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La parentalité à l'épreuve de l'intervention publique

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L'Etat intervient dans la cellule familiale pour porter assistance aux enfants en danger. Une mission qui n'a pas vocation à s'exercer au détriment des relations parents- enfants. C'est cette association des familles à l'accompagnement éducatif de leurs enfants que s'efforcent de promouvoir plusieurs initiatives.

« L'Etat ne doit pas faire la guerre aux parents défaillants mais, à l'inverse, inscrire son action dans une responsabilité à restaurer », affirme le magistrat Denis Salas (1). Reste à savoir quelle place le dispositif de protection de l'enfance accorde, effectivement, aux parents. « Sous prétexte de les responsabiliser, n'avons-nous pas tendance à les encadrer, leur donnant ainsi le sentiment qu'ils sont incapables d'assumer leurs responsabilités ? », s'interrogeait Roger Bello, vice- président de l'Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss) Ile-de- France, lors d'une journée d'étude organisée à Paris (2).

Les effets pervers du placement

« Seul un regard qualifiant sur leurs capacités à être de bons parents, serait susceptible d'aider les familles en situation de grande pauvreté à faire émerger leurs potentialités cachées par des années de misère, d'humiliation et de mépris », estime Marie-Cécile Renoux, permanente du mouvement ATD quart monde. Mais mobiliser les ressources des parents afin de leur apporter une aide appropriée suppose de prendre le temps d'aller à leur rencontre et de bâtir avec eux une relation de confiance, d'autant plus difficile à instaurer que la peur de se voir retirer leurs enfants pèse lourd sur la vie des plus démunis. En outre, lorsqu'il y a placement, est-il toujours clair que l'objectif est bien le retour rapide de l'enfant chez ses parents et que ces derniers doivent être soutenus dans cette perspective pendant la séparation ?, s'interroge encore Marie-Cécile Renoux.

Il est évident que tout manquement au respect des droits des parents et que leur exclusion des processus de décision, ne fait que renforcer leur sentiment d'injustice et d'impuissance. De fait, si le travail mené avec eux, lors du placement de leurs enfants, est trop réduit, la situation familiale n'a guère de chance d'évoluer. L'incompréhension entre familles et travailleurs sociaux peut même, dans certains cas, faire du placement une vis sans fin : les parents se voient reprocher de refuser de collaborer ou de se remettre en question, ou bien encore d'avoir une attitude néfaste et d'entraver le travail éducatif, ce qui constitue autant de raisons de prolonger la mesure.

Dépendance, déresponsabilisation, disqualification : forçant le trait des effets destructeurs de l'institutionnalisation de la protection, François Bernard, directeur du centre maternel Clairefontaine de l'Association vers la vie pour l'éducation des jeunes rappelle une règle de base. « La seule personne habilitée à éduquer l'enfant est le parent. » Toute autre intervention devra partir de cet énoncé premier et ne pourra en constituer que des aménagements.

Bien sûr, quels qu'en soient les motifs, le placement d'un mineur signe une faillite plus ou moins grave de la position naturelle d'autorité des parents, explique Patrick Le Goff, responsable d'une maison des enfants de la Fondation Méquignon située aux Mureaux (Yvelines). Mais une fois qu'on a pris acte d'un non-respect des obligations parentales, il convient d'évaluer la capacité de restauration de l'unité familiale et de permettre à l'enfant de développer sa propre parole face à une mère qui refuse d'en faire un sujet et à un père qui n'a pas introduit la loi.

Faire du placement un temps de réflexion

Dans les maisons des enfants de la Fondation Méquignon (3), le principal support de ce travail est le partage d'un quotidien chaleureux et sécurisant, où les parents ont une grande place. Services d'accueil temporaire d'urgence, ces maisons sont constituées d'un petit pavillon pouvant recevoir huit enfants, entre 3 mois et 17 ans, pour une durée maximale de deux mois renouvelables une fois. Les jeunes accueillis - si possible dans le cadre d'un premier placement- viennent, en priorité, d'un secteur géographique proche afin de ne pas être coupés de leur environnement relationnel et social habituel.

