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Accompagner l'enfant et sa famille

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Chaque année, le conseil général du Nord permet à 200 enfants- dont deux tiers sont nés à l'étranger - de rejoindre une famille adoptive. Une rencontre préparée par de nombreux intervenants.

Neuf mois : c'est le temps maximum de l'instruction d'une demande d'agrément en vue d'adoption. Une « grossesse psychique », en quelque sorte. C'est cette période que les services de l'aide sociale à l'enfance  (ASE) mettent à profit, à travers des évaluations sociales et psychologiques, pour s'assurer que la future famille réunit les meilleures conditions d'accueil. Un travailleur social se rend au domicile des candidats, en général un couple, qui doit être marié, mais ce peut être une personne célibataire, âgée d'au moins 28 ans (1). Les futurs parents vivent plus ou moins bien cette intrusion dans leur intimité : si certains sont encore dans la douleur de l'infertilité, d'autres ont déjà préparé la chambre. Lors de cette visite et d'entretiens ultérieurs, ils évoqueront leurs motivations, leur regard sur l'abandon, l'hérédité, la révélation, la régression possible de l'enfant arrivant dans son nouveau foyer, la crise de l'adolescence, les échecs envisageables, leur aptitude à assumer une adoption internationale, à affronter d'éventuelles manifestations de racisme...

« Je ne suis pas là pour déstabiliser les gens, explique Annie Fontaine, assistante sociale au service enfance du département du Nord (2). On aborde leur passé. On réfléchit à la place que prendra l'enfant dans la famille. Je resitue toujours les choses par rapport à ses besoins. On n'a pas le droit de passer à côté de quelque chose qui ne va pas : si le projet d'adoption n'est pas prêt, on peut le reporter. L'enquête sociale, c'est aussi un temps d'élaboration. »

Ces investigations sont obligatoirement complétées par une évaluation du contexte psychologique du projet d'adoption. « L'entretien psychologique ne vise pas à sélectionner de bons parents, renchérit Martine Vers, psychologue dans le même service, c'est l'occasion d'approfondir la discussion. Chaque rencontre est unique et originale. Aucune demande ne doit être rejetée a priori. Il s'agit de repérer la souplesse du projet à travers l'enfant imaginé. »

Comment les parents envisagent-ils que cet enfant les comblera ? S'agit-il d'un enfant-miroir dépositaire de leurs idéaux, d'un enfant mythique parfait, d'un enfant « exotique » qui visibilise l'adoption ? Plus l'attente est longue et plus cette représentation se fige. Et il peut s'écouler beaucoup de temps entre l'octroi de l'agrément, reconnaissance administrative de l'aptitude à adopter, et la proposition d'un enfant aux postulants.

Un couple pour un enfant

Pour éviter leur déception, il convient, dans les entretiens psychologiques précédant la rencontre avec l'enfant, de les amener à évoluer, à réduire l'écart entre le rêve et la réalité. Car recevoir un enfant, c'est l'accepter tel qu'il est et non tel qu'on le voudrait. « Il ne faut rien cacher aux parents, parler des traumatismes vécus tout en préservant leur imaginaire. A la fin de l'entretien, on doit avoir la certitude que ce couple-là est bien pour cet enfant-là », observe Geneviève Pépin, psychologue. Et les parents, tout naturellement, vont inventer des correspondances entre ce qu'on leur dit de l'enfant et leur propre histoire.

Si le psychologue ou le psychiatre doit étayer, accompagner les parents vers cette connaissance de leur enfant, co-naissance à une histoire partagée, il doit également accueillir les projections de l'enfant et les transformer. « Il faut désamorcer le fantasme du “mauvais bébé” qui se croit abandonné car il n'était pas capable d'être aimé, explique Bernard Golse, pédopsychiatre, membre du Conseil supérieur de l'adoption. Il est essentiel de lui transmettre le message qu'il n'est pas fautif, que c'est une histoire de grandes personnes. Tout petit, l'enfant a besoin de mots, même s'il ne les comprend pas ; à travers la musique du langage, des émotions sont véhiculées et le bébé est compétent pour les décoder. »

