En défendant une nouvelle vision du droit à l'éducation et en reprenant à son compte l'idée de formation tout au long de la vie, la commission « jeunes et politiques publiques » du Commissariat général du Plan (1) ravive les débats sur un sujet particulièrement sensible : l'accès à l'autonomie des jeunes. Si bon nombre d'organisations et de responsables se retrouvent sur le diagnostic et se réjouissent de voir avancer le débat sur la place des jeunes dans la société, les propositions du Plan axées sur la création d'une allocation d'autonomie suscitent davantage de prudence, voire de réserves.
Des propositions « injustes socialement »
Certains, comme la Fédération des mutuelles de France, se montrent même particulièrement critiques « Pour moi, le problème ne peut s'arrêter à une question de formation tout au long de la vie », réagit son président, Daniel Le Scornet, qui défend, pour sa part, l'idée d'une branche jeunesse de la sécurité sociale (2). Pour lui, le fait de donner un droit de tirage à la formation de 20 années risque d'inciter une partie des jeunes à quitter précocement le système scolaire. Et de creuser encore les inégalités. C'est également l'avis de l'UNEF-ID qui estime que les propositions du Plan sont « injustes socialement » et contraires à l'objectif visant à augmenter le niveau de formation du pays. « Il ne suffit pas de définir un droit », explique le syndicat. « Les véritables questions sont les suivantes : quelle réflexion pour créer un véritable droit à une deuxième chance ?comment permettre à ces jeunes de définir un projet, quel accompagnement social ? »
Une garantie de ressources insuffisante
Beaucoup plus nuancée dans son analyse, l'Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux juge toutefois nécessaire de bien mesurer, par des expérimentations préalables, les effets induits par le nouveau droit à l'éducation et à la formation tout au long de la vie préconisé par le Plan. « Attention à ne pas renforcer la tentation de certaines familles de mettre les jeunes à la porte de chez elles », avertit Hugues Feltesse, son directeur général. Et celui-ci s'interroge également sur la capacité du système proposé - avec une allocation de formation fixée entre 1 200 F et 1 700 F par mois - à garantir à tous les jeunes l'accès à un logement et à un travail. « Ces éléments chiffrés n'offrent pas de réponse aux jeunes en grande difficulté qui vivent dans la misère et ont perdu tous leurs repères », souligne-t-il. Il est clair pour bon nombre d'acteurs, dont l'Union nationale des associations familiales (UNAF), qu'à leur égard, les réponses du Plan restent insuffisantes.
Finalement, la commission du Plan n'a-t-elle pas manqué le principe de réalité en ayant une vision par trop théorique des choses ? Jean- Michel Belorgey, conseiller d'Etat, qui avait piloté le rapport Minima sociaux, revenus d'activité du Plan (3), n'est pas loin de le penser. S'il adhère aux propositions d'un droit à une formation tout au long de la vie et d'une autonomie fiscale à 18 ans, il estime que les rapporteurs ne prennent pas suffisamment en compte « les périodes de frottement » pendant lesquelles les jeunes ne seront ni en emploi, ni en formation. Et juge « peu réaliste » l'idée d'obliger alors la collectivité à mettre en œuvre « un accompagnement éducatif et social adapté », qui serait considéré comme temps de formation.
L'autonomie à 18 ans ? « Manque de réalisme », c'est aussi le sentiment de l'UNAF, même si l'organisation se retrouve également dans la conception de la formation initiale et continue envisagée par le Plan. Pour elle, c'est « la borne de 18 ans » pour l'attribution de l'aide aux jeunes qui appelle à discussion. « Tous les chiffres montrent que 80 % des jeunes entre 18 et 20 ans vivent encore dans leur famille », explique Monique Sassier, sa directrice générale adjointe. Et l'UNAF est résolument hostile à l'idée que les aides accordées aux familles s'interrompent au bénéfice d'une prestation autonomie lorsque les jeunes atteignent l'âge de 18 ans. Ceux-ci devraient être pris en charge fiscalement par leurs parents jusqu'à 25 ans en raison des nombreux allers et retours qu'ils effectuent par rapport à leur famille, défend-elle au contraire.
Ce qui est clair en tout cas pour la plupart des responsables interrogés par les ASH, c'est qu'au vu des enjeux qu'elle soulève, la question de l'autonomie des jeunes doit faire l'objet d'un large débat public. « On ne peut partir d'une seule hypothèse, toutes les pistes doivent être confrontées », affirme Daniel Le Scornet. « Le rapport amène des éléments de réflexion supplémentaires. Maintenant, il est urgent de débattre et d'agir », s'agace pour sa part la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale. Et celle-ci de rappeler que les associations ont proposé déjà depuis un certain temps toute une série de mesures pour favoriser l'insertion de ces publics. I.S.
(1) Voir ce numéro.
(2) Voir ASH n° 2150 du 21-01-00.
(3) Rendu public le 7 juin 2000 - Voir ASH n° 2170 du 9-06-00.