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Instituteurs-éducateurs : à chacun sa place

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Educateur spécialisé dans un institut médico-éducatif (IME), Didier Nevoux adresse une lettre ouverte au président de l'Unapei. Il s'insurge contre la volonté de l'association de voir davantage d'instituteurs spécialisés dans les IME, au détriment, selon lui, de la place des éducateurs spécialisés.

« Arrêtez ! Depuis plusieurs années, la place des éducateurs spécialisés dans les instituts médico-éducatifs  (IME) semi-internats est régulièrement remise en cause, au profit d'instituteurs spécialisés, dans les discours de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales  (Unapei). Vos réactions régulières dans ce sens, à certains faits récents, m'obligent à vous interpeller. Je ne me placerai pas sur un plan salarial bien qu'on puisse s'étonner que notre employeur ne considère pas plus le travail des éducateurs, mais uniquement sur un plan technique.

Je ne peux vous laisser affirmer, sans demande d'explication, que “6 000 enfants et adolescents handicapés mentaux sont non scolarisés ou ne bénéficient pas de solution éducative adaptée”   (1) et que vous préconisiez “la création en urgence de 300 postes d'instituteurs spécialisés”.

Simple transmission du savoir...

[...] Une personne qui fait le choix d'enseigner rentre dans une dynamique de transmission de savoir, de développement de compétences scolaires et de performances intellectuelles. C'est à la réussite scolaire de ses élèves que l'on juge de la qualité d'un enseignant, même s'il est spécialisé.

Un éducateur, de par ses valeurs, sa formation, la philosophie de son métier, est dans une dynamique d'accompagnement de la personne, pour l'aider, malgré ses difficultés, à aller le plus loin possible dans son autonomie, pour qu'elle soit le plus intégré possible dans son environnement.

Quand un éducateur spécialisé travaille dans un IME semi-internat (horaires scolaires), il a le souci de proposer aux jeunes accueillis des situations d'apprentissage qui les feront progresser au maximum. Je ne parlerai pas ici de la préparation à la vie d'adulte, qui est une autre question, mais du travail fait avec les plus jeunes, dans les sections d'éducation et d'enseignement spécialisés  (SEES).

Dans notre établissement, nous avons regroupé autour de trois thèmes le travail proposé aux jeunes : domaine affectif et social, domaine psychomoteur et manuel, domaine intellectuel. Dans chacun de ces domaines, notre action vise à développer le potentiel de chaque jeune, en complémentarité avec des intervenants plus spécialisés pour des rééducations.

…ou travail éducatif ?

Le développement intellectuel est, à la fois, un objectif en soi, à part entière, et le support d'un travail éducatif et/ou thérapeutique : le développement maximum des possibilités intellectuelles d'un jeune fait partie de nos devoirs et, en même temps, des progrès intellectuels contribuent à une meilleure organisation psychique. Par contre, si au cours d'un temps d'éveil intellectuel, un enfant “projette” des affects divers, des angoisses ou d'autres types de difficultés, on ne va pas lui demander de se taire, parce qu'il est “hors-sujet”. Mais, au contraire, on va prendre le temps de l'écouter dans ce discours, parce qu'il est justement complètement dans le sujet (de sa personne). Or c'est là qu'intervient la spécificité de l'éducateur spécialisé.

Vous vous en rendez bien compte en tant que parents. Il ne s'agit pas, auprès des “handicapés” mentaux, que de “retard” scolaire, qu'on pourrait rattraper avec plus d'instits, plus de “scolaire”... (contrairement à ce que pourrait faire penser la terminologie actuelle de “retard” mental). Il s'agit véritablement de déficience, c'est-à-dire d'atteintes, de perturbations des efficiences habituelles.

Cela signifie, entre autres, un développement rarement “harmonieux” sur les différents plans de la personne et souvent une hétérochronie à l'intérieur même de la sphère intellectuelle. Aussi, l'adulte intervenant doit-il avoir à l'esprit, non pas forcément ce qui se fait habituellement à l'école, mais ce qui, dans un cheminement développemental, constitue l'étape suivante dans tel domaine précis. Je ne peux développer ici comment alors travaille un éducateur, mais croyez bien que les gens du terrain défriché depuis près de 40 ans, réfléchissent à leur pratique, sinon ils ne travailleraient plus dans ce secteur. Je vous concède que les éducateurs spécialisés n'ont pas forcément cette compétence particulière quand ils sortent de formation initiale, mais ils s'y forment en continu et par la pratique.

Les instituteurs non plus, malgré leur spécialisation, ne sont pas forcément plus compétents pour faire progresser vos enfants dans le champ intellectuel. Qu'ils soient plus aptes à s'occuper de ceux qui parviennent aux capacités des apprentissages fondamentaux (lecture, calcul...), je veux bien ; mais tout le travail “d'éveil intellectuel” qui précède gagne largement à être proposé par ceux qui partagent, avec les jeunes, leur contexte journalier de travail, pour d'emblée donner du sens à leurs apprentissages.

On est ici plus proche, au niveau des “instits”, de ce qui se fait dans les maternelles, où, en général, la tâche des adultes est plus éducative qu'enseignante. Ce qui est dans la logique de notre propos.

Ce que nous énonçons ici comme faisant partie de la fonction de l'éducateur n'empêche pas que les enfants soient également accueillis en petits groupes, à l'école communale, par un instituteur spécialisé uniquement affecté à nos jeunes de l'institut médico-éducatif et que nous menons en commun, éducateurs et instituteurs, des activités entre enfants de l'IME et enfants de “l'école communale” pour répondre aux besoins d'intégration sociale que permet l'école ordinaire.

Voilà exprimé, à chaud, quelques-unes de nos réactions à vos prises de positions répétées. Croyez bien que nous prenons à cœur notre métier et que si, de la capitale, nous n'apercevez que les “ailes” de ce qui se fait sur le terrain (pour faire allusion à une récente émission télévisée à laquelle vous participiez), en province, nous savons développer les “racines” des êtres qui nous sont confiés, afin qu'ils poussent et s'épanouissent au mieux dans notre société. »

Didier Nevoux Educateur spécialisé IME Le Baudrier - Adapei 35 : Domaine de l'Abbaye - 35250 Saint-Sulpice-la-Forêt.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2202 du 16-02-01.

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