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Des allocataires du RMI créent leur amicale

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Participant à une démarche collective, initiée par des assistantes sociales de Saint-Jean-de-Luz, un groupe d'allocataires du RMI a pu se constituer en amicale, puis en association. Mais l'autonomie reste une conquête difficile à assumer dans la durée.

Comment rendre les usagers acteurs de leur insertion ? A cet égard, la création d'une amicale, voire d'une association, est-elle une réponse adaptée ?C'est en tout cas la formule - pour le moins séduisante - qu'ont retenue, dans le cadre d'une action collective, des allocataires du RMI à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées- Atlantiques).

L'aventure est née, en 1997, à l'initiative des assistantes sociales du centre social Sagardian, du centre communal d'action sociale de Saint-Jean-de-Luz et de la caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine. A l'époque, celles-ci se rendent compte combien le Lieu rencontre accompagnement (LRA) de Saint-Jean-de-Luz (1), créé dans le cadre du programme départemental d'insertion afin d'informer et d'aider les titulaires du RMI, ne permet pas une réelle mobilisation des usagers. S'ils sont nombreux à fréquenter cet espace et à y exprimer leurs difficultés quotidiennes, ceux-ci ne participent pas toujours en nombre aux réunions organisées pour répondre à leurs préoccupations, constate Bernadette David, l'assistante sociale qui anime le lieu.

Cerner les besoins de l'usager

De leur côté, ses collègues des services instructeurs du RMI ont beaucoup de mal à faire passer à leurs interlocuteurs les informations susceptibles de les aider à mieux gérer leurs problèmes. Alors que les questions d'insertion sociale conditionnent largement les possibilités d'insertion dans l'emploi, les personnes semblent uniquement s'autoriser à parler du versant professionnel de leur vie, déplorent Anne- Marie Passicot et Bernadette Miremont, assistantes sociales respectivement au centre communal d'action sociale de Saint-Jean-de-Luz et à la caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine.

C'est sur la base de ces constats que les trois professionnelles initient, il y a trois ans, une démarche collective. Elles commencent par préparer un questionnaire visant à cerner les besoins des allocataires en matière d'amélioration de leur vie quotidienne. Objectifs ? Elaborer des actions qui correspondent à leurs attentes. « Conscientes que nos initiatives ne rencontraient pas toujours l'écho escompté, notre idée était d'associer, dès le départ, les intéressés à la définition des projets qui seraient menés, et de ne pas les réaliser pour eux mais avec eux », raconte Bernadette David.

Grâce au partenariat établi avec les différents services instructeurs du département, 377 questionnaires sont nominativement adressés, fin 1997, aux allocataires du RMI de Saint-Jean-de-Luz et de ses environs. Très détaillés, ils leur permettent d'évoquer leur quotidien (logement, santé, loisirs, relations sociales). Les personnes sont également conviées à une rencontre pour analyser les résultats. Cependant, le jour venu, moins d'un tiers des questionnaires ont été retournés et seulement une petite cinquantaine d'allocataires se rend au lieu rencontre. En fait, cette invitation a été vécue par ses destinataires comme une convocation. Plusieurs personnes se sont même étonnées, sur un ton plus ou moins virulent, que les travailleurs sociaux aient besoin d'aide pour faire « leurs » statistiques... Le malentendu est vite dissipé et une partie de l'assistance aussi rapidement envolée. Mais avec les 24 allocataires qui font le choix de rester - à peu près autant d'hommes que de femmes, aux profils divers (techniciens, serveurs, personnes en longue maladie) -, un débat s'engage sur l'intérêt d'une réflexion commune qui parte des préoccupations exprimées. Rendez-vous est donc pris pour se revoir régulièrement, le lundi après-midi.

La conquête d'une identité

Au fil des rencontres hebdomadaires auxquelles vient, plus ou moins assidûment, une bonne partie du groupe, le travail peut alors commencer. Les participants se montrent d'ailleurs particulièrement mobilisés lors des réunions consacrées à dépouiller le questionnaire. « Y compris des usagers en grandes difficultés psychologiques, voire psychiatriques, que nous n'aurions pas forcément eu l'idée de solliciter sur de tels sujets », remarquent les professionnelles. En analysant les réponses de leurs pairs, les membres du groupe découvrent l'expression d'un grand isolement. Ils constatent aussi que le problème le plus largement partagé est le manque d'argent et semblent surpris de l'ignorance des allocataires concernant les moyens de le pallier. C'est alors l'occasion d'évoquer la gêne que l'on éprouve à interpeller systématiquement son service instructeur pour des informations relatives à la vie quotidienne et le malaise à devoir afficher son statut d'allocataire du RMI pour obtenir aides ou tarifs réduits. De cette prise de conscience, naît le désir du groupe de se transformer en relais d'information. Pour aider les personnes en situation de précarité, il décide de créer un bulletin destiné à présenter les mesures et actions utiles à connaître.  « Cette étape très importante, commente Bernadette David, a permis aux participants de commencer à se départir d'un positionnement de victimes dans l'incapacité d'agir. Et à se fédérer autour d'un projet qui satisfaisait leur désir de se rendre utiles. »

Avant de passer aux actes, le groupe s'interroge sur son statut. Après examen des différentes possibilités légales, il adopte la formule de l'amicale. Sans personnalité juridique, elle fait ressortir la notion d'amitié. Baptiser cette amicale est alors l'occasion de débats passionnés. A la différence des animatrices qui, dans un premier temps, récusent l'appellation de « Rmistes », les membres du groupe la revendiquent haut et fort : l'affichage collectif d'une identité, souvent niée à titre individuel, leur paraît propre à sortir du sentiment de honte douloureusement éprouvé. Quant à son bulletin, l'Amicale des usagers « Rmistes » (AUR) lui trouve un titre porteur de sens multiples : La Mine d'AUR. « La Mine, fait observer Anne-Marie Passicot, semble aux participants de nature à refléter la souffrance et les efforts de leurs vécus, cependant qu'au bout du chemin, “l'or” traduit la richesse du minerai extrait, en l'occurrence celle de leur entreprise commune. »

