Comment transmettre aux familles les dossiers en assistance éducative ? Sur une question aussi délicate, le rapport piloté par Jean-Pierre Deschamps, président du Tribunal pour enfants de Marseille (1), fait des propositions « qui ne sont ni trop brutales, ni destructrices pour les personnes », analyse, plutôt satisfait, Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris. Un avis partagé par la Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l'enfance et de l'adolescence en danger (FN3s) et l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (Unasea), membres comme lui du groupe de travail. « Malgré nos craintes initiales, du fait même des positions tranchées sur le sujet d'ATD quart monde, présente également dans la commission, la réflexion s'est déroulée dans un excellent esprit », souligne Jacques Argelès, vice-président de la FN3s. « On a réussi à trouver un modus vivendi . L'intérêt de l'enfant a été sauvegardé », se réjouit Michel Franza, directeur adjoint de l'Unasea. Et tout comme la FN3s, il estime que la réforme préconisée contient suffisamment de garde- fous pour que l'exigence de clarté et de transparence, en soi légitime, ne s'avère pas non plus préjudiciable pour les justiciables. Si la communication des dossiers est donc la règle, le juge pourra toujours proposer à la famille d'être accompagnée dans sa consultation, « notamment en cas de problèmes culturels ou lorsque les problèmes de filiation sont tels, qu'ils ont besoin d'être médiatisés », se réjouit Jacques Argelès. De même, « nous avions beaucoup insisté sur la nécessité que certains éléments du dossier ne soient pas d'emblée communiqués, lorsqu'ils peuvent mettre en danger l'intégrité de l'enfant ».
Mais au-delà même de la communication du dossier, les propositions vont permettre aussi des auditions plus fréquentes des familles avec le juge des enfants à tous les stades de la procédure, insiste le vice-président de la FN3s. Lequel n'hésite pas à parler de « révolution ». « Tout le monde aura les mêmes pièces et pourra débattre sur les mêmes écrits dans le cadre de garanties procédurales plus importantes. »
Quant à connaître les implications directes de la réforme, c'est plus difficilement mesurable. « Il faut bien voir que le mouvement était déjà enclenché. Au niveau des travailleurs sociaux, beaucoup de services préparaient de façon précise les audiences avec les familles », rappelle Hervé Hamon. Mais entre ce qui est dit à l'oral et ce qui est lu, la distance est bien évidemment immense... Alors, comment les familles vont-elles s'emparer de cette possibilité qui leur est offerte d'avoir accès à leurs dossiers, sachant que toutes ne prennent pas un avocat ?, s'interroge Jacques Argelès. Et surtout, quelle va être la place des services et des travailleurs sociaux, en cas de conflit ?, se demande Denis Vernadat, président du Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (Cnaemo) (2). « Attention à ce qu'ils ne deviennent pas partie au procès. N'y a-t-il pas risque en effet qu'en cas de contestation du rapport écrit, on se retourne contre le seul travailleur social en oubliant qu'il a reçu une mission du juge et que ce document est d'abord destiné à ce dernier ? Qui répondra ? Les professionnels devront-ils fournir la preuve des éléments allégués dans leurs rapport ? » Une question cruciale à laquelle la réforme proposée doit inviter à réfléchir, insiste Denis Vernadat. Au risque sinon d'arriver à ce que les équipes éducatives s'autocensurent dans leurs rapports pour se protéger.
Reste le problème des moyens pour mettre en œuvre cette réforme. Sujet pour lequel le groupe de travail émet d'ailleurs des préconisations. « Cette question est essentielle, sinon on va droit dans le mur », martèle le président du Cnaemo. « Sinon, ce sera du bricolage, avertit Hervé Hamon. Par exemple, au tribunal de Paris où on manque de locaux, où vont s'installer les personnes pour consulter leurs dossiers ? Qui va les accompagner ? » « Ce rapport fait apparaître l'urgence de donner de réels moyens à la justice, mais aussi d'ouvrir en France un vrai débat sur l'éducation », affirme Denis Vernadat. Et celui-ci de rappeler qu'alors qu'on mobilise des moyens pour prévenir les violences, entre 7 000 et 10 000 dossiers d'assistance éducative sont toujours en souffrance...
I.S.
(1) Voir ce numéro.
(2) Le quel n'a pas été associé au groupe de travail.