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Un peu de social dans le café ?

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Après la philosophie, le social fait son entrée au café. Les travailleurs sociaux apprécient de pouvoir échanger, autour d'un verre, sur leurs pratiques et le sens de leur action. Et éventuellement de discuter dans un cadre convivial avec les usagers.

Bois blond et tomettes claires, petites tables de bistrot et comptoir le long duquel trônent quelques tabourets hauts : à Caen, ce soir-là, dans le « café pédagogique » des centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (Cemea), le lien social est en débat (1). Qui face à un express, qui devant un jus de fruit, un thé ou un demi (sans alcool), les participants ont visiblement soif de connaître le cocktail contribuant à expliquer le succès de l'association La Voix des femmes.

Venues en voisines d'Hérouville-Saint-Clair témoigner de leur expérience au sein de la cité du Grand-Parc, Blandine Lefebvre, responsable de l'association, et Baya, une habitante du quartier deve- nue médiatrice sociale et culturelle à La Voix des femmes, précisent la nature et l'objet de leur projet. Cours de français et de code de la route, expositions, ateliers de couture ou de bricolage, épicerie sociale et permanences administratives sont quelques-unes des activités mises en place au fil des années. Mais, plus globalement, l'association est aussi un lieu d'échanges et de rencontres.

Comment monter un projet avec des habitants et, surtout, faire en sorte qu'ils se l'approprient ? Cécile Faradji, animatrice dans une maison des jeunes et de la culture, se montre particulièrement intéressée par le sujet. La Voix des femmes n'a bien sûr aucune recette à délivrer, les autres membres de l'assistance non plus. Mais, aiguillonnée par les questions de Philippe Lebailly, directeur des Cemea de Basse-Normandie, la réflexion s'affine au fil de la soirée. C'est bien là que réside le caractère pédagogique de ces rencontres : essayer, sans modéliser, de dégager la spécificité d'une démarche et permettre aux participants de confronter leurs pratiques.

Enseignants, travailleurs sociaux, formateurs : entre 450 et 500 personnes, en 1999 et 2000 - à raison de 30 au maximum par soirée afin que tout le monde puisse parler - ont fréquenté ce café pédagogique. Créé en novembre 1998, il propose, par trimestre, une douzaine de rencontres à Caen, ainsi qu'une à Argentan et une autre à Cherbourg pour donner l'occasion au plus grand nombre d'acteurs éducatifs et sociaux de la région d'accéder à ses animations. En outre, le café et son espace documentaire constituent un lieu-ressource, ouvert quatre après-midi par semaine.

Quelques habitués se rendent régulièrement aux soirées caennaises. C'est notamment le cas de professionnels débutants et d'emplois-jeunes, qui apprécient de pouvoir élargir leurs connaissances et leurs réseaux. Mais la majorité des participants choisissent de venir en fonction du thème abordé, motivés surtout par les rencontres traitant de situations où eux-mêmes se sentent en difficulté. Ainsi la présentation d'expériences positives, comme La Voix des femmes, attire moins de monde que les soirées où l'on débat de l'échec dans les apprentissages, des problèmes relatifs à la parentalité et à la fonction paternelle, ou des questions posées par l'intervention auprès d'adolescents. « Alliant le plaisir de la réflexion et de la rencontre dans un espace social peu contraint, le café pédagogique- comme en témoigne sa fréquentation - nous semble répondre, de façon adéquate, aux besoins d'échanges des acteurs de terrain », souligne Jacques Dommelier, directeur général des Cemea.

Education, loisirs, culture, action sociale : en fonction de priorités définies localement, d'autres Cemea ont suivi, peu ou prou, la voie initiée à Caen. Ainsi en Languedoc-Roussillon, un « bar à vins pédagogique », s'est créé en 1999- mais les rendez-vous n'y sont pas très réguliers - sur les questions relatives à l'enseignement (2). En Aquitaine, depuis plus d'un an, le café pédagogique bordelais des Cemea se réunit (environ une fois tous les deux mois) autour de thèmes portant essentiellement sur l'animation (3). Quant au dernier-né, le café pédagogique de Toulouse, ses orientations le portent davantage vers les problématiques liées à l'action et aux politiques sociales (4).

