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Gommer les effets pervers du placement

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Pour enrichir la palette des réponses en matière de protection de l'enfance, dans le Gard, ses acteurs ont depuis longtemps recours au SAPMN. Un outil qui mise sur un travail avec les familles mais bouscule quelque peu les pratiques.

Comme tous les trois mois, Mme X, atteinte de maladie mentale, est en crise. Après l'intervention de la police, puis du procureur, son enfant, qu'elle élève seule, se retrouve plongé dans l'inconnu d'un foyer de l'enfance. Pourtant, si une relation de confiance s'était nouée entre la mère, le jeune et l'équipe d'une maison d'enfants, si celle-ci était autorisée à venir le chercher, si la maladie était compensée par une dose massive d'action éducative..., la protection de l'enfant pourrait être assurée. Sa présence auprès de sa mère serait possible et le lien affectif pourrait être entretenu.

C'est ce raisonnement qui a amené les acteurs de la protection de l'enfance du Gard à instaurer un système de placement aménagé ou service d'adaptation progressive en milieu naturel (SAPMN)   (1). Par cette « modalité », le juge confie l'enfant à un tiers - l'aide sociale à l'enfance  (ASE) ou un établissement, responsable des actes usuels de l'éducation - et lui donne la faculté d'autoriser l'hébergement quotidien en famille. Elle permet donc au magistrat de sortir de l'alternative : prononcer une mesure d'action éducative en milieu ouvert (AEMO)

- d'aide et de conseil uniquement - ou un placement. Cependant, «  le SAPMN n'est pas une AEMO renforcée, précise aussitôt Jean Launay, juge des enfants à Nîmes. Là, on se situe dans la substitution. Le tiers a le pouvoir de récupérer momentanément l'enfant sans nouvelle décision du juge. Il doit néanmoins l'avertir. » Si la situation se prolonge, au magistrat d'aviser.

Un autre regard sur les familles

Aujourd'hui, 20 ans après la première réflexion menée par quelques établissements, les 12 maisons d'enfants du Gard disposent d'un service d'adaptation progressive en milieu naturel et un quart des places leur sont réservées. En outre, cette mesure visant à aménager le placement est, depuis son instauration, inscrite dans le schéma départemental, à la suite des lois de décentralisation.

A cette occasion, tous les partenaires - conseil général, établissements, protection judiciaire de la jeunesse, juges - avaient été appelés à confronter leurs analyses et pratiques. Mais pour en arriver là, il a fallu déconstruire différents modèles, dont l'association danger-présence physique. «  Mettre l'enfant à l'abri d'un risque immédiat ou d'une gestion de vie aberrante ne règle rien sans un travail auprès des familles  », explique Roselyne Bécue, directrice du service famille enfance du conseil général (2). « Il y a des situations, confirme Jean Launay, où ni le lien, ni le partage du quotidien ne sont en cause ; ce qu'il faut c'est déplacer partiellement le pouvoir de décision. »

Seconde déconstruction : considérer la maison d'enfants non comme un bloc mais comme une boîte à outils offrant plusieurs clés : self, internat, équipe éducative, loisirs. «  A certains moments, le plus utile sera l'hébergement pour donner sécurité et calme à l'enfant ; à d'autres, le soutien aux parents pour les amener à mieux jouer leur rôle  », analyse la responsable. Le SAPMN implique aussi de reconnaître des compétences aux familles, de parier qu'elles assumeront la plupart des décisions grâce à un étayage ciblé sur l'axe où elles sont défaillantes. Adaptation est donc le maître-mot, tout comme continuité et proximité.

Cette mesure fortement individualisée permet d'éviter les effets pervers du placement. Pas de cassure ni de choc affectif pour l'enfant ; pas de sensation de rapt judiciaire pour les parents, ni de démotivation. Ces derniers se sentent moins disqualifiés même si, rappelle le juge, « quand on leur dit : “Si votre enfant ne va pas à l'école, on viendra le chercher”, ils savent qu'ils sont court-circuités. » Un effort de pédagogie est également fourni :réflexion sur l'autorité parentale, sens des décisions de justice, articulation avec les autres mesures. Car l'intérêt du SAPMN est aussi son intégration à la palette des moyens dont dispose le juge en matière de protection ou l'attaché de l'ASE en matière de prévention.

