garantir le bon fonctionnement d'un groupe, une fois sur place », il est indispensable d'apporter un maximum de garde-fous lors de l'examen des projets en commission d'attribution. Des instances dont le rôle est d'ailleurs jugé capital en cas de rejet d'un projet. Il est important, notent les professionnels, que les animateurs ou les éducateurs laissent la responsabilité de la décision à une commission pour ne pas voir leurs relations avec les jeunes se détériorer lorsqu'un dossier est refusé. Xavier Matharan, avocat à la cour, juge même qu'il doit y avoir un engagement fort de la collectivité qui organise le voyage : « Je plaide pour que le cadre dans lequel la collectivité s'engage à faire partir le jeune soit fixé par une délibération en conseil municipal. Ce qui permet aux associations qui s'occupent des jeunes, en cas de réponse négative, de dire qu'ils ne font qu'appliquer cette délibération. »
Reste enfin la question de la responsabilité (civile et parfois pénale) des structures - communes d'envoi ou associations - qui organisent ces départs. Comment faire en particulier avec les mineurs, ces « passagers clandestins », qui viennent souvent s'accrocher à ce type de dispositif en suivant un grand frère ou un simple copain majeur ?s'interroge Michelle Rigalleau. Dans ce cas, rappelle Xavier Matharan, il est indispensable d'avoir un document engageant la responsabilité des parents et d'essayer de se cantonner à un rôle d' « accompagnant » et non « d'organisateur du mode de vie du mineur, qui est une zone juridiquement risquée ».
Mais faut-il encore savoir à partir de quand une association organise le mode de vie d'un jeune mineur ?Si l'avocat, par ailleurs auteur d'une étude sur les responsabilités des jeunes, des professionnels et des communes d'accueil ou de départ (4), reconnaît qu'aucune décision juridique n'existe sur cette question à ce jour, il considère tout de même qu'il est possible de définir les limites au-delà desquelles le risque existe : « Je pense que si une association se contente de répondre à des sollicitations, à des questions, on ne peut pas prétendre qu'elle est organisatrice. En revanche, si elle se met à la place du mineur pour louer un appartement ou réserver des billets de train, par exemple, on peut estimer qu'elle rentre dans une zone d'organisation du mode de vie. » En règle générale, résume Xavier Matharan, les professionnels doivent s'habituer à avoir un contrat écrit avec les parents du mineur ou avec le majeur lui-même et vérifier qu'ils possèdent bien une assurance responsabilité civile. Mais, si de nombreux professionnels, à l'instar de Xavier Matharan, trouvent nécessaire de « mettre du droit dans les dispositifs de départs autonomes des jeunes », ils sont tout aussi nombreux à penser que le droit ne doit pas devenir un frein à toute forme d'expérimentation dans ce domaine. « Il vaut parfois mieux prendre quelques risques et voir ces jeunes partir quatre jours plutôt que de ne pas en prendre et de se retrouver dans une situation de conflit qui devient rapidement ingérable », admet Françoise Normand.
Henri Cormier
(1) Intitulé « Départ des jeunes en vacances autonomes : méthodes, outils et responsabilités juridiques » et organisé le 23 janvier 2001 à Paris par Vacances ouvertes : 1, rue de Metz - 75010 Paris - Tél. 01 56 03 92 92.
(2) Dans son étude exploratoire sur les dispositifs-jeunesse de départ autonome des jeunes, réalisée pour Vacances ouvertes et intitulée « La première fois ».
(3) Conçue par Vacances ouvertes, l'opération « Sac-ados » propose aux professionnels des collectivités locales des outils et des méthodes pour lancer un dispositif de vacances autonomes.
(4) Le cadre juridique du départ autonome des jeunes - Réalisée par le cabinet Matharan, cette étude est disponible à Vacances ouvertes (200 F [30,49 €] pour les non-adhérents).