Maltraitance, situation conflictuelle, hospitalisation d'un ou des deux parents, expulsion : les enfants ou les adolescents admis - éventuellement dans la journée de la demande - sont dans une situation de rupture familiale, et il convient, avant tout, d'assurer leur garde et leur protection. Mais il s'agit aussi de donner du relief et du sens aux problèmes vécus et de permettre, le cas échéant, aux enfants et aux familles de demander ou d'accepter une prise en charge.

« Notre parti pris est de redonner à la mesure de placement, souvent vécue comme un échec, sa valeur d'outil de travail à l'intention des partenaires, développe Chantal Kellner, responsable de la maison des enfants d'Elancourt (Yvelines). Le placement devient alors un temps de réflexion proposé à des familles en difficulté et aux travailleurs sociaux qui les suivent, avec lesquels nous collaborons étroitement. » Aux premières, il peut offrir une possibilité de récupération, aux seconds, un nouvel éclairage pour repenser la dynamique familiale. Il arrive d'ailleurs que ces séparations brèves soient une alternative au placement à long terme, en sauvegardant la cellule familiale dont les membres auront pu réaménager leurs relations.

Au moment de l'admission de l'enfant - et si possible avant, en recevant préalablement l'intéressé avec sa famille et le travailleur social demandeur du placement-,   « nous signifions la place réelle ou symbolique que nous donnerons aux parents », précise Patrick Le Goff. Visite du pavillon, description de son fonctionnement et explications du motif du placement : dès l'arrivée du jeune, accompagné de ses parents, l'objectif est d'établir un rapport de confiance avec la famille. « En l'absence d'au moins un des parents, nous trouverons une solution rapide pour les associer à notre action, y compris par l'intermédiaire de nos collègues, en leur demandant de transmettre les objets personnels de l'enfant et de nous faire connaître ses habitudes, ajoute Patrick Le Goff. Et nous nous efforçons d'organiser, sans attendre, les rencontres avec la famille - sauf interdiction prévue par la décision judiciaire -, dans la double perspective d'observation et d'accompagnement réparateur. »  

Atout essentiel de cet accompagnement, la proximité permet à l'enfant de garder son école et ses habitudes, et à ses parents de venir régulièrement partager des moments de sa vie. Bain aux tout-petits ou suivi des devoirs des plus grands, visites chez le médecin ou courses d'habillement avec l'éducateur : toutes sortes d'activités- comme les maladresses ou carences alors constatées, ainsi que les « ratés » constitués par une défection parentale - sont retravaillées dans un climat rassurant. Et lors de l'accueil en urgence d'un mineur d'origine étrangère dont aucun des deux parents n'est présent ou joignable, ni même averti de la décision de placement, c'est avec des mots que l'importance de ses parents est réintroduite dans la vie de l'adolescent. Bien sûr, le « t'es pas mon père ni ma mère, t'as aucun droit sur moi » est une accusation toujours prompte à jaillir de la bouche des enfants. Aussi, « notre crédit est d'autant plus fort que nous définissons clairement le cadre dans lequel nous nous inscrivons, souligne Patrick Le Goff : délégation du droit de garde, respect des attributs de l'autorité parentale, exercice d'une autorité d'influence ».

Aller de l'accueil de jour à l'hébergement

Egalement à rebours des pratiques qui tendent à protéger les enfants sans préserver leurs relations avec leurs parents, l'association La Vie au grand air met actuellement en place, à Dreux, un service éducatif de voisinage (4). La réponse proposée est double : accompagnement éducatif à temps complet ou partiel - avec glissements possibles entre les deux formules.