Des pratiques diversifiées

Si, sur le terrain, ne plus « faire à la place de », mais « avec », a bousculé les pratiques, les maisons d'enfants ne procèdent pas toutes de même. Certaines ont spécialisé leur personnel. C'est le cas de Lumière et joie, où l'on préfère des équipes axées sur la prévention en milieu familial et dégagées des contraintes de l'internat. Et ce afin « qu'elles soient vraiment en prise avec ce travail, et que les modalités soient bien séparées », explique la directrice Renée Pfahl. A la Communauté Coste, on revient à la polyvalence. « La spécialisation était intéressante car les éducateurs maîtrisaient bien leur suivi, reconnaît le directeur adjoint, Philippe Reinberger. Mais ils n'avaient plus le même contact avec l'internat et la transition se révélait délicate quand on rapatriait un enfant. » La continuité est aussi le souci de Christian Polge, directeur du centre Samuel Vincent, car « à trop vouloir spécialiser les pratiques, on les atrophie ».

Travailler autour d'un écrit négocié fait partie des principes généralement admis. A Samuel Vincent, établissement non habilité justice, un contrat d'accueil, élaboré avec les familles selon leurs besoins, précise ainsi les buts et les modalités d'intervention : activités au centre tel jour, reprise du travail scolaire tel soir, nombre de passages au domicile, séjours de vacances. Régulièrement évalué, le contrat peut être révisé. A Lumière et joie, où la plupart des enfants sont directement adressés par les juges, on est plus mitigé quant à cette notion. « Nous essayons de poser quelques objectifs. De là à parler de contrat », relativise Patrick Lacombe, directeur adjoint. « La plupart arrivent à discuter de leurs problèmes matériels. Mais lorsqu'il s'agit d'aborder le sens de la relation familiale, les interactions générant de la violence, ça les paralyse. Et ils ne sont pas dans l'alliance », constate Virginie Achard, psychologue au SAPMN.

Eviter la toute-puissance des institutions

Une fois parents et enfants familiarisés avec la structure d'accueil, celle-ci se veut plus ou moins prégnante. Certains établissements, tel Samuel Vincent, organisent maintes activités. A Lumière et joie, c'est l'intervention au domicile, soutenue par un fort travail en réseau, qui est privilégiée. Une volonté d'éviter la toute- puissance des institutions et la dépendance des familles. « Nous tenons compte de l'écosystème et nous utilisons les dispositifs de droit commun accessibles aux parents », insiste Patrick Lacombe.

Paradoxalement, alors que le SAPMN vise à mieux respecter le droit des familles, il favorise l'intrusion dans l'intimité des ménages. « Intervenir au domicile, estime Didier Testa, éducateur à Samuel Vincent récemment nommé chef de service, doit interpeller sur le plan déontologique. » En résumé : « Jusqu'à quelle heure peut-on venir éteindre la télé ? », plaisantent les équipes. Car si les interventions se font sur rendez-vous, des visites impromptues peuvent être effectuées. L'éducateur, qui dispose en moyenne de dix heures hebdomadaires par enfant, doit veiller, en outre, à ne pas adopter une attitude sans cesse en contradiction avec la position parentale, et agir avec tact. « Au début, se souvient Didier Testa, j'avais l'impression de travailler sans repères : plus de murs, de règlement intérieur, de projet commun. En fait, les repères sont autres. Et finalement, le SAPMN protège de l'interventionnisme car il est plus aisé de s'approprier un enfant éloigné de son lieu de vie que dans son foyer.  »

La proximité entraîne l'éducateur à constamment rendre compte de sa pratique. « Avant, il parlait à des initiés, analyse Christian Polge. Maintenant, il doit défendre son point de vue auprès de la famille et donc conceptualiser en amont son action. » La vigilance et la réactivité sont également de mise. Le travail d'équipe est donc indispensable pour soutenir l'éducateur, favoriser le recul, l'évaluation et le partage des responsabilités. La validation des projets, au niveau institutionnel, vise aussi à garantir les familles contre l'arbitraire. Enfin, la souplesse de la modalité active le partenariat entre équipes et juges, amenés à échanger leur analyse.

