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« Médiation, lien social et territoire »

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C hargé de mission au sein de la mission locale de l'agglomération caennaise, Jean-Luc Charlot s'interroge sur l'explosion des activités de médiation, notamment dans le cadre des emplois-jeunes. Ne révèle-t-elle pas « la crise du sens de ce qui fait lien social dans les territoires contemporains »  ? Comment mesurer l'efficacité de ces services ? S'agit-il de « nouveaux métiers »  ?

« Lors d'un séminaire de travail destiné à des assistant (e) s de service social en formation, consacré à la violence des usagers, un professionnel de la polyvalence de secteur témoignait du fait que la seule présence d'un agent d'ambiance dans les locaux d'accueil “avait particulièrement contribué à la diminution du sentiment d'insécurité et permis à l'équipe de retrouver une certaine sérénité”.

La médiation déclinée sur tous les tons

Non pas simplement anecdotique, mais emblématique de situations contemporaines, ce constat conduit à se demander pourquoi la nécessité d'une présence, afin de réguler les relations sociales ordinaires dans un espace public, paraît devenir une évidence ? Au point, comme dans cet exemple, que cette évidence semble “museler” des principes quasi ontologiques du travail social - l'accueil, l'écoute, l'empathie... -, qui sont au cœur de sa tradition, de sa constitution historique et de son éthique. Principes que cette présence d'un tiers non professionnel de ce secteur ne peut qu'interroger pourtant profondément.

Et, au-delà, si l'on observe les emplois et les services créés dans le cadre du programme “Nouveaux services, emplois-jeunes”, on ne peut que constater l'importance de ceux dédiés à la médiation, c'est-à-dire précisément à la régulation des relations dans les espaces publics. Assez sommairement, quoique le terme ait connu un certain succès dans l'appellation de ces “nouveaux” métiers, on peut distinguer deux contenus à la médiation : l'un dédié principalement à la régulation des relations et que l'on retrouve autour de la notion de “médiation sociale” ; l'autre dédié principalement au rapprochement de certaines populations avec des pratiques d'activités dont on les suppose éloignées- médiation culturelle, médiation sportive... -, mais dont l'enjeu de régulation de relations, secondaire dans l'activité, en fournit le plus souvent l'arrière-plan finalitaire.

Une activité qui investit l'urbanité ordinaire

Au-delà des effets d'opportunité et de mode de désignation de ces activités, on ne peut que s'interroger sur cet engouement soudain à concrétiser ainsi “ces besoins non ou mal satisfaits”, dont la satisfaction par la “création d'activités pour mieux vivre ensemble” est un des enjeux de ce programme. Il apparaît bien, en effet, que cette activité investit l'urbanité ordinaire dans les espaces publics ou semi-publics : transports publics, actions du travail social, pratiques sociales ou culturelles, actions même des entreprises privées dans certains espaces sociaux.

A cet égard, on peut formuler une première hypothèse socio-culturelle. A savoir que l'on peut comprendre l'apparition de ces nouvelles prestations de régulation non comme de simples réponses fonctionnelles aux incivilités, voire aux violences urbaines, mais comme des inventions locales qui tentent de “régler” les ajustements de liens sociaux ordinaires, affectés par les transformations des solidarités de voisinage, par les changements des fonctionnements familiaux, par la mobilité accrue des individus et les transformations du travail et de l'emploi, par l'individualisation de plus en plus grande des trajectoires de vie dans la famille, le travail, mais aussi les loisirs et la vie pour soi.

Individualisation accrue et faillite des institutions

Dès lors, on peut s'interroger pour savoir si ces inventions locales de régulation du lien social ne révèlent pas profondément la crise du sens de ce qui fait lien social dans les territoires contemporains. Une crise qui s'expose au juste croisement entre l'individualisation des sujets sociaux, de leur désir d'auto-réalisation, s'investissant de plus en plus dans des projets et des trajectoires personnelles et l'incapacité grandissante d'institutions, jusque-là intégratrices (famille, école, travail...), à produire de la norme et de la proximité. C'est-à-dire ce par quoi, précisément, la relation à l'autre peut s'investir dans une structure provisoire, à travers laquelle les partenaires se proposent mutuellement des buts, des rôles et des normes (justement !) pour réguler leur activité commune.

Une seconde interrogation concerne la nature de cette activité, qui se traduit à travers des prestations hautement relationnelles de service. En cela, ces prestations de régulation du lien social ordinaire s'affrontent aux questions posées aujourd'hui à l'ensemble des activités de service relationnel, champ socio-économique en forte expansion, et les révèlent. A savoir :

 la mesure de l'efficacité ou de la “productivité” de ces services, l'évaluation des changements opérés par ces prestations, pour lesquels les raisonnements et les outils disponibles, conçus dans une logique industrielle ou “standardisable”, ne sont pas pertinents (1)  ;

 les processus de professionnalisation de ces activités qui viennent perturber de nombreux métiers, inciter à leur recomposition et posent la question de savoir si cet ensemble de compétences constitue de nouveaux métiers ou doit irriguer les métiers anciens du social, du sanitaire, du socio-culturel pour les transformer. » Jean-Luc Charlot Chargé de mission « emplois-jeunes »  - Mission locale de l'agglomération caennaise : 1, place de l'Europe -14200 Hérouville- Saint-Clair -Tél. 02 31 94 76 21.

Notes

(1)  Lire à ce propos l'article de Christophe Dejours, « Evaluer les activités de service ? », paru dans Le Monde du 13-02-01.

TRIBUNE LIBRE

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