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Tentation, aspiration ou obligation ?

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Encore embryonnaire, la démarche de développement social local commence à faire des adeptes dans certains départements. Et tente de s'arrimer aux politiques publiques locales ou de servir de levier.

Serait-ce la dernière coqueluche du microcosme institutionnel et politique ? Ou bien une évolution sensible des politiques locales ? En tout cas, le choix de départements, parfois de grandes villes, d'inscrire leur action dans une politique de développement local révèle une tendance qui s'affirme. A petits pas certes, comme tout processus complexe qui s'adosse à un territoire, prend appui sur la transversalité, et a pour enjeu l'articulation aux autres politiques publiques. Pour certains, le développement social peut être le moteur des politiques publiques locales. Pour d'autres, le social est un des morceaux du puzzle, au même titre que la culture, l'économique... Quelle que soit leur optique, les départements s'interrogent sur la manière de le mettre en œuvre. Pour preuve, la première rencontre organisée entre les huit départements d'Ile-de-France (1), de sensibilité pourtant très différente.

La notion a fait (ou refait) surface sous le sigle DSU (développement social urbain), labellisé par la politique de la ville. En arrière-plan, l'idée que l'intervention individuelle n'est plus, à elle seule, à la mesure de l'exclusion, ni du délitement du lien social. Le développement social local suppose alors de mettre en œuvre une dynamique de revitalisation du tissu social en mobilisant l'ensemble des politiques publiques sur un territoire pertinent. Au cœur de la démarche, la prise en compte des besoins des habitants et leur participation active à la définition des actions entreprises, voire à leur évaluation, et un partenariat qui repose sur la mise en commun de moyens, d'activités entre acteurs locaux - peu habitués à travailler ensemble : institutions, élus, entreprises, professionnels, bénévoles. En somme, il s'agit d'impliquer ces partenaires dans des initiatives renforçant les relations de proximité à travers la vie associative, les réseaux d'écoute et d'entraide, et plus largement, la mobilisation des habitants.

Continuité dans la rupture

Quoi de neuf, diront ceux qui se souviennent de l'action sociale globale déjà défendue par les initiateurs du VIe plan au début des années 70, de l'intervention collective développée par la Mutualité sociale agricole puis les caisses d'allocations familiales, du « faire avec les usagers » des années 80, du partenariat ? « Il y a bien sûr continuité, constate Jacques Bordone, directeur de l'Action sociale et de l'insertion du Val- d'Oise. Le développement social n'est pas apparu ex nihilo mais à un moment de nouveauté ou de rupture. En relégitimant le travail social individuel, le revenu minimum d'insertion a peut- être bridé la capacité d'innovation des travailleurs sociaux qui se sont d'ailleurs peu impliqués dans la politique de la ville  (2) . En outre, il a fallu que les élus s'aperçoivent que le lien social était un enjeu de société majeur. Compte tenu de la concurrence entre les échelons de l'administration territoriale, ils avaient intérêt à s'en emparer. »

Aujourd'hui, la démarche et la méthode du développement social local ne peuvent plus être réservées à un petit cercle d'initiés, ni déconnectées du cadre de vie des usagers et de l'environnement socio-économique. Pour renforcer la cohésion du territoire, les formes et les moyens d'intervention doivent se recomposer ; on change d'acteurs et de registre. Explication de texte avec Chantal Cornier, directrice de l'Institut régional du travail social d'Echirolles (Isère) qui, par ailleurs, s'agace face à la confusion ambiante : « On mélange tout - actions collectives, travail de groupe, développement local - et on continue d'opposer intervention individuelle et collective. Elles se complètent, c'est évident ! »

Il faut donc repenser l'offre de prestations de service. A condition, souligne-t-elle, que l'on reconnaisse les compétences des habitants, que les élus portent la démarche -  « les travailleurs sociaux ne vont pas faire du développement social tout seuls ! »  -, que les institutions injectent du sens et que les professionnels jouent bien leur rôle de passeurs entre celles-ci et les citoyens. Contrairement au modèle bureaucratique, on est dans une logique ascendante qui s'intéresse à l'initiative micro-locale et s'appuie sur des acteurs locaux multiples. Les intervenants sociaux ne peuvent plus rester derrière leur bureau : il faut « aller vers » les habitants dès la phase de diagnostic. Evidemment, le management participatif doit, au sein des institutions, soutenir le processus et s'accompagner d'une ingénierie fondée sur la méthodologie de projet. Un véritable changement culturel !

Cela oblige intervenants et institutions « à passer du sectoriel au global », explique Michel Massat, directeur général adjoint des services du département des Yvelines, sans pour autant perdre de leur spécificité. Une gageure qui implique à terme des changements dans les modes d'organisation. « Lesquels prennent sens lorsqu'ils sont d'abord portés par un projet politique », assure Olivia Guéroult-Ardit, sous- directrice du développement social du département de l'Essonne. Pourtant inscrit sur le fronton de cette direction, le développement social n'est pas encore entré dans les mœurs. « Il faut d'abord clarifier les missions des travailleurs sociaux, leur permettre de s'approprier les politiques, consolider les acquis et les rassurer. » Et clarifier aussi un message politique parfois paradoxal. Qui doit en effet piloter le développement social local ? « Je ne suis pas sûr que ce soit le département. Si l'enjeu est celui de la proximité, n'est-ce pas le rôle des communes ? », s'interroge Jérôme Guedj, vice-président du conseil général de l'Essonne. « Il n'y a pas un bon échelon pré-déterminé », s'insurge Catherine Hesse-Germain, directrice de la vie sociale du département des Hauts-de-Seine. « Si le projet politique est bien défini, il se déclinera facilement. » Il n'empêche : un département, ou une commune, ne peut, par définition, jouer en solo le grand ordonnateur du développement local.