Portés par cet élan identitaire, les membres de l'amicale reprennent les thèmes dégagés par les questionnaires pour inviter des intervenants à même de leur fournir des informations. Ils préparent ainsi leurs futurs articles au fil de rencontres organisées entre février et juin 1998, notamment avec des représentants d'EDF et de la cellule d'appui du RMI, plusieurs médecins du comité départemental d'éducation à la santé et une conseillère en économie sociale et familiale. Qu'il s'agisse d'apprendre comment réaliser des économies de gaz et d'électricité, accéder aux aides à la mobilité, gérer son stress ou confectionner des menus diététiques peu coûteux, « la majorité des participants manifestent un vif intérêt sur toutes ces questions, rapporte Bernadette Miremont, ce qui n'aurait probablement pas été le cas si l'initiative de ces réunions leur avait été extérieure. »

La dynamique de groupe semble également bien fonctionner quand il s'agit de concevoir et de fabriquer La Mine d'AUR, « bulletin bimestriel d'informations utiles au quotidien ». Rédaction des articles, illustrations, maquette et duplication (par photocopies réalisées au LRA)  : le journal, dont le premier numéro sort en mai 1998, est intégralement l'œuvre d'un petit nombre de membres de l'amicale. Disposant de moindres compétences rédactionnelles et techniques, leurs coéquipiers compensent cette relative mise à l'écart en s'investissant davantage dans la préparation de la fête organisée pour marquer la naissance du collectif et de son journal.

Celle-ci, néanmoins, met un bémol à l'exaltation collective. Invités à y venir nombreux dans le premier numéro du bulletin - diffusé à 670 exemplaires - très peu d'allocataires du RMI font le déplacement. La déception est d'autant plus grande que le deuxième objectif de l'amicale était précisément de rompre leur solitude. « Il semble en fait très difficile d'impliquer dans une action en cours des personnes qui n'y ont pas été associées dès le démarrage », estime Bernadette David.

Un engagement difficile à pérenniser

Analysant les effets positifs générés par leur participation au groupe - certains se découvrent des capacités insoupçonnées, d'autres réamorcent une recherche d'emploi -, les membres de l'amicale sont néanmoins fiers du chemin parcouru en six mois. La reconnaissance que leur manifestent les institutions et les professionnels participe aussi de la reconquête de l'estime de soi. Aussi, faute de pouvoir intéresser, directement, plus d'allocataires à leur entreprise, ils décident de développer la pagination et la diffusion de La Mine d'AUR, pour apporter à un plus grand nombre les informations qu'ils ne viennent pas chercher. A cet effet, l'amicale sollicite des moyens financiers auprès du conseil général. Celui-ci est prêt à les lui accorder, dans le cadre du plan départemental d'insertion, à condition que la structure se transforme en association disposant de la personnalité juridique. Cette exigence rencontre le désir du groupe d'adopter un fonctionnement plus autonome. En concertation avec les assistantes sociales, il envisageait, en effet, de se passer de leur présence aux réunions hebdomadaires ; la professionnelle du LRA continuerait, en revanche, d'animer une réunion mensuelle de bilan.

Cependant la constitution de l'Association des usagers du RMI, en novembre 1998, bouscule quelque peu la marche vers cette progressive émancipation. A la crainte de devoir assumer de nouvelles responsabilités s'ajoutent les problèmes relationnels qui parasitaient déjà la vie du groupe. D'où le refus de la majorité des usagers de s'impliquer plus avant. Et seuls trois ou quatre membres très actifs font effectivement fonctionner la nouvelle organisation. De leur côté, les assistantes sociales considèrent, en janvier 1999, leur mission terminée. Quand les usagers leurs demandent de ne plus participer à titre professionnel mais comme simples membres de leur association, elles jugent le moment venu de mettre un terme à leur intervention. Cela ne signifie pas pour autant la fin de l'association - dont les assistantes sociales continuent d'ailleurs à faire connaître les initiatives à l'extérieur. Fière d'être passée «  de l'assistanat à l'aurti-sanat », l'AUR peut, en effet, grâce aux subventions obtenues, étoffer sa pagination et accroître sa diffusion. Les numéros trois et quatre du bulletin, datant respectivement du printemps et de l'été 1999, ne comportent plus 8 mais 12 pages, et sont dupliqués à 1 500 exemplaires. Cependant, à ce jour, la publication d'une cinquième édition de La Mine d'AUR n'a toujours pas été réalisée, la poignée d'usagers encore mobilisés ayant peut-être atteint, là, les limites de son engagement.

Globalement néanmoins, le bilan de l'action initiée par les assistantes sociales s'avère, sur l'essentiel, très concluant. Tous les participants qui, fin 1997, avaient répondu « présents » à leur invitation, ont pu, ne serait-ce que momentanément, (re) trouver un dynamisme personnel stimulant leur vie sociale. En outre, 13 des 24 personnes engagées dans la démarche, de manière ponctuelle ou plus régulière, se sont réinscrites dans un parcours professionnel (formation, emploi, création d'entreprise).

Caroline Helfter

Notes

(1)  Lieu rencontre accompagnement - Centre social Sagardian : 32, avenue Hoche - 64500 Saint-Jean-de-Luz - Tél. 05 59 08 04 04.

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