Qui donne cette parole à l'enfant ? Parfois la mère biologique qui lui dit qu'elle l'aime mais ne veut pas l'entraîner dans sa galère. Toutes les mères qui délaissent leur enfant n'ont pas cette capacité. Certaines le font à travers une lettre ou un objet qui lui sera remis plus tard. Dans ce cas la parole à l'enfant passe par des professionnels, soit de la protection maternelle et infantile, soit du service de l'ASE qui recueille le consentement à l'adoption. En même temps qu'on annonce au bébé que sa mère a préféré pour son bien qu'il vive sans elle, on lui affirme qu'on se réjouit de sa naissance et qu'on va l'accompagner vers des parents avec lesquels il sera heureux. « Je me souviens d'un nouveau-né à qui je m'adressais, raconte Ghislaine Léoszewski, assistante sociale au bureau des adoptions du Nord. Son regard s'est rivé sur moi, à mesure que je parlais, son front s'est déplissé, son corps s'est décontracté : je ne pouvais douter un seul instant que le message n'était pas reçu. »

Confié précocement, ce message est capital. Et tout autant pour un enfant plus âgé. Et quand celui-ci demande : « Pourquoi moi ? », il n'y a pas de réponse. C'est dans ce vide que prendra place le désir d'un ailleurs possible. La période précédant la rencontre de l'enfant avec ses parents potentiels est très délicate, car il continue à vivre chez son assistante maternelle tout en se projetant dans une famille adoptive qu'il ne connaît pas. Deux intervenants vont alors travailler en étroite collaboration, en rencontrant chacun l'enfant régulièrement en dehors de sa famille nourricière. Le psychologue pour mettre l'enfant « en appétit de filiation », faire en sorte qu'il se vive de moins en moins comme sujet de rejet, l'aider à faire le deuil des liens de sang et à se recréer des liens symboliques et affectifs, rester à l'écoute de ses craintes et de ses retours en arrière. L'éducatrice référente qui, quant à elle, entame la séparation progressive avec la famille d'accueil.

300 AGRÉMENTS DÉLIVRÉS EN 1999

Au bureau des adoptions de Lille à la direction enfance et famille du conseil général (3) , trois professionnelles - une psychologue et deux conseillères socio-éducatives - sont les référentes de tous les nourrissons remis à l'aide sociale à l'enfance. Leur rôle : les accueillir et les confier à des assistantes maternelles, solution préférée à la pouponnière, dans l'attente de leur placement en vue d'adoption. En cas de rétractation de la mère (environ 10 % des cas), elles assurent un suivi très proche de celle-ci et de son enfant. Pour l'instruction de la demande d'agrément, il n'y a pas d'intervenants spécialisés : l'évaluation est réalisée par un travailleur social du service enfance du secteur où réside le candidat à l'adoption. Afin d'optimiser la qualité des enquêtes, le département envisage de retenir des personnes ressources dans chaque unité territoriale d'action sociale. Améliorer la formation des professionnels intervenant en pré et post-adoption, inciter à l'adoption de grands enfants, créer des lieux d'écoute pour les familles, favoriser l'accès aux origines, telles sont les grandes lignes d'action du conseil général du Nord qui, en plus des 298 agréments délivrés en 1999, comptait 1 324 agréments en cours de validité, soit autant de candidats en attente d'enfant.

Trait d'union entre passé et avenir

Grâce à des rencontres quotidiennes avec les parents, organisées dans un lieu neutre, la crainte de perdre l'assistante maternelle fait progressivement place au plaisir d'être ensemble. Les professionnels sont d'ailleurs unanimes à constater la rapidité d'adaptation de l'enfant, qui ne peut pas rester entre deux histoires. Cette plasticité se remarque dès le premier week-end au domicile des nouveaux parents. Si souvent le comportement et même le physique de l'enfant changent, il doit retourner dans sa famille d'accueil et préparer son départ. Il est partagé et craint un nouvel abandon. C'est à l'éducatrice de rassurer tout le monde : l'enfant, le couple et l'assistante maternelle. « La référente est le trait d'union entre le passé et l'avenir, commente Christine Facque, éducatrice spécialisée. Notre travail requiert une grande disponibilité physique et psychologique. Nous devons laisser les parents prendre leur place et faire en sorte que l'enfant ne se sente pas redevable vis- à-vis de nous. »

