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« ILS ONT TUÉ LA MÉDIATION »

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Thierry Lebéhot, président du Comité de liaison des associations intervenant dans le champ judiciaire  (CLCJ), s'insurge contre la publication d'un décret sur les alternatives aux poursuites (1) qui, selon lui, « condamne » ce secteur associatif (2).

«Ça y est ! Le décret d'application de la loi du 23 juin 1999, sur les alternatives aux poursuites, est enfin publié ! Depuis plus d'un an et demi le secteur associatif habilité attendait impatiemment ce décret. Il découvre aujourd'hui avec stupeur un texte qui consacre les personnes physiques habilitées et condamne ce même mouvement associatif qui fut à l'origine des mesures alternatives aux poursuites !

« Elaboré sans aucune concertation avec le mouvement associatif, ce décret comporte, tout d'abord, une mesure symbolique forte à l'égard des associations dûment habilitées par les autorités judiciaires. Effectivement, ce décret oblige les associations à faire habiliter leurs salariés, en tant que personnes physiques, par le procureur de la République. Cette situation crée un véritable lien de subordination entre les salariés et le procureur en dessaisissant les instances associatives de leur fonction employeur. Cette volonté d'ingérence est renforcée par le titre de ce décret qui substitue désormais le médiateur “du procureur” au médiateur pénal au moment même où le secteur associatif prône la professionnalisation de cette fonction.

« Le secteur associatif intervenant dans le champ socio-judiciaire (contrôle judiciaire socio-éducatif, enquêtes de personnalité)   (3) a été initiateur de la mesure de médiation pénale à partir de 1986 dont la tarification ne fut officialisée qu'en 1992, sous forme de frais de justice (4), soit un financement à l'acte..., ce qui posait déjà la question de la pérennisation des structures qui exerçaient cette mission. Luttant contre ce libéralisme étatique et ses incidences en termes de qualité, de concurrence, de quête de parts de marché..., les associations demandent depuis des années un financement sous forme de dotation annuelle et de convention pluriannuelle d'objectifs. Sans augmentation des frais de justice depuis huit ans, les associations sont soumises aux évolutions économiques et sociales : inflation, ancienneté du personnel, ARTT, avenant 265 (CCN 66), emplois-jeunes sans pérennisation... En 2001 certaines devront renoncer : dépôts de bilan, interruption des activités pénales..., mouvement déjà engagé en 2000. En diminuant la tarification de 70 à 90 %, selon les prestations, ce décret porte aujourd'hui le coup de grâce financier aux associations qui se sont investies durant ces dernières années dans les mesures dites “déléguées du procureur” à savoir le rappel à la loi et le classement sous condition.

Une parodie de justice

«Ce coup de grâce illustre la logique de ce texte qui consacre les personnes physique habilitées. Avant que le secteur associatif n'investisse les missions pénales, la plupart des tribunaux s'appuyaient sur des individus, personnes physiques, habilitées au regard de “leur bonne moralité” ou de leurs relations personnelles avec les magistrats décideurs. Les décisions de justice se traitaient “d'homme à homme”, soi-disant de la société civile, bien que ces intervenants soient principalement des retraités de la police, de la gendarmerie, voire de la magistrature qui venaient chercher en plus d'une occupation un complément parfois non négligeable à leur pension (5). L'avantage en est multiple : négociations en tête-à-tête entre le mandant et le mandataire sans l'obstacle de la personne morale dont le fonctionnement démocratique place en porte-à-faux les options individuelles non référées à un autre corpus que celui des bonnes intentions et de l'intime conviction. Coût réduit par rapport à celui des associations professionnalisées et donc concurrence déloyale à l'égard de celles-ci. Absence de contrat de travail et donc d'obligations réciproques sinon celles que chacun voudra bien se donner. Liberté d'intervention et absence d'objectifs pédagogiques : il faut faire du chiffre, peu importe ce qu'on fait vraiment (6). Pas de travail d'équipe, de supervision et intervention à l'instinct, au senti, voire au préjugé... Bref, tout le monde y trouve son compte sauf, bien sûr, les justiciables qui sont les premiers à faire les frais des expérimentations de la justice. Ils ne verront en réponse à l'acte qu'ils ont posé (délinquants) ou qu'ils ont subi (victimes) qu'une parodie de justice.