Installés dans des locaux distincts qui partagent le même jardin et fonctionnent avec la même équipe éducative, deux pavillons peuvent chacun accueillir, sur décision administrative ou judiciaire, dix enfants de 2 à 12 ans : la maison de voisinage est une structure d'hébergement de courte durée - mais sans limitation expresse dans le temps - qui assure une véritable suppléance parentale, tout en étant largement ouverte aux familles et aux personnes que connaît l'enfant (dans le cadre des prescriptions éventuelles du magistrat)  ;l'accueil de jour, quant à lui, sorte de placement sans hébergement, reçoit les enfants hors temps scolaire (le soir de 16 heures à 20 heures, le mercredi après-midi et les jours sans école), selon un rythme de fréquentation fixé dans une convention élaborée au début de la mesure. L'objectif, précise Bernard Lemaignan, directeur du service, est de « pouvoir passer facilement de l'accueil de jour à l'hébergement, notamment en cas de crise familiale aiguë, ou bien, au contraire, de l'hébergement à l'accueil de jour, pour aménager progressivement une fin de placement par exemple, tout en assurant une évaluation de retour ».

Dès l'instant où l'on a pensé que l'Etat devait se glisser dans les relations familiales pour protéger les enfants, cela s'est fait dans le déni des parents, analyse l'historienne Annie Cadenel. De cette tendance à « jouer » l'enfant contre la famille, qui remonte au dernier quart du XIXesiècle, serait-on en train de sortir ?

QUEL TRAVAIL AVEC LES PARENTS ?

Pour en savoir plus sur la place faite aux familles par les institutions chargées de la protection de l'enfance, l'Uriopss Ile-de-France a réalisé une enquête à laquelle 54 de ses adhérents ont répondu (5) . Leurs réponses font notamment apparaître l'importance - au moins formelle - accordée au travail avec les familles :il est mentionné à la fois dans le projet d'association et le projet d'établissement dans près de huit cas sur dix. Dans la même proportion, les structures affirment informer les parents de leurs droits et devoirs. Cependant, faute de documents écrits encore très rares (livrets d'accueil, par exemple), cette information se fait le plus souvent de façon orale, dans le cadre de la première visite de l'établissement. Et l'accueil des familles se limite souvent aux rencontres qui ont lieu au moment de l'admission de l'enfant ; il s'avère rarissime que les parents soient conviés à participer à la vie quotidienne de celui-ci. « Le travail avec les familles est essentiellement un travail individualisé, qui s'ingénie à trouver des formes et des contenus particuliers pour chaque situation », commente Claude Hiblot, directeur général de la Fondation Henri-Ruel. Cependant, dans 31 % des cas, aucun temps spécifique n'est prévu pour l'effectuer. En outre, la majorité des services ou structures (55 %) estime que les travailleurs sociaux sont insuffisamment formés à la prise en compte des parents. Sur le plan institutionnel, ces derniers ne sont pas mieux lotis : dans 69 % des structures ayant participé à l'enquête de l'Uriopss, il n'existe pas de conseil d'établissement.

Caroline Helfter

Notes

(1)   « La responsabilité des familles »  - Informations sociales n° 73-74 - 1999.

(2)  Le 3 avril par l'Uriopss Ile-de-France : Thierry Samper - 54, avenue Philippe-Auguste - 75011 Paris - Tél. 01 44 93 27 07.

(3)  Il existe quatre maisons des enfants (trois dans les Yvelines, une en Eure-et-Loir)  - Rens. : Fondation Méquignon - 16, rue Abbé-Méquignon - 78990 Elancourt - Tél. 01 30 13 87 00.

(4)  La Vie au grand air : 90, rue Saint-Martin - 28100 Dreux - Tél. 02 37 46 11 45.

(5)  Associations gestionnaires de services d'AEMO, de placement familial, d'accueil d'urgence, de prévention spécialisée, foyers éducatifs, maisons d'enfants à caractère social, centres maternels. Pour plus d'informations, voir le site Internet www.ash.tm.fr, rubrique « Ça se passe près de chez vous ».

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