Sortir de l'univers professionnel

Fruit d'un partenariat entre les Cemea de Midi-Pyrénées et l'association Olympe de Gouges, ce café toulousain est ouvert, depuis le début de l'année, chaque mardi entre 18 heures et 20 heures. Et remporte déjà un vif succès, notamment auprès de travailleurs sociaux. Ainsi Virginie Albert, assistante sociale, en poste depuis peu, y apprécie l'occasion de retrouver les points d'appui théoriques qui commençaient à lui manquer. Quant à Magali Tardieu, éducatrice spécialisée, elle estime que ces rencontres permettent à des professionnels aux statuts et aux champs d'intervention différents, de sortir de leurs univers toujours un peu clos. « Ici, nous sommes en outre beaucoup plus à l'aise pour parler que dans nos institutions respectives », ajoute-t-elle.

La liberté de parole qui règne dans ces cafés pédagogiques reste, néanmoins, celle d'un confortable « entre soi ». Et c'est précisément ce qu'ont cherché à rompre- avec des bonheurs divers - d'autres promoteurs ayant, eux, choisi de véritables estaminets pour leurs débats.

A Grenoble, l'idée d'organiser un « café social » revient à l'Association des anciens du diplôme supérieur en travail social et à l'Association des cadres du travail social de l'Isère. « Notre objectif était que des travailleurs sociaux puissent, en dehors des contextes institutionnels et professionnels, discuter publiquement et avec tous les publics de la réalité sociale et du sens de leur action », explique François Sins, formateur à l'Institut de promotion des travailleurs sociaux d'Echirolles, l'un des instigateurs de la démarche (5).

Celle-ci, néanmoins, n'a vraiment atteint ses buts que du côté des professionnels. Heureux de pouvoir évoquer, par exemple, le caractère brutal que revêtent parfois leurs interventions ou l'attitude à adopter face à des acteurs non traditionnels du social (militants caritatifs, humanitaires, etc.), 15 à 30 praticiens ou étudiants en formation sont venus à chacune des huit rencontres du café organisées entre septembre 1998 et juin 2000. Lesquelles reprendront peut-être si une demande suffisante se fait jour. Les usagers, en revanche, ne se sont sentis (faiblement) concernés que lorsque les débats portaient sur des problématiques larges, comme la violence urbaine ou les emplois-jeunes.

Faire se rencontrer usagers et professionnels

Ailleurs, dans le Tarn, deux initiatives nées sous l'angle du métissage des publics ont obtenu des résultats contrastés : forte participation des usagers aux côtés des travailleurs sociaux, dans le premier cas ; déficit d'implication des professionnels, dans le second, alors que les citoyens de différents horizons se sont, eux, largement mobilisés.

A Castres, au sud du département, le projet avait germé, courant 1998, dans la tête d'une quinzaine de professionnels. Estimant que la question du social n'a pas vocation à être la propriété des techniciens et des politiques, le Collectif des travailleurs sociaux du Tarn Sud s'était constitué pour la ramener sur la place publique (6). Comme à Grenoble, la double ambition du café social de Castres, réuni à quatre reprises entre décembre 1999 et juin 2000, était à la fois de sortir du cloisonnement des structures, des institutions et des services, et de rompre le clivage entre professionnels et usagers.