« Les associations, pour leur part, se voient dépossédées d'un outil qu'elles ont créé, qu'elles ont fait évoluer avec le souci constant de l'évaluation et sur lequel la recherche/action est quotidienne. Si le secteur associatif s'est investi dans ces missions, s'il a accepté un partenariat avec la justice c'est parce qu'il inventait des modes nouveaux de prévention en appui sur le mandat, c'est parce qu'il développait ses modes pédagogiques à partir des obligations et non pas sur la libre adhésion comme d'autres secteurs s'y sont attelés. L'originalité et l'efficacité du secteur associatif résident dans l'articulation entre l'action socio- éducative - la prise en compte de la personne en tant que sujet - et les pressions inhérentes au mandat par lequel le justiciable (l'auteur ou la victime) n'est qu'objet de procédure. Le traitement direct du justiciable par la justice le maintient dans son statut d'objet et n'aura aucun sens en termes d'accompagnement, de pédagogie et de prévention de la récidive. C'est sur ces fondements que le secteur associatif s'est constitué en visant une justice plus humaine et plus citoyenne.

«De ce point de vue, la consécration des délégués du procureur, personnes physiques, est ressentie comme une attaque en règle. L'association a toujours fonctionné comme une forme de contre- pouvoir devant les excès de l'Etat ou du marché, mais n'est-ce pas là sa fonction ? L'association questionne, elle ne s'agenouille pas devant l'autel prétorial,  elle revendique, elle dérange... La justice s'est nourrie pendant des années des apports du secteur associatif. C'est sur l'association qu'elle s'est appuyée pour développer les nouveaux modes de règlement des conflits, la fameuse troisième voie entre poursuite pénale et classement sans suite. Qu'elle cherche à apporter une réponse judiciaire, comme le souhaite l'ensemble des citoyens, pour chaque acte de délinquance nous paraît une démarche positive. Mais il nous paraît dangereux de faire abstraction de la nature de la réponse pour des questions économiques (les délégués individuels ne coûtent pas chers) ou électorales (répondre à tout prix sans envisager les effets de la réponse). On se retrouve ici face à une politique du court terme : on aura traité cette année plus d'affaires que l'an passé. Mais que veut dire traiter ?Pour nous, la fonction de délégué du procureur n'est pas d'apporter la réponse la plus simple en se bornant à relire le texte de loi au délinquant et en le menaçant de poursuite si la prochaine fois il ne s'y soumet pas. N'importe qui peut faire cela, magistrat retraité ou pas. Et quel en est l'intérêt, qu'est-ce que cela va changer pour le délinquant et quid des dernières décisions du conseil de sécurité intérieure concernant la prévention de la délinquance (7)  ? Si dire la loi n'est pas accompagné par un traducteur, un “médiateur”, la loi restera incompréhensible à la plupart des prévenus... et la récidive s'ensuivra. D'avoir voulu faire des économies aujourd'hui on prépare le terrain de la saturation des tribunaux de demain. Car le principe de la délinquance, c'est que si elle n'est pas arrêtée à temps, comme un départ de feu dans une forêt de pins, elle va passer au stade supérieur jusqu'à l'embrasement final. La justice n'y joue pas que son budget, elle y joue sa compétence, les valeurs qu'elle porte, le contenant social qu'elle représente et la confiance que chaque citoyen continue à lui porter. L'ordre social ne peut être préservé en sacrifiant le justiciable pour des prétextes de rapidité (8) de la réponse judiciaire et d'économie.

« Outre les services publics spécialisés, le travail social en général s'appuie sur une structuration associative, expression d'un engagement citoyen des membres adhérents et de leurs administrateurs, mais aussi structure d'encadrement et de contrôle de l'action sociale, sous tutelle de ses financeurs.

