Recevoir la newsletter

SORTIR LES LIEUX PASSERELLES DU NO MAN'S LAND

Article réservé aux abonnés

Ségolène Royal a annoncé, le 26 avril, son intention de créer des « jardins d'enfants éducatifs », destinés aux 2-3 ans et inspirés des lieux passerelles expérimentés depuis 20 ans pour faciliter l'entrée à l'école maternelle (1). Ses projets s'appuient sur un rapport remis discrètement au gouvernement et que les ASH ont pu se procurer. Il dresse un bilan nuancé de ces structures passerelles (2) et suggère des pistes de recadrage.

Deux chiffres pour situer le débat. Environ 9 % des moins de 3 ans sont gardés en crèche ou en halte-garderie. Et un tiers des enfants de 2 ans sont accueillis en maternelle, une moyenne nationale recouvrant de grandes disparités départementales. Ainsi, seule une minorité de jeunes enfants a fait l'expérience de la collectivité avant l'âge de 3 ans, qui marque les véritables débuts scolaires. C'est pour permettre une socialisation progressive et une séparation « en douceur » d'avec la famille qu'ont été expérimentés des dispositifs passerelles. « Mises en place dans le cadre d'une politique d'action en faveur des milieux défavorisés (zones d'éducation prioritaire, développement social des quartiers, politique de la ville)  », précisent les auteurs du rapport, Daniel Villain, inspecteur général des affaires sociales, et Bernard Gossot, inspecteur général de l'Education nationale, ces structures entendent concourir à la prévention primaire des inégalités scolaires.

Des dispositifs hétérogènes

Mais quels sont précisément ces dispositifs ?Véritables classes intégrées aux maternelles, les « classes passerelles » - une soixantaine en France - sont situées dans des zones  (ZEP) ou des réseaux d'éducation prioritaire (REP), où « la population [...]est largement constituée de familles ou de mères jeunes et isolées, sans lien social ni appui familial repéré ». De familles issues de l'immigration, également, qui « aux caractéristiques [...] d'isolement au sein de la population française et de précarité économique, [ajoutent] le handicap de la non-maîtrise de la langue et donc la grande difficulté d'entrer dans la dynamique de scolarisation de l'enfant ». D'où la « nécessité d'un chemin d'accès particulier » pour conduire leurs enfants vers une scolarité réussie.

A côté de ces classes, s'est développée une pléiade de « structures passerelles riveraines de l'école maternelle » à laquelle elles sont plus ou moins solidement arrimées. Certains lieux, dont la gestion et le personnel relèvent de la commune, sont par exemple étroitement associés à une classe : le responsable de la structure et l'enseignant définissent en commun des actions permettant « au binôme parents- enfants d'effectuer en quelques semaines un parcours préparant chacun au passage du lieu passerelle très familial à la classe d'accueil et d'intégration à la maternelle », résument les auteurs.

On peut repérer quelques caractéristiques partagées par ces classes et dispositifs passerelles. Ainsi, « les enseignantes d'école maternelle [en] constituent le contingent de professionnels le plus important ». Auprès de ces « personnes de référence », interviennent des agents territoriaux spécialisés d'école maternelle (ATSEM), des éducateurs de jeunes enfants, des auxiliaires de puériculture... La participation d'emplois-jeunes ou d'aides-éducateurs est, en outre, souvent sollicitée. Autre ligne directrice, le caractère partenarial de la démarche. Les communes, « massivement engagées dans la prise en charge financière des actions, notamment par la signature des contrats de ville », assurent les frais de fonctionnement, la rémunération des personnels n'appartenant pas à l'Education nationale, mettent des locaux à disposition... Elles sont soutenues par une forte participation des caisses d'allocations familiales par le biais des contrats enfance. L'Education nationale intervient notamment au moyen des traitements versés aux enseignants et aux aides-éducateurs, des crédits ZEP et REP, des aides à l'éducation innovante. Les conseils généraux, les centres communaux d'action sociale, les services de la protection maternelle et infantile, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales sont également fréquemment parties prenantes des dispositifs, ainsi que le milieu associatif, dont le rapport souligne l' « active participation ». Mais cette richesse partenariale a aussi ses inconvénients, pointés par le document : « Il existe un flou dans l'initiative et le pilotage des dispositifs passerelles, ceux-ci deviennent souvent l'enjeu de conflits d'influence, voire de pouvoir, et se trouvent fragilisés. »

