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Favoriser le dialogue entre travailleurs sociaux et familles migrantes

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Pour tenter de comprendre les non-dits culturels pouvant être à la source de conflits familiaux, l'équipe du service social d'aide aux émigrants de l'Essonne collabore avec des personnes-relais issues de l'immigration. Ce partenariat fait l'objet d'une recherche-action.

Chargé de faciliter leur intégration, le service social d'aide aux émigrants  (SSAE) soutient les personnes d'origine étrangère dans leur processus d'adaptation, et répond aux demandes d'information et de conseils provenant d'autres professionnels de l'action sociale, confrontés à ces publics dans le cadre des dispositifs de droit commun (1). Pour remplir ces missions, les équipes du service social travaillent tout naturellement en lien étroit avec des acteurs associatifs issus de l'immigration.

Dans l'Essonne, cette collaboration s'est particulièrement développée, depuis une dizaine d'années, autour de l'abord des conflits familiaux. Récurrents au cours du processus d'acculturation des familles de mi- grants, notamment d'origine africaine, ils confrontent les intervenants à des conceptions très différentes de celles qui ont cours en France, en particulier sur le statut des femmes et l'éducation des enfants.

Or malgré sa spécialisation, l'équipe de ce bureau départemental  (2) se sentait relativement démunie pour décoder les non-dits culturels pouvant contribuer à expliquer certaines situations. Sa connaissance, en outre, n'était pas forcément suffisante pour parvenir à nouer le dialogue avec les intéressés, quand ils récusent l'intervention des institutions. Ajoutés à la multiplication des conflits dont elles étaient saisies, ces constats ont conduit les assistantes sociales à recourir régulièrement à des personnes-relais (surtout des femmes), afin de rétablir la communication avec les usagers.

Qu'il s'agisse de différends conjugaux - liés au désir d'autonomisation des épouses - ou de problèmes intergénérationnels (châtiments corpo- rels des enfants, mariages coutumiers contraints des jeunes filles),  ces conflits débordent souvent l'espace privé, impliquant une intervention institutionnelle. Elle est fréquemment demandée par l'une des parties en présence (les femmes et les adolescentes essentiellement), exacerbant les griefs des hommes à l'égard des travailleurs sociaux. Aussi ces derniers doivent-ils se garder d'incursions intempestives : « Des jeunes filles peuvent être renvoyées au pays du jour au lendemain, après un passage à leur domicile », explique Marie-Madeleine Blanchard, assistante sociale.

Aussi efficace soit-elle, l'intercession de ces médiatrices familiales interculturelles ne va pas sans poser question. Il semblait donc nécessaire de clarifier les modalités du partenariat. Cette réflexion fait l'objet d'une recherche-action engagée, depuis deux ans, par le service social de l'Essonne et animée par Mahamet Timera, sociologue au Centre d'études africaines de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (2).

Pour dégager des principes, outils et méthodes de travail appropriés au recours à des tiers- susceptibles d'être restitués dans le cadre de formations -, deux groupes d'une quinzaine de personnes ont été constitués. Le premier réunit des travailleurs sociaux : les professionnelles du service social d'aide aux émigrants de l'Essonne et certains de leurs collègues du département (puéricultrices, éducateurs, assistantes sociales scolaires, de secteur ou de l'aide sociale à l'enfance). L'autre est composé de personnes-ressources, collaborant bénévolement depuis plusieurs années avec le SSAE : originaires de pays variés (Algérie, Mali, Congo, Sénégal, Inde), ces médiatrices (parmi lesquelles deux ou trois médiateurs) ont des profils divers (interprète, infirmière, permanents d'associations, enseignants).

TROUVER LA JUSTE MESURE

Recourir à la médiation en contexte interculturel, explique Marie-Madeleine Blanchard, assistante sociale au service social d'aide aux émigrants de l'Essonne, implique, de la part des travailleurs sociaux, de parvenir à dépasser leurs propres systèmes de valeurs pour combiner intégration et reconnaissance de l'altérité. Il s'agit d'éviter une double dérive : l'une reviendrait à adopter un comportement de pseudo-tolérance, basé sur le relativisme culturel, renvoyant les familles immigrées vers leur groupe d'appartenance, sans prendre en compte le fait qu'elles doivent s'adapter à la société française ;l'autre consisterait, au nom d'une application stricte des lois républicaines, à refuser de prendre en compte toute différence (origine culturelle des parents, double appartenance des adolescents, etc.). Entre un traitement ethnicisé de problèmes qui sont aussi d'ordre socio-économique et un universalisme broyeur d'identités, il faut trouver la juste mesure : ne pas exalter les différences culturelles, mais ne pas non plus les occulter.

