« Nous avons affaire à des personnes davantage fragilisées que par le passé : elles sont en plus grande détresse, déstabilisées et cumulent souvent de multiples handicaps qui nous imposent de changer de produits et de services », constate Gilbert Hyvernat, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) (1). Cet organisme public de formation a pour vocation d'assurer la qualification des demandeurs d'emploi et des salariés qui en ont besoin. Près de 60 000 personnes au chômage bénéficient, chaque année, de ses actions de formation qualifiantes.
Or, la reprise est venue changer la donne. Nombre de stagiaires choisissent d'abandonner le parcours qualifiant entrepris- parfois à quelques semaines de la certification - au profit d'un emploi, même précaire. « L'objectif de reprise d'emploi est plus important que l'objectif de formation », observe Gilbert Hyvernat. Même tonalité au Puy-en-Velay (Haute-Loire) : « Depuis plus d'un an, les employeurs embauchent des personnes “employables”. Alors qu'ils venaient auparavant en formation, ces demandeurs d'emploi préfèrent aujourd'hui opter pour un retour immédiat sur le marché du travail », souligne Bruno André, chargé de direction responsable de formation du centre AFPA. Au niveau national, ce phénomène d'évaporation avant la fin de la formation s'établit à environ 16 %.
Cette évolution bouleverse les pratiques de l'institution puisqu'il lui faut travailler sur la mise en œuvre de parcours de formation plus modularisés : « Il est important d'assouplir nos dispositifs afin de permettre des entrées et des sorties en cours d'année », commente Joseph Ouget, directeur du centre AFPA de Nantes-Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Il faut en outre mettre en place des certifications intermédiaires susceptibles de permettre aux stagiaires de reprendre ultérieurement leur formation, là où ils l'ont laissée. « Disposer d'un titre professionnel reste important par rapport à l'emploi. Nous devons être en mesure de donner une reconnaissance de qualité correspondant aux compétences acquises en formation », explique Gilbert Hyvernat.
Par ailleurs, en amont, l'institution est amenée à accueillir des publics relevant du « noyau dur du chômage ». « Plus de deux millions de personnes - chômeurs de longue durée et allocatiares du RMI notamment -, coupées de toute information, ne connaissent pas l'AFPA ou en ont une image négative : il faut aller les chercher », affirme le directeur général.
En octobre 2000, confrontée à de réelles difficultés de recrutement dans des secteurs affichant pourtant des pénuries de main-d'œuvre, cet organisme a lancé une campagne de communication pour attirer ces demandeurs d'emploi, qui pensaient que cet organisme n'était pas fait pour eux. « Nous avons dû revoir nos méthodologies d'accueil et de formation vis-à-vis d'individus qui n'ont souvent plus l'habitude de travailler, ni même de se lever le matin, et pour qui le niveau de nos formations n'était pas accessible », reconnaît Gilbert Hyvernat. Il a fallu également développer des sas de pré- qualification pour leur permettre de mûrir leur projet professionnel préalable à l'entrée en formation. Quant aux liens avec l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), ils ont été renforcés pour accompagner vers l'emploi ceux pour qui une formation plus courte s'avère suffisante.
Parallèlement, pour traiter l'ensemble des problèmes périphériques à l'emploi (santé, logement, problèmes psycho- sociaux...), une politique volontariste a été initiée. « L'AFPA sort de ses murs et s'ouvre au monde extérieur : nous avons noué un large panorama de partenariats qui nous permettent de conforter notre mission d'accueil tout en restant dans notre vocation principale de qualification », souligne Gilbert Hyvernat. Ce dernier entend rester modeste : les relations établies avec les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) sont à apprécier au cas par cas, en fonction des interlocuteurs locaux. L'initiative est d'ailleurs laissée aux centres AFPA eux-mêmes et aux directions régionales qui mobilisent les DRASS.
Au Puy-en-Velay, l'accompagnement des publics en grande difficulté passe par deux types de dispositifs complémentaires : l'animation d'un espace ressources emploi, assorti d'un travail d'accompagnement plus en profondeur avec certains ; la création d'un poste de facilitateur social, spécifiquement chargé de traiter ce qui est périphérique à la formation, dans le cadre de l'aide sociale individualisée (ASI), en lien étroit avec deux assistantes sociales du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Le Tremplin. « C'est lors de l'entretien individuel avec les demandeurs d'emploi qu'il est possible d'identifier les problèmes sociaux des uns et des autres », indique Christine Mendès, la facilitatrice sociale de l'AFPA du Puy-en-Velay.
Une vingtaine de demandeurs d'emploi ont bénéficié de ce suivi spécifique en 2000. L'essentiel des difficultés rencontrées relève de problèmes financiers et psychologiques. Mais l'AFPA est aussi, de plus en plus souvent, confrontée à des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie. Or, un grand nombre de stagiaires, hébergés au sein des centres AFPA, sont issus d'autres régions et ne peuvent rencontrer l'assistante sociale de leur département. La mise en œuvre de l'ASI, dans le cadre d'un partenariat entre l'AFPA, la DDASS et le CHRS, permet d'apporter une réponse plus adaptée : « Nous pouvons nous rendre sur place, en fin de journée après la formation, sur sollicitation de la facilitatrice qui opère le premier repérage des problèmes », explique Madeleine Souveton, assistante sociale au CHRS.