Pari réussi : qu'il s'agisse de débattre de solidarité, de l'opportunité d'un RMI-jeunes ou encore de l'utilité des travailleurs sociaux, le Relais du Pont- Vieux a résonné de discussions très animées. Déstabilisant les professionnels, la présence d'usagers, représentant chaque fois une grosse minorité de la cinquantaine de participants, « a permis de lever la chape de plomb qui pèse sur les travailleurs sociaux », estime Yannis Youlountas, président de l'Association des cafés philosophiques du Tarn, qui animait ces rencontres. « L'un de mes efforts, précise-t-il, consistait d'ailleurs à les stimuler pour qu'ils osent exprimer des points de vue personnels et ne se retranchent pas derrière une fonction ou une identité professionnelle. »

Cependant, regrette-t-il, à la différence des usagers, les praticiens se sont souvent montrés assez timorés. Aussi, bien des questions précises- par exemple la protection de l'anonymat des Rmistes dans les commissions locales d'insertion - n'ont-elles reçu que des réponses prudentes et évasives, dignes de figurer dans un bréviaire du parfait travailleur social. Jugées néanmoins intéressantes, ces confrontations n'ont pas repris comme prévu, à l'automne dernier, faute de volontaire pour les organiser.

A Carmaux, en revanche, dans le nord du Tarn, « Les dialogues de comptoir » du café philo-social, viennent de débuter leur deuxième saison grâce à la mobilisation de quelques usagers. Ce sont les promoteurs du plan local pour l'insertion et l'emploi  (PLIE) du grand Carmausin qui avaient monté le projet. « Dans cet ancien bassin minier confronté à la progression de l'exclusion et à un taux de chômage supérieur à 22 %, nous souhaitions inviter les Carmausins à passer d'une position de consommateurs des politiques sociales à un statut d'acteurs du développement du territoire », explique Bertrand Racine, chef de projet du PLIE. Ce qui suppose, selon lui, de bousculer certaines pratiques des intervenants sociaux : leur approche réparatrice doit céder le pas à un travail plus collectif pour et avec les personnes concernées ; d'où la nécessité qu'ils sortent du rôle de porte-parole des populations dont ils s'occupent, pour s'exprimer en leur nom propre.

Expérimenter la démocratie participative

Le café philo-social de Carmaux qui, chaque dernier mardi du mois depuis janvier 2000, réunit toute personne intéressée par le social, visait donc à expérimenter une forme inédite de démocratie participative. Très appréciée des Carmausins (élus locaux, enseignants, militants associatifs, simples citoyens) - dont le nombre évoluait entre 50 et 100 - la démarche n'a pas fait recette auprès des travailleurs sociaux, qui se sont singulariser par leur faible présence et leur quasi-absence de prise de parole.

C'est vrai qu'à la différence de leurs collègues de Castres, les professionnels de Carmaux n'étaient pas demandeurs de ce type de rencontres. « De plus, le Carmausin ne connaît pas encore le dynamisme revendicatif du pays castrais, où les associations et l'action sociale, riches et structurées, participent activement aux problématiques du développement local », analyse Bertrand Racine. Le bilan pourtant est loin d'être négatif. Désireux que « Les dialogues de comptoir » se poursuivent, une poignée d'habitants de Carmaux s'est constituée en association (7) au nom, pour le moins, évocateur : « De quoi j'me mêle ? ».

Caroline Helfter

Notes

(1)  Cemea de Basse-Normandie - Stéphane Garnier : 33, rue des Rosiers - 14000 Caen - Tél. 02 31 85 29 80.

(2)  Cemea du Languedoc-Roussillon - Ludovic Castagnedoli : 28, rue du Faubourg Boutonnet - 34090 Montpellier - Tél. 04 67 04 35 60.

(3)  Cemea d'Aquitaine - Fabrice Lantoine : 178, rue Achard - 33300 Bordeaux - Tél. 05 56 69 17 92.

(4)  La Maison d'à Côté - Betty Fournier : 45, rue Jean-des-Pins - 31300 Toulouse - Tél. 05 62 48 56 68.

(5)  Institut de formation des travailleurs sociaux - François Sins : 3, avenue Victor-Hugo - BP 165 - 38432 Echirolles cedex - Tél. 04 76 09 02 08.

(6)  Ce collectif (informel) s'est, aujourd'hui, disséminé dans la nature.

(7)  Son siège est au café Le Gambetta : 1, place Gambetta - 81400 Carmaux - Tél. 05 63 76 59 95.

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