Etre à la fois immigré et vieux, immigré et pauvre, c'est être en soi un paradoxe. D'abord parce que vieillir dans l'immigration est « illégitime » : il n'y a pas, en effet, d'immigration de travail qui n'ait été conçue avec l'impératif du retour. De la même façon, la pauvreté de l'immigré est « illégitime » - autant pour lui-même que pour la société d'accueil -, car son départ visait justement à lutter contre la misère. Alors qu'on est parti pour améliorer son quotidien et celui de sa famille, comment imaginer qu'on puisse être happé par la spirale de la précarité dans l'Hexagone ? Et pourtant, c'est une réalité. Les permanences des assistantes sociales sont remplies de ces gens - et encore, pas de tous, car certains, drapés dans leur dignité, n'osent pas « quémander ».
Les difficultés liées à l'inscription dans les textes législatifs de conditions de nationalité ou de résidence trop restrictives limitant l'accès aux droits commencent à s'estomper. Mais il reste- travail énorme ! - à les aider à recouvrer effectivement ces droits. L'instruction d'un dossier de couverture maladie universelle, par exemple, est un vrai casse- tête et prend des mois. D'une façon générale, chaque avancée est parasitée par des complications extrêmes. Comme l'a montré la création, en 1998, d'une « carte retraité », censée faciliter les allers-retours entre la France et le pays d'origine, mais qui fait perdre la plus grande partie de la couverture maladie... En outre, les services sociaux sont parfois réticents à intervenir auprès de ces publics : par exemple, les centres communaux d'action sociale sont peu enclins à leur envoyer des aides-ménagères, notamment lorsqu'ils vivent dans des foyers. Pourquoi sont-ils exclus du maintien à domicile alors que la plupart, comme tout le monde, aspirent à vieillir dans leur cadre de vie ? Dans les coordinations gérontologiques, on ne trouve généralement pas une ligne sur le chapitre des immigrés.
On est passé d'une génération de travailleurs sociaux qui décidaient jusqu'au montant du mandat à envoyer au pays, faisaient office à la fois d'écrivains publics, d'interprètes, d'auxiliaires du médecin, de conseillers en économie sociale et familiale, à une génération plus « professionnelle ». Il y a moins de paternalisme, c'est une bonne chose. Mais il me semble qu'il y a aussi moins de sensibilité à la fragilité de ces publics, à leur souffrance. Une dose d'humanité serait à introduire. Je ne dis pas que les travailleurs sociaux sont des automates, mais il ne faut pas minimiser les conséquences de la trajectoire de ceux qui, partis pour 10 ou 15 ans, sont encore en France 40 ans plus tard et vont y mourir. La vie s'est faite sans eux de l'autre côté, leur place dans la hiérarchie a changé. Tout cela est à décrypter, à prendre en compte.
Personne ne s'est jamais vraiment emparé de ce dossier avec nous. Des réactions officielles, nous n'en n'avons pas vu beaucoup. Certaines thématiques sont peu gratifiantes politiquement. Or, ce public-là est très discret et pudique, répugnant à se manifester auprès de l'administration, des pouvoirs publics - au contraire des plus jeunes. Notre colloque est l'occasion d'attirer l'attention sur ces concitoyens âgés qu'on est allé chercher et sur lesquels on n'a pas le droit de fermer les yeux. Il faut les raccrocher à une dynamique de solidarité. D'autant plus que les générations montantes demanderont des comptes. De plus en plus, les jeunes disent : « Je jugerai ce pays sur ce qu'il a fait pour mes parents. » Propos recueillis par Céline Gargoly
(1) Intitulé « Vieillesse, immigration, précarité », il se tient au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (Hauts-de-Seine) - OGMF : Pavillon Maurice-Deparis - Hôpital Paul-Brousse - 12, avenue Paul-Vaillant-Couturier - 94804 Villejuif cedex - Tél. 01 45 59 39 45.
(2) Voir ASH n° 2125 du 25-06-99.