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Un toit pour les plus exclus

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A Toulouse, le foyer Riquet reçoit les plus marginaux de la rue qui ne peuvent se plier aux exigences des autres structures d'hébergement. Il mise avant tout sur la qualité de la relation avec les résidents.

Dans cette bâtisse impersonnelle du quartier des Minimes à Toulouse, une trentaine de femmes et d'hommes sans domicile fixe s'apprêtent à passer la nuit. Ce vendredi, il y avait du poisson au dîner et les conversations ont tourné autour de la pêche à la ligne. Certains s'interpellent, les plus âgés se regroupent, d'autres restent seuls, le visage préoccupé ou le regard dans le vide. Des chiens circulent entre les tables, chacun d'eux passera la nuit avec son maître.

Accueil sans condition

Le foyer Riquet est le seul centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de Toulouse qui accepte les personnes, sans condition particulière, dans la mesure des places disponibles (1). Bien que le système de régulation sociale impose aux sans- abri de la ville rose de se munir d'un formulaire pour se rendre dans un foyer d'urgence, ils peuvent venir ici les mains vides. Et, alors que ce document ne donne droit qu'à 14 nuits au chaud renouvelables, ils sont accueillis sans limite de temps.

Riquet est un centre d'hébergement et de réinsertion sociale hors normes. Parmi les structures du dispositif d'accueil hivernal, qui logent les sans- abri du 6 novembre au 15 avril, il est le plus tolérant : il reçoit les couples, accepte les chiens et n'impose pas de démarche d'insertion. C'est un foyer à « bas niveau d'exigence » selon le jargon professionnel.

A l'origine, l'initiative du collectif des principales associations humanitaires toulousaines. « Un certain nombre de personnes de la rue n'accédaient jamais aux foyers d'urgence, raconte Christiane Drioux, responsable du foyer. Soit parce qu'elles ne rentraient pas dans les critères d'admission, soit parce qu'elles étaient trop marginales pour se plier aux contraintes des établissements et au système des formulaires. » Fin 1996, le collectif squatte un ancien bureau du Pari mutuel urbain. La manœuvre est payante : il signe rapidement une convention de mise à disposition des locaux avec la préfecture et la société des courses. L'hiver suivant, l'expérience est reconduite. En 1998, le foyer déménage rue Riquet, à côté de la gare et le loyer est payé par les associations.

Riquet a été conçu en fonction de l'expérience des sans-abri. L'organisation est essentiellement assurée par des bénévoles, des anciens de la rue membres du mouvement Emmaüs (2). « Nous avons choisi une grande souplesse et un respect de l'anonymat des résidents, explique Loïc Le Goff, président d'Emmaüs. Nous avons ainsi pu recevoir un public qui demande que l'on s'adapte à ses spécificités, sans lui imposer le matin d'aller chercher un formulaire pour revenir le soir. »

Pendant trois ans, le foyer recevra jusqu'à 70 personnes par nuit avant de se voir, enfin, reconnu. En 1999, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales demande au collectif de monter un centre d'hébergement et de réinsertion sociale pour la population qui réside à Riquet :essentiellement des routards et des grands marginaux, des usagers de drogues ou dépendants de l'alcool. Le Centre de préparation à une vie active (3) accepte de porter le projet et de prendre la direction du CHRS. Il passe alors des conventions avec les quatre principales associations (Emmaüs, le Secours catholique, l'Entraide protestante et Médecins du monde) qui envoient des bénévoles participer à l'accueil, chaque soir de la semaine. Le projet acquiert donc une existence légale, un statut et un soutien financier assurant sa pérennité.

Cette année, le foyer s'est momentanément déplacé au quartier des Minimes. Les locaux de Riquet étant en cours de rénovation, la mairie a prêté une bâtisse un peu à l'écart du centre ville et une navette fait le trajet tous les soirs. C'est à 18 heures que l'équipe sociale accueille les personnes hébergées et reçoit celles qui cherchent un lit pour la nuit. Les résidents doivent quitter le foyer le lendemain matin à 8 heures. Ils n'ont toujours ni formulaire, ni papier à fournir.