« Il est important de montrer aux stagiaires qui rencontrent des difficultés que leur engagement dans la formation consti- tue déjà en soi une prise de conscience, gage d'avenir. Pour certains, la formation est une réelle source de stabilisation, après une longue période d'inscription à l'ANPE et 30 ans de boulots précaires », ajoute-t-elle. Quelques situations sont plus compliquées. « Les plus faibles se retrouvent fréquemment entraînés par d'autres dont la présence est trop prégnante au sein du groupe », raconte Madeleine Souveton. En pareille situation, l'AFPA n'a pas d'alternative : « Il lui faut renvoyer ceux qui risquent de mettre en péril le groupe. »
Nous sommes confrontés à « des cas de grandes détresses, d'états précaires dépressifs et de santé mentale », note le directeur général de l'AFPA, rappelant que la fonction hôtelière de cet organisme (qui assure l'hébergement de la plupart de ses stagiaires) l'amène également à voir apparaître des difficultés de santé spécifiques :maladies sexuellement transmissibles, sida, dénutrition ou maux dentaires. « Fallait-il alors renvoyer à l'univers social le traitement de ces problèmes nouveaux pour nous ou incombait-il à l'AFPA d'affronter ces nouvelles demandes ? Notre position politique est aujourd'hui de considérer que ce n'est certes pas la vocation première de l'AFPA, mais qu'il lui revient d'aborder la personne dans sa globalité. »
Le montant de la rémunération des stagiaires en formation est fixé à 2 000,20 F par mois. Inférieure au revenu minimum d'insertion, celle-ci leur permet difficilement de rentrer chez eux le week-end lorsqu'ils viennent de loin. D'autant qu'outre les frais de transport, il leur faut également régler la restauration. Cela explique en partie les problèmes financiers souvent observés par les travailleurs sociaux et le fait qu'ils soient nombreux à choisir l'emploi lorsqu'il se présente. C'est pourquoi Gilbert Hyvernat se dit favorable à une augmentation de cette rémunération et l'a fait savoir aux pouvoirs publics et aux parlementaires.
Reste que, face à des problèmes de comportements et des histoires familiales compliquées, la formation ne règle pas tout. Surtout pour des individus perdus lorsqu'ils se retrouvent seuls dans un centre AFPA, souvent à l'écart des grandes agglomérations. C'est vrai pour une femme divorcée qui vit mal l'éloignement de ses enfants, comme du jeune de 30 ans qui se retrouve loin de sa mère, pour la première fois. Pis, estime l'assistante sociale du CHRS, « la formation est source d'exigences trop lourdes et exerce une pression insupportable pour certains : les critères professionnels demandés rendent parfois l'insertion difficile ». Pour ces publics, il est clair qu'avant d'envisager l'emploi ou même la formation, il faut avoir au préalable réglé d'autres problèmes afin « de ne pas replacer la personne devant un nouvel échec ». De l'expérience de suivi individualisé menée depuis juillet 2000 en Haute-Loire, l'AFPA du Puy-en-Velay tire un bilan plutôt encourageant : sur la vingtaine de personnes concernées, neuf ont obtenu leur diplôme, sept sont encore en cours de formation, trois ont abandonné et une a été réorientée. Surtout, insiste Christine Mendès, « ce suivi a permis de mettre en avant, outre les problèmes de santé, des comportements déviants à prendre en charge ».
L'évolution du public depuis un an a, de plus, un impact important sur le travail des formateurs. « Tous ont une expérience de longue durée en entreprises et considèrent les formations de l'AFPA comme du haut de gamme. Dès lors que le tamis est plus gros à l'entrée, certains ont des difficultés avec les nouveaux publics qu'ils voient arriver », observe Bruno André. Dans cette région, l'AFPA a d'ailleurs conduit avec les travailleurs sociaux une action de formation spécifique auprès de ses formateurs, pour les préparer à l'accueil de ces populations.
Virginie Besson
A Nantes-Saint-Herblain, où le travail avec la DDASS a été impulsé au sein du service public de l'emploi, le centre a opté pour la création d'une plate-forme de construction de parcours de formation, regroupant organismes de formation, la permanence d'accueil, d'information et d'orientation, et l'association Retravailler. Objectif :travailler en amont sur l'élaboration du projet professionnel des individus et permettre à ces derniers d'entrer en formation sans rupture de parcours. Les équipes sont composées de trois formateurs et deux psychologues qui ont tous l'habitude de travailler en réseau avec les services sociaux. 65 % des publics ayant bénéficié de cet accompagnement individualisé ont pu entrer en qualification et 20 %directement en emploi. A Besançon, une action spécifique en direction des titulaires du RMI a été mise en œuvre. Ces derniers sont reçus en amont par les services sociaux du département. Ensuite, l'AFPA les aide à définir un « plan d'action vers l'emploi », à l'aide d'un dispositif de bilan permettant d'identifier les possibilités et freins de chacun vis-à-vis du retour à l'emploi. Cette action spécifique est le fruit d'un partenariat local entre les services sociaux du département, le centre communal d'action sociale, les associations d'insertion, la cellule emploi du RMI et l'AFPA. Il s'agit de favoriser le retour à l'emploi ou les actions permettant d'y concourir. Lorsqu'une formation est nécessaire, elle ne s'effectue pas nécessairement à l'AFPA. Les mesures sont ciblées sur les besoins de la personne : un contrat emploi-solidarité avec un accompagnement fort de l'ANPE, la résolution d'un problème de santé ou le financement du permis de conduire. Depuis 1995, plus de 500 personnes ont bénéficié de ce dispositif. Et l'enquête menée en 1998 et 1999 fait apparaître que 73 %des allocataires du RMI concernés ont trouvé une solution en termes de formation ou d'emploi à l'issue du suivi.
(1) AFPA : 13, place du Général-de-Gaulle - 93108 Montreuil cedex - Tél. 01 48 70 50 00.