Affligeant. Tel est le jugement porté par Michel Franza sur les orientations de Lionel Jospin à propos de la délinquance des mineurs (1). « De Conseil de sécurité intérieure en Conseil de sécurité intérieure (CSI), c'est toujours la même musique, le même saupoudrage de mesures annoncées dans un contexte d'événements spectaculaires. Va-t-on enfin prendre le problème à bras-le-corps ? », s'irrite le directeur adjoint de l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes. A quelques mois des municipales, alors qu'une nouvelle fièvre s'est emparée des politiques sur les questions de sécurité, le sentiment de nombreux acteurs de terrain est bien que rien ne change.
Et l'éducation ?
« Accélération des procédures en temps réel, poursuite de l'ouverture de lieux spécifiques, stigmatisation des familles..., on reste dans une philosophie sécuritaire sans s'attaquer aux questions de fond », déplore Françoise Laroche, secrétaire nationale du Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ-FSU. « Pourtant les professionnels que nous sommes peuvent témoigner du caractère inopérant, voire dangereux de ces mesures qui, s'adressant à des adolescents, renforcent leurs symptômes en aggravant leur exclusion ». Et de déplorer « la désintégration des politiques de prévention dans les quartiers » et la difficulté des éducateurs à remplir leur mission éducative. « Nous sommes très inquiets pour l'avenir. On met des générations de professionnels en situation de souffrance personnelle », s'alarme-t-elle. Pour Michel Franza, il y aurait même une orientation nettement plus sécuritaire que les années précédentes : « ces mesures ne visent que les délinquants multi-récidivistes - au détriment des incivilités - et ne font aucunement référence au secteur éducatif ou aux juges des enfants. »
Quelle cohérence ?
Un discours qui tranche avec celui de Michel Guerlavais, secrétaire général du Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse-FEN- UNSA, qui voit dans le programme annoncé, la poursuite des « bonnes » orientations du Conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998. Lesquelles visent à « mobiliser l'ensemble des acteurs » sur la délinquance des mineurs. Reste à ne pas se contenter d'entasser des dispositifs, souligne-t-il, déplorant par exemple le fait que les centres éducatifs renforcés et les centres de placement immédiat (CPI) n'aient été précédés d'aucune réflexion sur leur inscription territoriale. « Certaines mesures sont intéressantes », reconnaît-on à la CFDT- Justice, notamment celles visant à aller au plus près du citoyen. Encore faut-il les décliner « de façon réfléchie et non dans l'urgence ».
Enfin, et là tous les discours se rejoignent, rien ne sert de multiplier les annonces sans faire déjà fonctionner l'existant. « Sur la trentaine de CPI qui existent, quatre fonctionnent réellement. Les autres sont en crise permanente, faute de moyens », déplore Françoise Laroche. « Sur les 1 000 emplois annoncés depuis 1999 au sein de la PJJ, 50 % sont pourvus, explique-t-elle. Mais, il en faudrait trois fois plus, tant au niveau des éducateurs que des psychologues, assistants sociaux, veilleurs de nuit... pour consacrer davantage de temps à l'accompagnement et diversifier les modes de prise en charge ! »
Dans ces conditions, avec quels personnels va-t-on ouvrir les 50 centres de placement immédiat d'ici à la fin 2001, comme le prévoit le gouvernement ?, s'interroge Michel Guerlavais. Lequel se demande si l'insuffisance des moyens ne va pas invalider le sens même des orientations décidées. Il s'agit là « d'un tonneau des Danaïdes » affirme, beaucoup plus sévère, le SNPES-PJJ-FSU, déplorant « le temps perdu » qui aurait pu être consacré à « un projet ambitieux de prévention et d'éducation, seul à même de permettre l'épanouissement de véritables relations sociales ». I.S.
(1) Voir ce numéro.