Comment se passe la vie collective ? Malgré les craintes de quelques partenaires lors de la création du foyer, la sécurité intérieure est assurée et les débordements évités. Les deux éducateurs spécialisés, les deux animateurs et les trois moniteurs- éducateurs sont en effet habitués aux « dérives » de certains résidents. Sensibilisés aux situations d'exclusion, ils savent prendre les choses avec humour et recul. « C'est un public qui nécessite un accompagnement sans contraintes. A leur rythme, les personnes pourront avoir accès, selon l'émergence de leurs désirs, à un réseau de partenaires pouvant les aider à réaliser leur projet », affirme Habib, moniteur- éducateur. Avec une équipe de sept travailleurs sociaux, de quatre veilleurs de nuit et d'une responsable, Riquet est bien rôdé. Tous les soirs, une réunion permet de faire le point sur la situation de chaque résident et de repérer les problèmes avant l'ouverture des portes. Pendant une heure, les quatre travailleurs sociaux- présents chaque soir jusqu'à 23 heures -examinent les difficultés rencontrées, listent les rendez- vous importants des résidents...

Difficile parfois de maintenir l'équilibre

Avec un minimum de règles (pas de consommation de drogue ou d'alcool dans les murs, pas d'agressivité et savoir maîtriser ses animaux), l'équilibre est parfois difficile à maintenir. « Il faut toujours jongler entre tolérance et fermeté, observe Dominique Blasquez, éducateur spécialisé. Pour qu'un certain public se fixe, nous devons maintenir un minimum de sécurité, mais sans tomber dans une rigidité que d'autres refuseraient. » Tout le travail de l'équipe sociale se joue donc dans le contact et la gestion de la vie quotidienne dans un espace de liberté. « Par exemple, on ne va pas forcer une personne à se laver, affirme Christiane Drioux. Mais on rappelle que l'hygiène est nécessaire. » Moniteur-éducateur, Frédéric Hervias connaît bien ce public. « Il lui faut un cadre souple et nous devons être chaleureux, explique-t-il. Le cadre permet aux résidents d'acquérir le minimum de règles pour vivre ensemble et la souplesse aide à faire émerger leurs désirs. Si quelqu'un est alcoolique, nous savons bien qu'il ne pourra pas passer toute une nuit sans boire. On ne lui demande pas d'arrêter, mais on lui dit d'aller boire dehors. »

La dimension de la relation est ici essentielle. Souvent bien loin de l'insertion professionnelle, ces personnes doivent d'abord reprendre goût à la vie et se reconstruire petit à petit. Inutile de leur demander d'aller faire un stage ou de s'inscrire à l'Agence nationale pour l'emploi, elles n'en sont pas là. « Nous faisons appel à nos qualités personnelles pour essayer de faire naître, en eux, l'envie. Mais s'ils ne bougent pas,  nous devons aussi savoir l'accepter », explique Dominique Blasquez.

Parmi les dernières arrivées, Louise Razali, animatrice socio-culturelle, est la deuxième femme de l'équipe d'accueil. D'après un assistant social de l'équipe de la veille sociale, qui passe régulièrement rencontrer les résidents du foyer, « la présence d'une femme est très bénéfique et cette fonction d'animation manque dans les autres structures ». « Je n'ai pas la prétention de résoudre les problèmes des résidents, mais j'essaie d'amener un peu de chaleur humaine », témoigne Louise Razali.

La présence des bénévoles est également appré- ciée. « Nous avons voulu composer une équipe pluridisciplinaire pour modifier l'image que les résidents ont des travailleurs sociaux et amener les personnes de la société civile à sortir des traditionnels discours sur le social », explique Christiane Drioux.

Quant à l'efficacité de la structure, elle ne peut bien sûr se mesurer en termes quantitatifs. L'objec- tif est avant tout de ne pas laisser des personnes dehors pendant l'hiver. Certaines vont néanmoins parvenir à mieux gérer leurs problèmes administratifs ou leur santé. D'autres auront peut-être acquis, pendant leur passage, l'étincelle qui leur permettra de commencer à réagir, plus tard.

