« La rencontre entre l'écrivain Jean Rouaud, prix Goncourt 1990 pour Les champs d'honneur, et les travailleurs sociaux peut surprendre. Cette confrontation insolite, organisée par l'institut régional du travail social de Bretagne, dans le cadre du lancement du diplôme supérieur en travail social, sous les auspices de la médiathèque de Lorient, avait pour but d'éveiller un désir d'écrire chez ceux qui vont se lancer dans cette aventure incertaine. Grâce au discours de Jean Rouaud, aussi riche et dense que ses romans, les passerelles affleurent et ces ponts, ainsi découverts, nous rassurent.
D'emblée, Jean Rouaud nous invite à la confiance car ce luxe d'écrire est accessible à tous. Certes, c'est un art difficile qui passe par la souffrance avant qu'il ne s'impose en plaisir.
C'est en évoquant les gens simples devenus des “hommes illustres” sous la plume du romancier que les points d'ancrage se sont articulés non seulement avec nos pratiques professionnelles quotidiennes mais également dans les efforts de compréhension, de restitution et de divulgation qui vont être menés par chacun. Prenons garde à la facilité des sujets redondants. Le prix Goncourt lui a été attribué pour une littérature alors peu considérée.
Ce n'était donc pas la magie qui nous a envoûtés ce soir-là mais bien la révélation que nous pouvions prétendre à la qualité. Certes, devant le talent de l'orateur, le doute sur nos capacités à défendre nos propos demeure, mais la perception de notre nécessaire responsabilité dans l'écriture atténue ce complexe latent et injustifié.
Par l'évocation de ses personnages, le romancier nous éclaire sur notre participation à la réhabilitation des gens de peu. Par l'écriture, on peut les sauver. Faut-il y déceler un impertinent orgueil ? Non, si l'on admet que l'écriture nous sauve aussi. C'est l'humilité qui devient la pierre angulaire du respect des autres ; humilité indispensable quand on aborde les premiers instants d'une recherche. Ces prémices qui nous donnent le vertige parce que dépouillées de toute substance. Il ne faut donc jamais trahir cette modestie pour aller au bout d'un questionnement que les rencontres vont sans cesse renouveler comme “de grands filets dérivants qui saisissent la vie des gens”. En rétrécissant les mailles, nous dépassons les préjugés et nous aiguisons notre curiosité pour des collectes d'informations multiples et insoupçonnées.
Et cette reconnaissance que Jean Rouaud revendique comme un souffle de vie, les travailleurs sociaux la convoitent donc à juste raison. Pour le romancier, la publication - élément de la reconnaissance - est salvatrice parce que le regard des autres donne du sens au texte. Les écrits des travailleurs sociaux méritent une mise en lumière car ils révèlent la richesse des expériences de terrain mais aussi les limites et les frilosités des engagements individuels et collectifs.
Jean Rouaud écrit pour essayer de comprendre comment ça se passe et non pour régler des comptes. Les apprentis chercheurs vont se mesurer à ce défi sans ignorer les risques de déstabilisation.
La formation continue permet d'initier ces “rapprochements savoureux d'expériences dissemblables” (1) qui valorisent les compétences, enrichissent les réflexions et les écrits. Le travail social - parce qu'il touche à toute la vie - possède ce privilège de briser les frontières apparemment intangibles entre des mondes qui se méconnaissent. Cette rencontre entre littérature et action sociale efface leur césure trop appuyée et encourage d'autres aventures qui font vaciller nos confortables certitudes. Que les travailleurs sociaux ne savent pas écrire, par exemple ! »
(1) C'est ainsi que Jean Lacouture décrit la vie de Germaine Tillion, ethnologue, résistante et inspiratrice des centres sociaux en Algérie.