Le département des Yvelines l'a bien compris. En 1996, le conseil général repose le principe de l'aide globale à la personne et impulse une démarche de projet de service. Dans la foulée, l'assemblée départementale adopte une charte sociale qui présente les missions du département et définit une série d'objectifs proposés à tous les principaux partenaires. Le projet de service de la direction de l'action sociale (Dasdy) retient deux axes : développer une logique territoriale dans laquelle la dimension sociale et médico-sociale devient une composante à part entière de l'aménagement du territoire et déterminer des espaces territoriaux à partir des bassins de vie ; placer l'usager au centre des dispositifs en travaillant la notion de proximité et de service rendu.

Pour concilier efficacité et proximité, l'organisation repose sur des missions décloisonnées. Dans chacun des sept bassins sociaux, on retrouve la polyvalence, l'aide sociale à l'enfance et la protection maternelle et infantile. « On passe ainsi d'une logique de service à un projet de territoire », explique Agnès Etendard, adjointe au sous- directeur des espaces territoriaux. « Ces deux étapes ont permis de clarifier la mission sociale de l'institution, de décliner une politique qui fixe des orientations stratégiques et d'assurer l'articulation des organisations avec le système social et le territoire. » Pour marquer son engagement, le conseil général a signé avec 27 partenaires un contrat social qui offre des droits supplémentaires à certaines populations. « Un superpartenariat que l'on doit encore faire évoluer pour qu'il serve vraiment le projet et évite la surenchère institutionnelle », estime Marie-Joëlle Gorisse, conseillère technique.

Pourtant, « la mise en œuvre opérationnelle reste très complexe », reconnaît Christophe Darasse, directeur de la Dasdy. En raison de la socio-démographie, de la configuration de l'habitat, du nombre de communes, de leur poids politique... Du fait aussi du turn-over des travailleurs sociaux qui ont du mal à saisir le sens de la démarche. « Il faut les accompagner, communiquer davantage pour qu'ils ne s'arrêtent pas aux seules questions organisationnelles. On en est encore au diagnostic du territoire », précise le directeur.

A Mantes-la-Jolie, l'équipe de l'espace territorial s'est lancée. Il faut dire que « le taux d'insatisfaction des professionnels était important, la moitié des secteurs vacants, le public mécontent, et le partenariat inexistant », se souvient Agnès Etendard. La phase de diagnostic (un an) a permis à l'équipe de choisir un mode d'organisation par quartier, sans sectorisation, avec un accueil de proximité sans rendez-vous. Autre moment clé, la phase de communication en direction des partenaires, des habitants et des élus communaux. Conséquence ? Un dynamisme retrouvé autour d'un projet d'équipe, des actions innovantes sur les rails, des postes couverts, un partenariat relégitimé et un contrat d'objectif signé avec le conseil général : dix postes supplémentaires accordés à Mantes en contrepartie d'un suivi actif des parcours d'insertion des titulaires du RMI et des enfants placés.

Bien sûr, beaucoup reste à faire. Notamment, encourager les travailleurs sociaux à s'engager dans l'accompagnement social collectif. Si certains sont réticents, la majorité a le sentiment de ne pas savoir faire. Le département des Hauts-de-Seine a formé une centaine de professionnels pour redonner du punch à ceux qui s'essouf- flaient. A défaut de politique, cela peut servir de levier, commente une formatrice. En Seine-et-Marne, 10 % du travail du personnel doit être affecté au développement social local sur tout le territoire. Un objectif inscrit dans le plan de formation du personnel du service social avant de l'être dans le plan inter-services. Ailleurs, dans l'Essonne, le ras-le-bol du traitement individuel allié à la dynamique créée par le grand projet de ville mobilisent l'équipe de la circonscription de Grigny autour d'un nouveau projet de service et d'actions collectives. « Mais il va falloir que l'intendance suive en termes de personnel et de formation », précise Edouard Chastaing, responsable du centre départemental d'action sociale-protection maternelle et infantile.

« S'il faut se méfier des effets d'annonce ou d'affichage, le développement social local peut toutefois s'enraciner à partir d'initiatives multiples et de partenariats locaux inédits, reconnaît Chantal Cornier. Mais le chemin sera long. » Dominique Lallemand

LES DÉPARTEMENTS ENCORE PEU ENGAGÉS

Très peu de départements se sont véritablement engagés dans une démarche globale de développement social local. Parmi eux :l'Ariège, qui prévoyait de mettre en place des agents de développement social pour retisser des liens sociaux de proximité (3)  ; l'Eure-et-Loir, dont les circonscriptions s'orientent vers une démarche au niveau des « pays »  ; la Côte-d'Or, dont les travailleurs sociaux ont participé à la phase d'élaboration d'un programme d'aménagement du territoire ; l'Hérault, qui accompagne et forme ses équipes ; la Seine-et-Marne, l'Ille-et-Vilaine… A noter  : huit départements utilisent le terme de développement social dans l'intitulé de leurs services d'action sociale.

Notes

(1)  Les assises franciliennes du développement social, organisées par l'ODAS et l'Andass, les 30 et 31 janvier 2001 à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine)  - Institut du développement social : 13, bd Saint-Michel - 75005 Paris - Tél. 01 56 81 02 69.

(2)  Voir ASH n° 2203 du 23-02-01.

(3)  Selon une étude de l'ODAS, non publiée, réalisée en 1999.

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