Complet en permanence

Seul résultat immédiat perceptible : le fait que toutes les places soient occupées en permanence. La fonction du foyer est d'abord axée sur l'accueil, support à la relation et à l'aide. Et malgré l'appellation de centre d'hébergement et de « réinsertion sociale », la réinsertion réside déjà dans le fait de vivre sous le même toit que d'autres personnes et, éventuellement, de discuter avec elles.

De plus, l'absence de personnel fixe rend la prise en charge médicale difficile face à la fréquence des troubles psychiatriques. Aussi, une fois par semaine, un service de consultation de médecins généralistes, financé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, passe-t-il à Riquet.

Enfin, les horaires d'accueil, qui imposent aux résidents de quitter les lieux à 8 heures du matin, ne facilitent guère un accompagnement suivi. Entre solidarité humaine et fonction sociale, le CHRS de Riquet, né de la volonté associative, tente néanmoins de remplir au mieux son objectif : apprivoiser les personnes avant de les accompagner vers une démarche de réinsertion, de soins. Et, plus largement, de mieux-être.

Florence Pinaud

LE GAF INVENTE L'HABITAT DIFFÉRENT

Autre initiative intéressante à Toulouse, celle d'un collectif d'anciens de la rue, soutenu par le Secours catholique. Créé en 1993, le Groupement amitié fraternité (GAF) (4) a aménagé, avec le dispositif de l'allocation de logement temporaire, cinq maisons pour l'accueil des sans-abri conçues comme un habitat différent et communautaire. En contrepartie chacun doit s'investir dans la vie du groupement pour l'entretien de la maison, mais aussi pour l'animation des différents ateliers de peinture, rempaillage, poterie. Les résidents peuvent rester dans ces structures, pour peu qu'ils témoignent d'un projet personnel et participent au groupement dans le cadre de contrats emploi-solidarité. Avec une trentaine de places en tout, les cinq maisons ont toutes un responsable, membre du GAF et bénévole, qui assure la coordination des tâches domestiques et l'approvisionnement. Le groupement organise aussi des petits déjeuners pour les gens de la rue et des distributions de colis approvisionnés par la banque alimentaire. « L'habitat différent est un mode d'hébergement alternatif intéressant car novateur et proche des gens, affirme Jean-François Ducros, président du Secours catholique à Toulouse. Ces personnes se sont prises en charge et leur travail commence à être reconnu. » Le GAF n'envisage pas de faire appel aux travailleurs sociaux. Sa philosophie ? La prise en charge par le public lui-même sans avoir de compte à rendre à la société « intégrée ». Une démarche intéressante à condition de ne pas créer de nouveaux ghettos d'anciens de la rue.

Notes

(1)  Dans la plupart des villes, les foyers d'hébergement d'urgence acceptent les personnes pour trois jours puis pour 15, sans que ces délais soient réellement formalisés. Mais à Toulouse, le dispositif de veille sociale a fixé le délai d'accueil à 14 nuits au maximum. Ensuite, les sans-abri doivent retourner au centre communal d'action sociale ou à la gare pour obtenir un formulaire jaune d'hébergement et sont logés ailleurs, s'ils trouvent de la place - Foyer Riquet : 18, chemin du Sang-de-Serp - 31500 Toulouse - Tél. 05 34 40 64 46.

(2)  Emmaüs : ZA Les Agries - 31860 Labarthe-sur-Lèze - Tél. 05 61 08 18 18.

(3)  Le CPVA est un centre d'insertion sociale et professionnelle qui gère déjà un CHRS accueillant des anciens toxicomanes : 32, boulevard Deltour - 31500 Toulouse - Tél. 05 62 71 68 20.

(4)  GAF : 3 bis, rue de la Madeleine - 31000 Toulouse - Tél. 05 61 14 29 16.

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