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« L'éducatif humanise la violence du judiciaire »

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Recentrage de la PJJ sur le pénal, déspécialisation de la justice des mineurs... Thierry Baranger, président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (1) exprime ses inquiétudes.

Actualités sociales hebdomadaires  :Lors de votre dernière assemblée générale (2), vous avez dénoncé « les violences ordinaires dans la justice des mineurs » . Que voulez-vous dire ? Thierry Baranger : Certaines mesures comme l'incarcération des mineurs et les placements judiciaires peuvent être extrêmement violentes. Il est donc nécessaire de se donner un temps éducatif, d'élaboration avec le jeune. Par exemple, le placement, s'il n'est pas suffisamment préparé en lien avec l'environnement familial et social du quartier, est voué à l'échec. Aujourd'hui, la dictature de l'urgence et de l'immédiateté, le traitement en temps réel remettent en cause cette approche. Or, l'intervention judiciaire, en soi violente, peut devenir pire que les maux qu'elle prétend résoudre si elle n'est pas humanisée par l'éducatif. Comment jugez-vous les orientations du dernier Conseil de sécurité intérieure (3)  ? - En dehors de la disposition visant à assortir la mesure de réparation d'une obligation de formation civique qui me paraît intéressante, ces orientations me semblent avoir, tout au moins d'après la lecture que j'ai pu en faire dans la presse, une tonalité plus sécuritaire et policière qu'éducative. Une fois encore, ne fait-on pas de la question des mineurs un enjeu politique et électoral ? Quel regard portez-vous sur l'évolution de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ)  ? - Nous sommes très inquiets. Nous avons le sentiment qu'elle se recentre uniquement sur le pénal. On le voit tant au niveau des mesures d'assistance éducative, qui ne représentent plus que 20 % de l'ensemble des mesures de la PJJ, que du travail des juges des enfants : au tribunal pour enfants de Paris, plus de 60 % des dossiers ouverts dans l'année relèvent du pénal. Les parquets, et la société en général, sont de moins en moins sensibles au fait que l'acte de délinquance est souvent le résultat de dysfonctionnements familiaux et de l'insuffisance d'une véritable politique de prévention et de santé publique. Que demandez-vous ? - De ne pas perdre la richesse du système français de la justice des mineurs, faite d'une double compétence entre violence subie et violence agie. Celle-ci se voit remise en cause, insidieusement, par le clivage politique que l'on observe au niveau de la protection de l'enfance : d'un côté, le ministère délégué à la famille et les conseils généraux pour les enfants victimes ; de l'autre, le ministère de la Justice pour les mineurs délinquants. La loi sur la présomption d'innocence du 15 juin 2000 accentue encore ce mouvement de déspécialisation puisque ce n'est plus le juge des enfants qui peut placer un mineur en détention, mais le juge des libertés et de la détention (4). En quoi est-ce dangereux ? - C'est une très grave remise en cause de l'ordonnance du 2 février 1945. Seuls des juges spécialisés peuvent décider des mesures les mieux adaptées aux mineurs. Au risque sinon d'apporter uniquement des réponses pénales et de perdre toute sensibilité à l'éducatif. Il faut savoir pourtant que tout mineur dangereux est également en danger ! Vouloir les traiter en adultes en abaissant la majorité pénale, comme le proposent certains, ne sert à rien. De même, sanctionner les parents des enfants délinquants, loin de ramener ces derniers dans l'univers de la loi, risquent au contraire de les mettre en position de toute-puissance face à leur famille. Comment voyez-vous la réforme des services éducatifs auprès des tribunaux pour enfants envisagée par la direction de la PJJ (5)  ? - Elle est nécessaire et urgente. Mais elle ne doit pas aboutir à creuser le ravin entre l'éducatif et le judiciaire. Nous souhaitons qu'il y ait toujours une présence éducative auprès des tribunaux permettant, au-delà d'une fonction d'aide à la décision, un réel suivi éducatif. Ainsi, au tribunal pour enfants de Paris, le juge peut rencontrer directement les éducateurs. Si la réforme consiste à limiter leurs relations à la production d'un rapport écrit et à la présence des travailleurs sociaux à l'audience, elle va renforcer la tendance au cloisonnement. Alors qu'on constate déjà une perte de culture commune entre les magistrats et les éducateurs. Le risque, c'est d'aggraver encore par de nouvelles réformes la désarticulation du judiciaire et de l'éducatif. D'une façon générale, comment se passe la collaboration des juges des enfants et des éducateurs ? - Elle se passe bien, là où la PJJ et le secteur associatif ont des moyens. Si le juge des enfants prend des mesures éducatives et que, six mois après, elles ne sont pas exercées, cela décrédibilise complètement l'institution. Au tribunal pour enfants de Paris, il y a ainsi près de 250 mesures en attente sans compter que son activité a augmenté de 17 % en un an ! La juridiction des mineurs est confrontée à un véritable défi : comment, à moyens constants et sans renoncer à ses exigences éthiques, traiter de plus en plus vite une masse croissante d'affaires ? Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Il est également juge des enfants à Paris.

(2)  Les 27 et 28 janvier - Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille : c/o Tribunal pour enfants - Palais de justice - 75055 Paris - Louvre RP-SP - Tél. 01 44 32 65 13.

(3)  Voir ASH n° 2200 du 2-02-01.

(4)  Voir ASH n° 2179 du 8-09-00.

(5)  Voir aussi ce numéro.

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