Assistante sociale de formation et passionnée par l'histoire de la profession, Armelle Mabon fouille cette fois la période coloniale. Inutile de remonter très loin, car il faut attendre 1937 et le ministre des Colonies du gouvernement de Front populaire, Marius Moutet, pour qu'émerge le souhait de créer un service social en Afrique occidentale française. Sans suite pratique car, de mauvaise volonté de l'administration locale en refus de dégager un budget, le projet finit torpillé en 1939. A quoi bon d'ailleurs ? Dans la rhétorique colonialiste, l'organisation tribale et le système de la famille étendue qui prend en charge l'assistance aux vieux, aux chômeurs et aux infirmes justifient l'absence de mesures sociales. Et tant pis si la colonisation et l'urbanisation bousculent les solidarités traditionnelles...
C'est le même Marius Moutet qui, en 1946, relance le projet de créer dans chaque territoire un service chargé d'améliorer les conditions de vie, de coordonner les œuvres privées, de créer une école de service social... Un recensement établit la même année la présence de quatre assistantes sociales pour les territoires d'outre-mer et de sept pour l'Indochine... La création de services sociaux ne se heurte pas seulement à l'absence de moyens : elle est aussi combattue par les responsables des services de santé ou d'éducation et par les administrateurs, qui ne peuvent admettre l'émergence d'un pôle social autonome. En 1948, le ministre du moment insiste de nouveau auprès des gouverneurs pour qu'ils créent des services sociaux, mais avec une priorité pour l'action auprès des Européens peu habitués aux conditions de vie locale, avant un élargissement éventuel aux populations autochtones ! En 1951, un Conseil supérieur consultatif des affaires sociales d'outre-mer est institué : aucun Africain, ni d'ailleurs aucune assistante sociale n'y est convié. En 1952, le secteur public recense 31 assistantes sociales pour l'ensemble de l'outre-mer, toutes européennes sauf trois.
On pourrait poursuivre le florilège jusqu'aux indépendances, comme le fait l'auteur à partir d'un travail de recherche dans les archives et d'interviews d'acteurs de cette période pas si lointaine. Mais fondamentalement, se demande-t-elle, si l'action sociale a pour but de développer l'autonomie personnelle et d'harmoniser les relations sociales, n'était-elle pas incompatible avec le système radicalement inégalitaire de la colonisation ?
M.-J.M. L'action sociale coloniale - Armelle Mabon - Ed. L'Harmattan -120 F (18,29 € ).