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LE « BON JUGE » ET LA « FOI EN L'ACTE ÉDUCATIF »

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« Y aurait-il encore des juges ayant foi en l'acte éducatif ? », interroge Bruno Rougier, éducateur spécialisé en milieu ouvert, en réaction aux deux articles publiés par les ASH sur l'assistance éducative (1).

“Nous sommes passés d'une conception de la justice des mineurs fondée sur la seule présence d'un ´bon juge' à une conception fondée sur celle d'un bon débat”, nous dit Michel Allaix, directeur des études à l'Ecole nationale de la magistrature, pour placer la protection de l'enfance sur le terrain du droit. Comme si ce n'était pas le cas depuis un demi-siècle... Mais, maintenant, il s'agit de la “promotion” d'un nouvel acteur : l'avocat d'enfants. De plus en plus nombreux, ils regrettent que leur présence ne soit pas davantage admise en “assistance éducative”... Les milieux de la protection de l'enfance ne s'ouvrent, regrettent- ils, que lentement à la culture du droit des usagers !

« Ils se veulent “Les nouveaux alliés de la réponse éducative ?“ et nous interpellent comme tels dans un article des ASH du mois de janvier.

« Educateur spécialisé, en milieu ouvert, si j'ai toujours apprécié le “bon juge” - je n'ose lire l'interpellation autrement qu'en termes de compétence ! -, c'est bien quand il peut conduire un “bon débat” ! C'est-à-dire, quand ce débat s'articule autour de l'idée qu'enfants et parents ont respectivement des droits et des devoirs dans l'exercice d'une responsabilité : vis-à-vis d'eux-mêmes en famille et vis-à-vis des autres en société ; ce bon débat ouvrant si nécessaire sur l'intérêt d'une “bonne intervention” en assistance éducative, autant que possible en milieu ouvert, pour que ce débat en famille se poursuive avec le temps qu'il faut pour initier le changement.

« La présence d'un avocat, dans le contexte actuel au nom du droit des mineurs, ne s'impose que pour garantir le droit de tous à ce débat et à son bon déroulement, quand, dans la forme ou sur le fond, des désaccords émergent : avec des parents ou des institutions - notamment l'aide sociale à l'enfance quand il s'agit de placement.

Attention à la confusion des genres

«Que veut dire cette entrée en matière, à propos de “l'assistance éducative en milieu ouvert” (AEMO), “qui serait bousculée, contestée, voire jugée obsolète par certains”, de M. Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris. “Y a-t-il encore une foi dans l'acte éducatif ?” dans « La crise de légitimité », titre qui fait l'ouverture de ces mêmes ASH.

« Il y a confusion des genres. Ce n'est pas en AEMO qu'il y a nécessité de “refondation” des procédures, et crise de légitimité, c'est dans les prérogatives des administrations, judiciaires et sociales, avec le conseil général en arbitre gestionnaire. Mais pour se parler, ces instances s'interpellent en passant par notre travail et les intervenants que nous sommes : pour l'essentiel des services privés associatifs - semi-publics - dans le cadre d'associations loi 1901, habilités par les préfectures, financés au titre des dépenses obligatoires par les conseils généraux, mandatés et contrôlés par les juges des enfants.

« Le bon débat dans cette histoire, n'est pas le sort du milieu ouvert à propos d'éducation spécialisée. “Y a-t-il encore une foi dans l'acte éducatif ?” : l'assistance éducative devenue obsolète, faute d'y croire ?Comme si nous étions, là aussi, exclus d'une réelle compétence, interpellés dans une histoire qui renverrait “bon juge” et “éducateurs ayant la foi” à l'exercice d'une pratique d'éducation spécialisée dépassée : comme les parents, éducateurs démissionnaires !

« Serait-ce pour mieux aborder les rivages du Meilleur des mondes  ? Au panthéon duquel, dans sa préface, Aldous Huxley inscrit, en lettres de deux mètres de haut, ces simples mots : “Au souvenir des éducateurs du monde”.

« Ce faisant, c'est ouvrir le débat sur les procédures actuelles en matière de délinquance, de placement et d'assistance éducative en milieu ouvert. A cela près que ce débat ne s'actualise pas n'importe quand et reste pour l'essentiel un débat entre juristes, dans un contexte où l'on a tendance à tout ramener au juridictionnel. Pour un monde où rien ne pourra plus se régler sans l'intervention d'un tiers procédurier ?... Y compris entre un juge des enfants, des parents et leurs enfants, des intervenants ?

« Ne voit-on pas déjà des procédures et des jugements relatés dans la presse comme se suffisant à eux-mêmes pour régler des problèmes de maltraitance, sans autres intervenants que des juristes : au lieu d'une procédure qui cherche à introduire les conditions juridiques nécessaires pour l'exercice d'une action éducative spécialisée ou des actions de soins, pourtant indispensables à la suite de tels événements.

La dimension éducative de la loi

«Il est rassurant que cette même semaine, un article dans La Provence rapporte le point de vue de M. Pidoux, juge des enfants, vice-président du tribunal d'Avignon. Il expose un point de vue qui ouvre sur d'autres perspectives, à propos d'une délinquance souvent banale qui se règle dans la majorité des cas à l'occasion d'une rencontre avec le juge des enfants, si celui-ci “incarne” la loi en la disant ;c'est-à-dire s'il l'énonce et la rend compréhensible dans une relation à dimension humaine, familiale et sociale : un vrai débat - sans lequel la délinquance ne peut que s'organiser davantage.

« Cette perspective débouche alors sur la dimension éducative de la loi : protectrice, telle que voulue par le législateur, permettant à l'enfant ou l'adolescent de la comprendre et d'en faire son profit, pour essayer de ne pas rester hors la loi... et, en matière de protection, de bénéficier d'une assistance éducative, dans le prolongement de cette rencontre.

« Nous sommes dans des histoires de mal-être qui restituent souvent la rancœur d'une enfance difficile ; à l'âge des révoltes, à l'adolescence. Elles doivent être entendues et comprises dans une dynamique relationnelle pour évoluer vers des comportements plus responsables, plus autonomes...

« D'autre part, en relation avec les familles, comment se priver des pères, d'une autorité qui se “discute” mais reste indispensable en matière d'éducation. Suppléée si souvent par des intervenants “en nombre” quand il s'agit de protéger, toujours dans l'intérêt de l'enfant, mais de ce fait, au risque de provoquer la rupture.

« Y aurait-il encore des juges ayant foi en l'acte éducatif ? Prêts à nous qualifier tout en requalifiant les familles dans leurs compétences, leurs responsabilités. Peut-être faut-il pour cela avoir effectivement “la foi” ; au moins tout autant que des parents l'ont en l'avenir de leurs enfants. »

Bruno Rougier Educateur spécialisé en milieu ouvert. Auteur de En milieu ouvert  - Ed. Seuil 1978 et de Jamais sans famille  - Ed. érès 1999. 355, rue Joliot-Curie - 84270 Vedène Tél. 04 90 32 00 09.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2197 du 12-01-01.

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