Lever les obstacles à la transmission des dossiers en assistance éducative et informer les familles sur leurs droits. Tels étaient les axes de travail du groupe conduit par Jean-Pierre Deschamps (1), président du tribunal pour enfants de Marseille, parallèlement à la réflexion plus générale sur l'aide sociale à l'enfance menée ces derniers mois (2). C'est autour de la volonté de garantir le caractère contradictoire de la procédure d'assistance éducative que sont construites les propositions de ce rapport, intitulé Le contradictoire et la communication des dossiers en assistance éducative, rendu public le 19 mars et plutôt bien accueilli (3). De fait, ce principe général du droit est parfois mis à rude épreuve. 352 juges des enfants et 139 juges du parquet doivent traiter annuellement 121 172 dossiers d'assistance éducative, auxquels il faut rajouter 78 216 dossiers de mineurs délinquants. Aussi, les auteurs du rapport proposent-ils de modifier le code de procédure civile. Mais n'oublient pas cependant de s'interroger sur la question des moyens.
Autant de suggestions entendues par la ministre de la Justice, Marylise Lebranchu qui, fidèle en tout point aux préconisations faites, a annoncé, dès le lendemain, la mise en œuvre d'une rénovation de la procédure d'assistance éducative par voie réglementaire. Un texte devrait être élaboré avant l'été pour une application début 2002. Ce laps de temps étant nécessaire pour mettre en place des mesures d'accompagnement indispensables à une telle réforme.
La réforme ira dans le sens d'un renforcement de l'information du justiciable, « aujourd'hui donnée de manière aléatoire et souvent reportée dans le temps ». A cette fin, un cadre garantissant l'audition et l'information des familles par le juge des enfants devrait être fixé. Il serait mentionné, sur la convocation adressée aux familles, qu'elles peuvent être assistées d'un avocat et consulter leur dossier au greffe du tribunal. Ainsi, répondant au grief souvent invoqué par les parents, ceux-ci connaîtraient, dès leur première rencontre avec le magistrat, les motifs de leur convocation.
Actuellement, l'article 1187, alinéa 2, du code de procédure civile ne permet pas aux familles d'avoir un accès direct au dossier d'assistance éducative, il en autorise la consultation uniquement par leur avocat. Très rarement assistées, les familles n'ont alors pas accès à leur dossier.
L'innovation essentielle de la réforme réside donc dans la communication directe de ces dossiers, à leur demande, aux parents et aux mineurs avec l'accord de ces derniers. En cas de refus de leur part, le dossier pourra être consulté par le mineur, en présence de son avocat ou d'un administrateur ad hoc désigné par le juge des enfants à cette occasion. Ce principe devrait toutefois être assorti d'une exception : le magistrat pourra écarter, par décision motivée, la consultation de certaines pièces du dossier lorsqu'elles pourraient avoir pour conséquence de mettre en danger le mineur. Par exemple face à la révélation brutale d'une pathologie grave (trouble mental) ou « d'un secret de famille, lié notamment à une question de filiation ». Dans tous les cas, un accompagnement de la consultation par un professionnel, personne ou service habilité, extérieur à la procédure pourra alors être proposé par le juge.
La réglementation devrait être mise en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Laquelle avait énoncé sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme que « le droit à un procès équitable implique, pour une partie, la faculté de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l'autre, ainsi que de les discuter » (4).
Aujourd'hui, le procureur de la République a le pouvoir, en cas d'urgence et sans convocation de la famille, de confier le mineur à un centre d'accueil, à charge pour lui de saisir dans les huit jours le juge des enfants qui devra revoir la situation. De même, une mesure provisoire, y compris le placement, peut être ordonnée par le juge des enfants, en cas d'urgence, sans qu'il ait reçu les familles. Pour mémoire, ces procédures d'urgence concernent essentiellement les tout-petits et les adolescents. Afin de mieux respecter le droit des familles, dans le cas d'un placement provisoire, l'audition de la famille devrait intervenir dans les 15 jours de l'ordonnance du juge ou du procureur faute de quoi, le mineur serait remis à ses parents sur leur demande.