L'association promoteur des mesures socio-judiciaires

« Nous rappelons ici l'importance de l'association comme porteur et promoteur des mesures socio-judiciaires. C'est bien l'engagement et le militantisme d'origine qui a permis à ces mesures - dont la vocation sociale n'est plus à démontrer - de prendre l'essor qu'elles ont connu. C'est cette structuration collective qui assure la volonté démocratique de leur développement. Et c'est toujours l'esprit associatif qui a permis la construction théorique de ces mesures sans laquelle bon nombre d'entre elles n'existeraient plus ou n'auraient jamais existé. Car les associations ont l'avantage de la souplesse, du dynamisme, du volontarisme, de la créativité souvent plus difficile à obtenir dans les structures publiques et elles ont été à l'initiative de mesures socio-judiciaires nouvelles et officialisées par la suite. La médiation pénale en est un exemple récent... au même titre que l'action caritative a été à l'origine de nombreux dispositifs sociaux.

« L'association offre donc un certain nombre d'avantages dont l'un des premiers est peut-être celui de proposer une interface de compétence face à la commande judiciaire. C'est elle qui permet l'articulation entre le dispositif judiciaire et les dispositifs sanitaires et sociaux. L'association socio-judiciaire n'est donc ni organe judiciaire ni organe sanitaire et social. Elle est les deux à la fois tout en étant exactement entre les deux. Le tiret qui sépare les deux termes socio et judiciaire est ce qui la définit le mieux. Médiateur entre une décision de justice et le justiciable concerné, elle fait tiers entre l'Institution étatique et l'individu, elle fait lien entre le corps social et l'un de ses membres, elle participe à la reconstruction du lien qui lie la personne au corps social dont elle fait partie.

« La notion de justice “citoyenne”, “non violente”, “douce”, illustre l'évolution d'une fonction régalienne qui se démocratise. L'association en est le vecteur principal. Elle permet le rapprochement de l'homme avec le corps social par l'investissement des militants qui s'y sont engagés. Elle participe à ce changement où la Justice deviendrait l'affaire de tous et en même temps où chacun serait reconnu comme individu libre et responsable.

« La disqualification de l'associatif mise en œuvre dans le décret 2001-71 du 29 janvier 2001 va à l'encontre du mouvement engagé ces dernières années d'une justice moderne intégratrice, réparatrice, au service de la citoyenneté et du lien social. La menace est à la hauteur des enjeux sociaux d'aujourd'hui et à ne s'en tenir qu'aux apparences et à la parodie on va vers la décrédibilisation de la justice et la fragilisation du lien social déjà bien mis à mal. »

Thierry Lebéhot Président du CLCJ BP 38 - 33023 Bordeaux cedex Tél. 05 56 99 29 24 -E-mail : clcj@wanadoo.fr

Notes

(1)  Voir ASH n° 2200 du 2-02-01.

(2)  Voir également dans ce numéro, la réaction du GNDA.

(3)  Ces associations sont regroupées autour du Comité de liaison des associations intervenant dans le champ judiciaire (CLCJ). Elles sont plus d'une centaine en France dont la plupart exercent la médiation pénale avec succès depuis des années.

(4)  500 F une médiation d'un mois ; 1 000 F pour un à trois mois ; 2 000 F de trois à six mois.

(5)  Chacune des mesures socio-judiciaires permet l'indemnisation de personnes physiques habilitées sous forme de forfait non assujetti à charges sociales jusqu'en 2000 et peu contrôlable fiscalement. Certains de ces « bénévoles indemnisés » perçoivent jusqu'à 20 000 F par mois.

(6)  Nous n'évoquons pas ici les très rares juridictions où les parquets développent une véritable réflexion avec les personnes physiques habilitées.

(7)  Conseil de sécurité intérieure 30/01/2001 - Relevé de décisions.

(8)  Traitement en temps réel.

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