« Dans un article paru dans les ASH, intitulé “Logiques professionnelles et logiques d'organisation : l'impossible réconciliation ?” (1), est abordée la question essentielle de “l' instrumentalisation” du travail social. Entre compétences et qualification, l'humanisation au quotidien de nos structures pourrait-elle être remise en cause ?
Nous sommes à peine sortis d'une mise en place laborieuse des 35 heures qu'il serait insoutenable et cynique de n'envisager l'avenir du médico- social que sous l'angle économique de la production, de l'activisme, de l'autorité ou du pouvoir éducatif, de l'obédience associative, ou du tout juridique.
Dans la logique de nos organisations, le temps reste un concept presque “tabou” (le temps c'est de l'argent). Nous courons après le moindre reliquat de temps, chacun l'évoque au quotidien, de l'aide médico-psychologique se consacrant aux levers des personnes dépendantes aux moniteurs d'atelier soucieux de leur production. Ce temps condensé ou contracté des ateliers d'un centre d'aide par le travail (CAT) ou de l'accompagnement des polyhandicapés en maison d'accueil spécialisée, est aussi devenu celui des services administratifs des établissements, des conseils d'administration des associations, et des commissions en tout genre.
La mise en place des 35 heures fut une rupture sans équivoque du suivi et de l'encadrement éducatif car elle entraînait la disparition pure et simple de temps éducatif sans contrepartie suffisante. Le manque de moyens qui a suivi s'est traduit par une accélération des interventions et la disparition d'activités au service des personnes.
Cette disparition a nécessité aussitôt la mise en place d'un management plus serré, d'un déplacement de certaines tâches qui ne pouvaient plus être assurées en temps “normal”. Les mécanismes de délégation ont été renforcés. Les cadres d'établissement et les services administratifs n'ont pas été pris en compte dans la réattribution des moyens humains à la suite de la réorganisation du temps de travail. Les administrations d'établissements ont dû supporter par leurs propres moyens la réduction du temps de travail des individus devenue une augmentation de la quantité de travail sur le terrain.
Les cadres, dans le même temps, obtenaient satisfaction, en 2000, sur une des plus vieilles revendications médico-sociales : l'avenant cadres. Celui-ci tombait à point pour valider (hasard ou coïncidence ?), mais pas pour justifier, une surcharge de travail désormais évidente.
Ainsi, les jours ne “paressent” plus et peut-être (on peut en douter) ne répondons-nous plus à l'attente de nos clients. Il y aurait une dichotomie entre l'attente de nos employeurs, toujours la même, qui nous presse parfois et nous empresse souvent, et la simple demande ou les besoins des personnes dont nous avons la responsabilité.
Les fonctions d'écoute et de “conduite” d'un moniteur d'atelier de CAT ou d'un (e) aide médico-psychologique sont sous pression du temps, de l'efficience, de l'économique, d'une nécessaire évolution des pratiques sans “l'humain”, au sens de l'essai de Jean-Pierre Le Goff sur Les illusions du management : “Les appels à la mobilisation, les changements répétés dans l'organisation du travail peuvent s'accompagner d'une dégradation des conditions de l'activité, d'une intensification du travail et d'une surcharge des tâches, sans contrepartie économique et sociale.” L'encadrement éducatif a vu, “par la force du temps”, s'éloigner en partie certaines de ses possibilités éducatives et de prise en charge des difficultés des personnes déficientes.
Des nouvelles contraintes productivistes et de polyvalence (avec son cortège de confusions des tâches) ont vu le jour, en même temps qu'une certaine rigueur budgétaire, entraînant certaines déqualifications. Le temps est maltraité dans son déroulement vertical, mais aussi horizontal : course à l'efficience dans un registre d'activisme, multiplicité des actions dans un même instant, multiplication des besoins.
Cette question ou cette interprétation des nouvelles donnes du temps est cependant contemporaine d'une réforme annoncée, qui devrait incessamment sous peu “éclore”, et qui prend, elle, tout son temps ! Comme si, finalement, ce temps-là était réservé ailleurs...
La réforme de la loi de 1975 prendra-t-elle en compte tous les risques et signes d'instrumentalisation de nos pratiques et de l'accueil des personnes ? Rien n'est moins sûr : dans le social, comme dans le sanitaire à partir de 1991, nous mettons en place des processus d'accréditation - parfois à notre insu, comme la norme ISO 9002 ou les nouvelles exigences du recrutement -, sans une réflexion approfondie sur nos mécanismes institutionnels, véritables moteurs de notre humanité et donc de notre relation à l'autre...
Les risques sont clairs désormais. Ils nous rappellent étrangement les données macro- économiques et ceux de la mondialisation. Il nous faut nous tourner résolument vers une réflexion institutionnelle, peut-être un peu moins méthodologique, mais sans doute plus riche en humanité. “Dans ces stages spécifiques, on veillera à ce que les exercices et l'apprentissage pratiques (l'entraînement) priment les exposés et les méthodologies formelles, et que soient pleinement prises en compte les situations et l'activité professionnelle des stagiaires”, explique Jean-Pierre Le Goff, dans son essai.
Pour ce faire nous avons déjà, à notre portée, tous les outils et les moyens humains nécessaires (évolution des compétences et des hommes, formation...). Nous devons simplement prendre conscience des dangers de nos méthodes actuelles et nous pencher un peu plus sur notre histoire et celle de nos “clients”, comme sur celle des professionnels. Miser sur la médiation (de tiers, partenaires, “miroirs” de nos pratiques) et sur la désinstrumentalisation de nos fonctions et de nos tâches nous assurera certainement un avenir plus serein et à taille humaine. »
Eric Bles Directeur adjoint de CAT - 205, Le Chatellier - 85310 Le Tablier -Tél. 02 51 46 77 34.
(1) Voir ASH n° 2186 du 27-10-00.