Dans le même esprit, il est prévu de fixer un délai maximal de trois mois aux cours d'appel pour statuer sur les décisions de placement provisoire des juges des enfants. Rappelons qu'aucun délai n'est, à ce jour, imposé à ces instances en appel. Lesquelles rendent régulièrement leurs décisions alors que l'ordonnance de placement provisoire du juge d'une durée de six mois est devenue caduque.
Consciente qu'une telle réforme doit aller de pair avec des moyens, la ministre de la Justice prévoit des mesures d'accompagnement. Les premières visent à améliorer les conditions de la saisine de l'autorité judiciaire. A la suite du travail engagé par le ministère de la Justice avec l'Assemblée des départements de France, sur l'évaluation du dispositif de protection de l'enfance dans 16 départements pilotes, un rapport sera remis à la ministre au début du mois d'avril. Il proposera des améliorations des circuits de signalement à partir des expériences locales. Il suggérera également de favoriser la mise en œuvre des protocoles départementaux en matière de signalement, 55 d'entre eux ayant déjà été signés en 2000. Il est en effet « souhaitable d'en poursuivre le développement en précisant notamment les modalités d'intervention des services assurant la prise en charge d'enfants, tels que l'Education nationale, les services hospitaliers généraux ou spécialisés », souligne-t-on Place Vendôme.
Autre axe : le renforcement de la formation des professionnels. A cette fin, une journée de sensibilisation à cette réforme sera organisée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse dans les prochains mois. Concernant les services éducatifs, le Centre national de formation et d'études de la protection judiciaire de la jeunesse et les écoles de travailleurs sociaux seront saisis pour renforcer la formation juridique de tous les services, en particulier en matière de procédures et pour travailler sur la qualité des écrits. « Il faut éviter que la crainte que peut provoquer chez les travailleurs sociaux l'accès des familles aux pièces du dossier d'assistance éducative et notamment des écrits émanant des services éducatifs (signalement, rapports d'investigation et d'orientation éducative, enquête sociale, rapport d'AEMO ou de placement, etc.) ne provoque une autocensure de l'écrit chez les équipes éducatives qui réserveraient alors les éléments “confidentiels” du dossier au magistrat dans le cadre d'une information orale et non contradictoire. »
Le ministère de la Justice souhaite, par ailleurs, encourager la création de services d'accueil pluridisciplinaires (travailleurs sociaux, juristes, avocats), orientés, dans le cadre des dispositifs déjà existants - points d'accès au droit, maisons de la justice et du droit, antennes de justice - sur l'accès au droit des familles dans la procédure d'assistance éducative. Pour envisager dans quelle mesure ces structures pourront être renforcées, un travail sera conduit en lien avec celui de la commission de réforme de l'accès au droit et à la justice présidée par Paul Bouchet, conseiller d'Etat (5). Pour assurer un caractère pluridisciplinaire à ces structures, la chancellerie pourrait notamment encourager la signature de conventions justice-barreau-conseil général- protection judiciaire de la jeunesse. Les conseils départementaux d'accès au droit pouvant être le lieu privilégié de cette organisation (6).
Enfin, s'agissant des moyens des juridictions, la ministre tout en reconnaissant la nécessité de « poursuivre le renforcement des juridictions pour mineurs » et de « renforcer les greffes des tribunaux pour enfants », n'a pour l'heure fait aucune annonce en termes d'engagements financiers.
(1) Voir ASH n° 2191 du 1-12-00.
(2) Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.
(3) Voir ce numéro.
(4) Il s'agit d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 24 février 1995 contre la Grande-Bretagne. La France a été également sanctionnée par un arrêt du 18 mars 1997, Foucher.
(5) Voir ASH n° 2191 du 1-12-00.
(6) Voir ASH n° 2099 du 25-12-98.