Entendre la parole des usagers

Le rôle des différents protagonistes et la façon dont s'agencent leurs relations ont été examinés à la lumière de médiations réalisées par le passé. D'abord discutées dans le cadre d'ateliers de travail distincts, ces expériences ont fait l'objet de réunions regroupant travailleurs sociaux et médiatrices. Parallèlement, pour entendre la parole des usagers, des rencontres publiques ont été organisées sur les problématiques en jeu : polygamie, argent dans le couple, éducation des enfants et responsabilité parentale par exemple. Réunissant, autour de médiatrices et à l'initiative d'associations de migrants, des habitants, des travailleurs sociaux, des élus et des acteurs institutionnels, ces débats permettent à chacun d'apprendre à connaître le mode de fonctionnement de l'autre. « Néanmoins, constate Mahamet Timera, on en est encore au stade du règlement de comptes : si quelques pères, avouant leur désarroi, interpellent les institutions pour qu'elles les aident à trouver des solutions, la majorité d'entre eux exprime surtout une grande colère à l'égard des travailleurs sociaux, dont ils récusent la légitimité de l'intervention. »

Entre les professionnels et les médiatrices participant à la recherche- action, la communication n'est pas non plus toujours évidente. Ainsi, à propos de certains sujets sensibles comme les mesures de signalement ou d'action éducative en milieu ouvert, explique le sociologue, les médiatrices ont tendance à se départir de leur position d'interprète pour réendosser une posture d'usager : ce sont alors des mères de famille migrantes qui s'adressent aux travailleurs sociaux. Elles ont également du mal à prendre un recul suffisant pour analyser leurs pratiques. « Les médiatrices naviguent comme des poissons dans l'eau lorsqu'elles interviennent dans les conflits familiaux, souligne Mahamet Timera, mais leurs savoirs, leurs valeurs et leurs stratégies sont moins clairs. » Or cette connaissance constitue une clé nécessaire aux professionnels désireux de mieux comprendre les familles et de travailler plus efficacement avec elles, en amont même de toute situation conflictuelle.

Les questions relatives au recrutement et à la formation des médiateurs/trices - encore assez empiriques -requièrent donc une attention particulière. « Instituteurs de l'intégration », selon la formule de Mahamet Timera, ces intervenants, en effet, peuvent également, en se substituant aux praticiens, constituer un écran entre usagers et institutions et retarder toute réflexion ou changement, tant du côté des premiers que des secondes. Les médiatrices ne sont pas pour autant de simples prestataires de service, faisant office de « courroies de transmission » des lois françaises, précise Marie-Madeleine Blanchard.

Conscients d'être parfois manipulés par les femmes et les jeunes filles ou, à tout le moins, de ne pas toujours disposer de l'ensemble des données nécessaires à l'évaluation d'une situation, les travailleurs sociaux considèrent leurs interlocutrices comme de véritables partenaires. Cherchant à trouver une juste mesure entre l'exaltation et l'occultation des différences culturelles, ils peuvent d'ailleurs être conduits à réviser leurs positions initiales au cours de médiations. Mais en en gardant, de bout en bout, la maîtrise et la responsabilité : « Face à une difficulté de communication particulière, nous pouvons - avec l'accord de notre hiérarchie et la collaboration du SSAE - faire appel à un tiers, mais nous restons prescripteurs de la médiation et garants de son bon déroulement », précisent Boniface M'Punga et Sylvie Lalevé, respectivement éducateur et assistante sociale à l'aide sociale à l'enfance. Ainsi conçu, affirment-ils, le partenariat peut enrichir l'approche institutionnelle. Et peut- être aussi, désamorcer les craintes de ceux qui voient l'intervention de non-professionnels sur leur terrain comme une menace de dévalorisation du travail social.

Caroline Helfter

LES GRIEFS DES USAGERS

« Pourquoi les travailleurs sociaux, lorsqu'ils s'occupent de nos problèmes, ça “casse” les familles ? », interrogent des pères d'origine africaine, lors d'une réunion sur la maltraitance et l'éducation des enfants (3) , organisée fin novembre par l'association Génération II-Citoyenneté-Intégration, avec la participation du service social d'aide aux émigrants de l'Essonne. Ainsi les pères expliquent vivre l'intervention des services sociaux et des juges pour enfants comme une violation de l'intimité familiale et un mauvais coup porté à leur autorité, ce qui les conduit à adopter une attitude de retrait, qualifiée ensuite de « démissionnaire » par les institutions. En outre, les enseignants et les assistantes sociales, ajoutent-ils, leur interdisant de battre leurs enfants, les parents ne peuvent plus jouer leur rôle éducatif : ainsi s'expliquerait le désordre actuel où les enfants ne leur témoignent plus aucun respect, d'autant qu'ils ont l'oreille des travailleurs sociaux auprès de qui ils vont se plaindre. La notion d'enfant en danger suscite également un vif débat parmi les parents qui affirment leur souci de voir leur enfant « marcher droit »  : cela justifie parfois certains châtiments corporels, sachant que « nous, les Africains, déclare un père , nous aimons nos enfants comme tous les parents et ne sommes pas des tortionnaires ». Dans le même temps, cependant, les parents découvrent que les assistantes sociales ont beaucoup moins de pouvoir que celui qu'ils leur prêtent : elles ne peuvent notamment pas décider du placement d'un enfant, même si obligation leur est faite, par la loi, de signaler toute situation d'enfant en danger.

Notes

(1)  Services nationaux du SSAE : 58 A, rue du Dessous- des-Berges - 75013 Paris - Tél. 01 40 77 94 00.

(2)  Cette recherche-action est co-financée par le conseil général, la préfecture et le FAS. Parallèlement, la direction nationale du SSAE a fait procéder, courant 1999, à une étude générale, financée par la DAS, sur les différentes formes de médiation mises en œuvre dans le cadre de ses missions.

(3)  Le débat était animé par M. Bonaventure, commandant de la brigade des mineurs et M. Bourles, substitut du procureur de la République au tribunal de grande instance d'Evry (section des mineurs).

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