Ces points de convergence, cependant, ne masquent pas la très grande hétérogénéité du secteur, concernant les sites d'implantation, les conceptions éducatives, les activités proposées ou encore le mode de participation des parents. « Une telle variété correspond à une adaptation [...] aux spécificités locales. [...] Elle [...] peut être perçue comme une faiblesse de la politique engagée et peut nourrir la critique de détracteurs qui voient là un ensemble d'actions hétéroclites et dont l'intérêt n'est pas forcément avéré », relèvent les auteurs. Pourtant, le texte fondateur des dispositifs passerelles aurait dû éviter cette dispersion. Il s'agit du protocole d'accord signé le 20 septembre 1990 entre le ministère de l'Education nationale et le secrétariat d'Etat auprès du ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale chargé de la famille. Il pose les bases d'une coordination locale des instances et personnels concernés sous la forme de groupes « petite enfance » à l'échelle d'une commune ou d'un quartier, et instaure des structures de concertation départementale. Il souligne également la complémentarité des interventions des enseignants, des éducateurs de jeunes enfants, des puéricultrices... et préconise des formations continues conjointes. Dix ans plus tard... les deux auteurs du rapport en sont réduits à recommander l'application du protocole. Insuffisamment relayé sur le terrain, ce dernier s'est révélé, à leur grande surprise , « inconnu de la quasi-totalité de [leurs] interlocuteurs ». Ainsi, face au caractère exceptionnel des structures de concertation départementales, ils plaident pour que des instructions parviennent aux préfets pour que soient régulièrement réunis les « partenaires naturels » du secteur, services de l'Etat, conseil général, communes, CAF, Union départementale des associations familiales. « C'est dans ce cadre intégré, plus large, enfin coordonné, de la petite enfance que le devenir des dispositifs passerelles pourra le mieux s'étudier, associer les réflexions, peser les contributions et penser les formations nécessaires. » Ces groupes seraient chargés de faire un état des lieux de l'existant, d'estimer les besoins, de programmer des actions coordonnées, et de formuler un cahier des charges garantissant la qualité des dispositifs.

Autre signe attendu pour que le développement de dispositifs passerelles ne soit plus freiné, « un encouragement clair au décloisonnement des métiers de la petite enfance » qui semble avoir connu un « succès limité ». De fait, les points de vue des administrations centrales divergent. « Depuis dix ans, on plaide pour que les écoles maternelles travaillent avec les spécialistes de la petite enfance, on a rencontré l'opposition de l'Education nationale », constate un interlocuteur issu de la direction générale de l'action sociale. En fait, l'accueil des enfants de 2 ans au sein de structures passerelles constitue un « no man's land » entre deux secteurs aux compétences clairement circonscrites, petite enfance et Education nationale. Le premier « considère qu'il est contraint de mettre en place des structures visant à pallier les difficultés d'accueil des enfants de 2 ans en école maternelle », tandis que le second « considère que, par les dispositifs passerelles, il participe à la mise en place de structures pour combler les carences en possibilités d'accueil des enfants jusqu'à 3 ans en crèche et halte-garderie », regrettent les auteurs.

En sus des querelles de chapelle, les dispositifs passerelles se heurtent à un contexte théorique « empreint de confusion et d'incertitude, peu favorable [à leur] développement ». Visant à préparer l'entrée à l'école dans les meilleures conditions possibles, ils sont, en effet, étroitement inscrits dans les préoccupations concernant la scolarisation des enfants de 2 ans en maternelle. Or celle-ci « reste un sujet de débats, sinon de controverse », même si de nombreux experts s'accordent à en reconnaître les bienfaits « pour les enfants dont l'environnement social et culturel est défavorisé ». Une chose est sûre, cependant : « L'école maternelle telle qu'elle fonctionne actuellement ne présente pas les meilleures conditions d'accueil des enfants de 2 ans. » Pédagogie, encadrement, matériel..., tout est à améliorer et à adapter.