A l'issue d'un placement d'au moins six mois, les parents introduisent une requête auprès du tribunal de grande instance de leur domicile. Si toutes les conditions sont remplies, le jugement d'adoption est prononcé et la filiation instituée. Les travailleurs sociaux se font alors très discrets et laissent la place aux associations de parents adoptifs. Car l'amour n'immunise pas contre les troubles ultérieurs et les adoptants sont avides d'expériences vécues par d'autres parents.

« Autrefois, l'adoption était taboue. Elle a beaucoup évolué, observe Mylone Rouanne, mère naturelle et adoptive, formatrice à l'accompagnement des familles au sein de l'association Enfance et familles d'adoption  (EFA)   (4). L'adoption internationale a tout fait exploser : on a pu accueillir des enfants grands et d'autres races. Et l'on a commencé à parler des difficultés »   (5). En cas d'échec scolaire, de violence, les enseignants ont tendance à mettre cela sur le compte de l'adoption. Les parents culpabilisent car ils pensent qu'ils n'ont pas droit à l'erreur. Ils se posent beaucoup de questions, surtout à l'adolescence quand le jeune fait monter les enchères pour mesurer la solidité des liens qui les unissent. Ou quand il veut se lancer à la quête de ses origines : une épreuve pour les parents qui doivent accepter la démarche. L'association EFA leur apporte un soutien au téléphone et au sein de groupes de parole.

La difficulté est accrue quand l'enfant vient de l'étranger car il vit un bouleversement complet de ses habitudes et repères quotidiens. Même pour le tout-petit : les odeurs, le langage, le portage changent. Païdia, organisme autorisé pour l'adoption et habilité notamment pour le Niger, informe les parents sur le pays d'origine de leur enfant et les incite à s'imprégner de sa culture. Les correspondants prennent des photos du milieu de vie et du petit chez sa nourrice africaine. Pour les parents mais aussi pour laisser des traces à l'enfant, des témoignages de son histoire. C'est pourquoi, on recommande qu'il garde son prénom d'origine à côté de celui que pourront lui donner ses parents et de son nouveau patronyme : ainsi, en étant désiré puis nommé et inscrit dans un lien de filiation, il va pouvoir construire son identité.

« On se sent le devoir d'être parfait, c'est lourd à porter », se plaint un parent. Fiez-vous à votre feeling, répond Bernard Golse qui insiste également sur la qualité et la multiplicité des écoutes par divers professionnels pour requalifier les parents souffrant d'un « fantasme d'incompétence ». En même temps, il pointe la « dictature » du concept de projet d'adoption : il n'y a pas lieu de vouloir à tout prix faire expliciter aux postulants leur désir d'enfant, qui est l'essence même de la nature humaine. Françoise Gailliard

Notes

(1)  Voir le cadre juridique et administratif de l'adoption dans le supplément au n° 2182 des ASH du 29 septembre 2000. Le présent article ne traite que de l'adoption pleinière.

(2)  Lors de la journée départementale « Adopter, construire une vie », organisée le 8 décembre 2000 à Lille par le conseil général du Nord dont le président, Bernard Derosier, est également président du Conseil supérieur de l'adoption - Hôtel du département : 51, rue Gustave-Delory - 59047 Lille cedex - Tél. 03 20 63 59 59. 

(3)  Tél. 03 20 63 47 93/48 77.

(4)  La fédération EFA regroupe 8 600 familles au sein de 92 associations départementales : 221, rue La Fayette - 75010 Paris - Tél. 01 40 05 57 70.

(5)  L'adoption internationale vient de faire l'objet d'une nouvelle loi et d'un rapport parlementaire - Voir ce numéro.

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