Le SAPMN joue d'ailleurs un rôle de sas. « Parfois, on sent qu'on pourrait mettre fin à un placement, estime le juge Launay , mais on hésite encore. » Le SAPMN autorise alors un passage en douceur. Inversement, il peut servir à préparer une séparation continue. De même, la sortie du dispositif s'établit en aval comme en amont. « La seule présence de l'éducateur, témoigne Patrick Lacombe, suffit parfois pour que la famille fonctionne, et on avance. Certains devront toujours être béquillés.  » Le SAPMN peut alors rebasculer sur de l'hébergement. « Si sur un an, explique Roselyne Bécue, tous les actes proposés sont de complètes substitutions aux parents ou si l'enfant est de plus en plus ballotté entre son domicile et l'internat, mieux vaut réfléchir à une mesure plus traditionnelle. » L'idée que certaines interventions soient de longue durée a néanmoins fait du chemin. «  Pourquoi pas si, plus qu'en internat, cela permet un travail efficace auprès des familles  », indique Patrick Lacombe. Mais le SAPMN peut aussi être ordonné par défaut, lorsque les réactions des familles sont telles qu'elles compromettent la mesure. Se pose alors de façon aiguë la question de la responsabilité des directeurs, déjà très engagée dès lors qu'ils peuvent suspendre l'hébergement au domicile. « Les familles arrivent de plus en plus abîmées. Cela nous oblige au quotidien à prendre des risques énormes », considère Renée Pfahl, à Lumière et joie. « On n'a jamais eu de pépin, mais on est parfois limite », reconnaît Philippe Reinberger, à la Communauté Coste.

Consensus sur la validité

La prise de risques demande donc à être mieux encadrée. « Les équipes ne seront protégées que si le fondement juridique est bien posé », assure Christian Polge. « Il faut que le dispositif soit reconnu légalement », reprend Renée Pfahl. Pour les juges de Nîmes, aussi, la situation n'est pas de tout confort, car on leur reproche parfois de déléguer leurs pouvoirs. « La modalité, affirme Jean Launay, est en cohérence avec notre mission. Peut-être faudrait-il cependant faire évoluer les textes ? » Car, la notion d'autorité parentale ayant évoluée, les juges interprètent symboliquement le terme « retrait » du code civil et estiment qu'il peut s'appliquer au pouvoir des parents et non forcément à leur présence physique.

L'outil des pionniers du Gard recueille toutefois, par sa pertinence, l'adhésion de chacun. Sa force : avoir été porté durablement par tous. Sa faiblesse : dépendre trop de la volonté des personnes en place. Aujourd'hui, la mesure suscite l'intérêt d'un grand nombre de professionnels. A Blois, Biarritz, Lyon, des invitations à en parler ont été lancées. Mais sa pérennité pourrait bien se voir assurée par un autre biais : le rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de celle des services judiciaires sur les accueils provisoires et les placements d'enfants (3). Celui-ci propose, en effet, de créer une mesure « inscrite dans un continuum réversible entre action en milieu ouvert et séparation d'avec la famille », où l'enfant serait « confié à un service ou à un établissement par le juge des enfants » et où le placement ne serait plus « qu'une séparation temporaire dans le cadre d'une stratégie sociale et éducative, élaborée en discussion avec ses parents ». Si ce n'est pas du SAPMN, ça y ressemble étrangement.

Florence Raynal

Notes

(1)  Contact : Tribunal pour enfants - 30031 Nîmes cedex - Tél. 04 66 76 47 00.

(2)  Service famille enfance - Conseil général du Gard : 10, rue Villeperdrix - BP 7129 - 30913 Nîmes cedex - Tél. 04 66 76 75 33.

(3)  Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.

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