« Si la plupart des indicateurs économiques s'améliorent, ceux du mal-logement restent dans le rouge », estime la fondation Abbé- Pierre, dans un manifeste rendu public le 15 février en même temps que son rapport annuel (1).
Avec 317 000 logements construits en 2000, « la production quantitative ne s'est jamais aussi bien portée depuis les 20 dernières années », souligne la fondation. Mais ces logements ne sont accessibles qu'à une partie de la population et « l'embellie économique accroît la fracture sociale [qui] sera de plus en plus dure à combler si rien n'est fait pour enrayer les effets pervers de cette situation ».
La logique du marché aggrave les difficultés
En effet, parallèlement, l'effondrement de la construction sociale s'accélère depuis trois ans, avec 42 500 mises en chantier en 1999 contre 80 000 logements programmés. « La logique de marché sur laquelle se fonde l'embellie économique accélère les difficultés du logement social », juge le rapport, car les entreprises se consacrent aux projets les plus lucratifs, certains appels d'offres restent infructueux, les ressources foncières sont mobilisées par les opérations privées et les populations les plus solvables quittent les quartiers sensibles.
Pendant ce temps, plus de 200 000 ménages doivent avoir recours au Fonds de solidarité logement. Les dettes de loyer continuent d'alimenter la plupart des 100 000 contentieux judiciaires pour expulsion locative chaque année. Malgré l'augmentation des capacités, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (30 000 places), les centres d'urgence (25 000 places) et autres logements transitoires ne désemplissent pas.850 000 personnes vivent encore dans un habitat privé de confort et 580 000 sont en situation de sur-occupation. Dans ce contexte, « il n'est pas étonnant que la demande de logement social reste à un niveau élevé », insiste la fondation, qui la situe à peu près au double des 450 000 à 500 000 attributions annuelles.
Quoique les politiques publiques correspondent aux demandes formulées par les acteurs de terrain, leur « mise en œuvre patine et n'arrive pas à renverser la situation ». Les associations « attendaient beaucoup de la loi contre les exclusions ». Mais « elles continuent de patauger dans la précarité des financements publics, les retards de versements des crédits d'Etat, l'absence de logements susceptibles d'accueillir les populations remises sur pied. Elles ont le sentiment qu'il est encore plus dur de loger des personnes fragiles depuis la loi contre les exclusions qu'avant. »
Le secteur HLM qui « a obtenu quasiment tout ce qu'il demandait et pourtant ne construit que la moitié de ce qu'il faisait » et les collectivités locales qui « tardent dramatiquement » à mettre en place les conférences intercommunales sont aussi épinglées : « Pendant que tout le monde s'attend, le temps passe et tout retard en la matière est lourd de conséquences. » Les 164 000 logements sociaux qui ont fait défaut les cinq dernières années représentent le tiers des 450 000 logements prévus par la loi SRU sur 20 ans. « Autant dire que cette loi part avec un lourd handicap. » Pour « le remonter avec détermination, [...] le logement ne peut être laissé à la seule loi du marché, pas plus que l'école ou la santé publique », considère la fondation.
Pour un véritable plan et une animation forte
Et de demander « un véritable plan de relance triennal du logement à vocation sociale », qui prenne en compte les besoins et les retards régionaux, et s'appuie sur une création diversifiée de logements sociaux incluant les ressources du parc ancien, avec une politique plus ajustée de financements. La fondation souhaite également « à côté du parc social de droit commun », le développement « de structures d'habitat spécifique pour faire face aux défis d'une société qui génère de plus en plus de précarité et d'isolement », notamment une « hôtellerie à vocation sociale » et des pensions de famille.
Avant les élections municipales de mars, la Fondation Abbé-Pierre suggère, aux élus et aux électeurs, de placer le logement « au cœur des enjeux municipaux » . Elle interpelle notamment les candidats des 20 villes qui ont le plus de logements sociaux à construire dans le cadre de la loi SRU. Mais elle demande aussi à la puissance publique une « animation forte » des politiques locales. Si le pertinence d'une action « la plus proche du terrain et des réalités » est évidente, elle ne doit pas être abandonnée aux « réserves insondables » des « acteurs les moins vertueux ». Un « exécutif référent, disposant de moyens et d'autorité, doit donc être placé auprès de chaque préfet pour agir comme un chef de projet et faire avancer dans les faits les objectifs retenus ». M-J.M.
(1) L'état du mal-logement en France - Rapport annuel 2000 - Disp à la Fondation Abbé-Pierre : 53, boulevard Vincent-Auriol - 75013 Paris - Tél. 01 53 82 80 30 - 92 F (14,03 euros).