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Quand les « régularisés » n'ont plus que des « soucis normaux »

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Consacrée au devenir des étrangers sans papiers régularisés à la suite de la circulaire Chevènement du 24 juin 1997 (1), l'enquête qualitative, conduite par François Brun et Smaïn Laacher (2), n'a pas été facile à réaliser. La première caractéristique de la population visée semble, en effet, de « s'être fondue dans la nature ». 207 personnes ont néanmoins été questionnées en Ile-de-France et en Provence- Alpes- Côte-d'Azur, et 100 entretiens approfondis menés, moitié avec des bénéficiaires de l'opération, moitié avec leurs interlocuteurs dans les services publics, les associations, les syndicats...

Pas les plus défavorisés

En examinant d'abord les raisons du départ de leur pays d'origine, les enquêteurs notent que « l'accueil de cette population ne se ramène pas à celui de “toute la misère du monde” ». Elle a été « davantage attirée par le rêve de l'argent facile et souvent d'une vie plus libre que par [...]l'impérieuse nécessité de tout quitter pour survivre ». Avec des nuances, bien sûr, selon les communautés d'origine, les motivations des Maliens n'étant pas celles des Chinois, celles des femmes (dont l'exil est parfois davantage subi que choisi) différant aussi de celles des hommes...

Ce ne sont pas les plus démunis en ressources culturelles, matérielles et psychologiques qui ont su émigrer et surtout « tenir » dans des conditions illégales - près de neuf ans en moyenne -, estiment aussi les auteurs. Leur trajectoire résulte en quelque sorte d'une « sélection naturelle ».

Autre facteur de « durée »  :le soutien de la famille (trois sur quatre en avaient déjà en France) ou de la communauté d'origine. A la veille de la régularisation, près de six personnes sur dix logeaient encore chez des parents ou des amis. Seuls deux droits paraissaient alors « assez communément accessibles »  :l'éducation pour les enfants et (avec des nuances) l'accès aux soins. Par contre, le travail au noir était le lot de la majorité des interrogés, seuls 15 % d'entre eux assurant n'avoir jamais travaillé.

Qu'est-ce que la régularisation a changé dans leur vie ? Pour près de neuf personnes sur dix, il s'agit d'abord d'une libération psychologique, notent les auteurs. Qui se traduit par un sentiment de liberté, de sécurité, de stabilité, de confiance, de possibilité d'échafauder des projets ou, en creux, par la disparition de la peur, de l'angoisse, des cauchemars, de la « honte ».

Plus globalement, la régularisation est perçue « avant tout comme un moment de passage dans la normalité ». Enfin « une vie tranquille » et « des soucis ordinaires ». Cependant, un sentiment de précarité subsiste, à cause du caractère temporaire du titre de séjour, délivré pour un an, renouvelé trois, et plus souvent cinq fois (du fait des fonctionnaires plus que des textes), avant la possible obtention d'un titre de dix ans.

Ils étaient déjà intégrés

Le deuxième bénéfice de la régularisation touche à la situation de travail. Qu'ils soient restés chez le même employeur ou qu'ils en aient changé, beaucoup ont été augmentés et disposent d'un revenu plus régulier. Il est d'ailleurs capital pour les personnes régularisées d'accéder à un travail déclaré car, même si cela ne figure pas au nombre des critères officiels, la présentation de bulletins de paie facilite énormément le renouvellement des papiers...

Pour une personne sur dix seulement, la régularisation est d'un apport important pour la vie familiale. Certains jeunes peuvent enfin envisager de fonder une famille. A contrario, quelques femmes ont pu reprendre leur liberté. Pour les Maliens, cela ne change rien car ils veulent que leurs enfants restent au pays pour être élevés dans les valeurs traditionnelles.

La moitié des personnes interrogées ont déménagé depuis qu'elles ont des papiers en règle, souvent pour acquérir plus d'indépendance, mais 13 % seulement mentionnent l'accès au logement parmi les apports essentiels de la régularisation. L'accès aux droits sociaux n'est pas non plus souvent cité, comme s'il allait de soi avec la régularisation. « Ils n'ont pas besoin d'un suivi, indique une assistante sociale, parce qu'étant en France depuis longtemps, ils avaient repéré les structures, les droits [...]. Ils étaient bien intégrés, il ne leur manquait que le titre de séjour. »

C'est pourquoi ils ont pu se fondre dans la population, « pour ne plus apparaître aux yeux des autres avec la charge d'un passé stigmatisant », en souhaitant « s'inscrire à tout prix dans une vie ordinaire, et fermer une parenthèse ».   M.-J.M.

Notes

(1)  Sur les 135 000 demandeurs, de 87 000 à 100 000 personnes ont été régularisées, selon le bilan de l'Institut national d'études démographiques - Voir ASH n° 2180 du 15-09-00.

(2)   « De la régularisation à l'intégration : stratégies, atouts, obstacles... »  - Commandée par la direction de la population et des migrations (non publiée).

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