Des objectifs discordants

Un certain flottement, voire des discordances, sont également perceptibles à propos des objectifs assignés aux dispositifs passerelles. Sur l'accompagnement des parents dans l'exercice de la fonction parentale, par exemple, les avis sont partagés. Si tous les interlocuteurs rencontrés par la mission sont favorables à la reconnaissance de la légitimité de cette fonction et à des échanges avec les parents, certains n'esquivent pas cette interrogation fondamentale : « Quel droit, pour les professionnels de la petite enfance et de l'éducation, d'intervenir sur le soutien à la fonction parentale ? » Ce manque de consensus vient évidemment fragiliser les dispositifs. De même que l'absence d'une évaluation objective, allant au-delà des « avis favorables concordants sur le bénéfice retiré par les enfants, les conditions dans lesquelles s'opère la séparation et l'effet retiré par les familles grâce à l'implication recherchée des parents ».

C'est en partie à cause de ces incertitudes théoriques et de cette carence de l'évaluation que les auteurs, tout en plaidant pour un soutien accru aux lieux passerelles, estiment que leur généralisation « n'est pas envisageable ». Des travaux complémentaires sur la psychologie des enfants de cet âge et la pédagogie susceptible de leur être appliquée leur semblent nécessaires. Sans compter que ces actions « reposent sur un partenariat qui ne se décrète pas » et que « les moyens humains et matériels à rassembler demeurent hors de portée des financeurs ». Mais l'opposition la plus inattendue à cette généralisation émane... des partisans de cette forme d'accueil. « Lesquels appréhendent une “modélisation qui détruirait le dynamisme et le volontariat”, essentiels selon eux à la viabilité comme à la pertinence des dispositifs passerelles face aux besoins qui les justifient sur un territoire déterminé. » Une appréhension avec laquelle Ségolène Royal devra compter dans le cadre du développement des « jardins d'enfants éducatifs ».

Céline Gargoly

Les projets de Ségolène Royal

On devrait en savoir plus le 11 juin, lors de la conférence de la famille. Mais Ségolène Royal a déjà annoncé, le 26 avril, son choix de créer de nouvelles structures, les « jardins d'enfants éducatifs », inspirées à la fois des jardins d'enfants, structures d'éveil pour les enfants de 2 ans développées par endroits, et des structures passerelles préparant à l'entrée en maternelle. Elles peuvent « dès à présent être mises en place en qualité de réalisations expérimentales prévues par le décret du 1 er  août 2000 » (3) , précise son ministère. Mais « dans la mesure où il s'agit d'une structure nouvelle que la ministre de la famille et de l'enfance souhaite voir développer puisqu'elle correspond à des besoins très fréquemment exprimés, il est envisagé de l'identifier en tant que telle et de la faire figurer dans le décret, qui sera modifié à cet effet ». Parallèlement, Ségolène Royal envisage, conformément aux préconisations des auteurs du rapport, de donner au protocole d'accord de 1990 une impulsion nouvelle. Elle entend notamment porter l'accent sur la mise en place effective des coordinations départementales, renforcer les liens avec l'Education nationale, élaborer un cahier des charges destiné à assurer la qualité des dispositifs passerelles, impliquer davantage les services déconcentrés de l'Etat, et prendre en compte les spécificités du milieu rural.

Notes

(1)  Voir les autres annonces de la ministre déléguée à la famille et à l'enfance dans ce numéro.

(2)  Rapport sur les dispositifs passerelles. De la famille et du lieu de garde à l'école maternelle - Daniel Villain et Bernard Gossot - Remis en novembre 2000 à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, au ministre de l'Education nationale, et à la ministre déléguée à la famille et à l'enfance.

(3)  Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur