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Des embauches, mais en partie déqualifiées

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Alors qu'ils procèdent à leurs embauches 35 heures, les employeurs se heurtent à une réelle pénurie de personnel diplômé. Soumis également à une pression budgétaire, ils déqualifient de nombreux postes.

« Comment maintenir la qualité du service due à l'usager lorsque les associations souffrent, depuis longtemps, d'une réelle pénurie de professionnels formés et compétents, situation en dégradation criante depuis l'entrée en vigueur de la réduction du temps de travail ? » Dans sa lettre adressée à Lionel Jospin le 20 novembre 2000, le Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif (SOP) exprime une inquiétude largement partagée par tous les employeurs du secteur social et médico-social. Alors que la mise en place des accords 35 heures, et donc les embauches, vont s'accélérer en ce premier semestre 2001, la tension sur le marché du travail augmente fortement, même si ce n'est pas de manière uniforme.

La pénurie gagne toutes les régions

En effet, la plupart des employeurs du secteur social témoignent de leur difficulté à trouver des éducateurs spécialisés et des moniteurs-éducateurs diplômés. Tandis que la pénurie était circonscrite jusqu'ici à la région parisienne et au Nord, elle s'étend vers le Sud. Pour preuve, l'une des rares études disponibles sur les difficultés de recrutement, menée par l'Union régionale interfédérale des organismes privés, sanitaires et sociaux  (Uriopss) de Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Corse. Sur 141 établissements interrogés, la moitié n'obtiennent quasiment pas de réponses à leurs petites annonces. Au point qu'en décembre, 21 postes d'éducateurs spécialisés et 9 postes de moniteurs-éducateurs ne trouvaient pas preneurs. Les associations recherchaient également 20 infirmières et 14 aides-soignantes. Les secteurs les plus touchés par la pénurie :l'aide sociale à l'enfance (20 postes vacants) et les services aux personnes âgées (34 postes).

Ce tableau reflète assez fidèlement les tensions du marché au niveau national. En effet, le secteur de la petite enfance, en particulier les internats, voit s'accélérer la fuite des éducateurs spécialisés, découragés par un public de plus en plus difficile et des conditions de travail détériorées (les 35 heures y induisent le morcellement des emplois du temps et la suppression des transferts). Cas extrême, l'Association du groupement éducatif de Mareuil-les- Meaux, en région parisienne, a été obligée de fermer une unité d'accueil de 12 jeunes, faute de trouver des professionnels diplômés (voir encadré).

Le secteur des personnes âgées souffre quant à lui de la pénurie chronique d'infirmières, voire du manque d'aides- soignantes. Ainsi, le service de soins infirmiers à domicile du Château, à Laragne (Alpes-Maritimes), ne parvient plus à fidéliser son personnel depuis un an. Il a dû faire passer à temps plein les deux postes prévus à mi-temps dans son accord 35 heures, pour espérer attirer davantage de candidates.

Quant au secteur des handicapés, il rencontre relativement moins de difficultés d'embauches : il a commencé à négocier et donc à puiser sur le marché du travail avant les autres. En outre, « nos associations et nos établissements, plus importants, offrent davantage de perspectives de carrière aux professionnels éducatifs que les petites structures », analyse Philippe Calmette, directeur du Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements  (Snapei).

Les petits établissements ruraux souffrent davantage

C'est clair, les établissements modestes, en particulier ceux du milieu rural, souffrent davantage de la pénurie. Jean-Pierre Le Marchand, directeur de l'association Lehugeur-Lelièvre, qui gère des internats de petite taille dispersés dans l'Orne, s'est par exemple retrouvé avec 12 postes à pourvoir - dont 8 dans le cadre de la RTT. Il a dû embaucher 12 candidats-élèves (1) en contrat à durée déterminée... dans l'espoir de trouver, un jour, du personnel qualifié.

Ces structures ont d'autant plus de mal à attirer les salariés qu'elles ne peuvent créer que des postes à temps partiel. Une quarantaine d'associations membres de l'Uriopss de Haute-Normandie se sont ainsi montrées intéressées par l'idée de constituer un groupement d'employeurs. Chaque établissement, pris isolément, ne pouvant offrir que des postes à 0,3 voire 0,1 équivalent temps plein, une telle mutualisation permettrait de proposer des temps pleins plus attractifs. Cette solution n'est pas totalement satisfaisante puisqu'elle crée des emplois à cheval sur plusieurs institutions aux projets et pratiques différentes. Mais elle semble la seule adaptée aux petits établissements et reçoit d'ailleurs le soutien de la direction générale de l'action sociale  (DGAS).

Que propose le gouvernement pour remédier à la pénurie de personnels éducatifs diplômés ? Employeurs et syndicats le pressent avant tout d'augmenter les quotas dans les centres de formation, lui reprochant au passage de les avoir trop contenus ces dernières années. A la direction générale de l'action sociale, on espère que le schéma national des formations sociales (2) - qui devrait être validé au Conseil supérieur du travail social du 2 février - permettra de négocier des moyens supplémentaires pour... 2002. C'est-à-dire trop tard puisque, compte tenu des délais inscrits dans les accords, les employeurs, dans leur majorité, doivent embaucher en masse dès aujourd'hui.

Ces derniers se tournent donc vers les formations par apprentissage d'éducateurs spécialisés et de moniteurs-éducateurs. Huit centres ont été ouverts en septembre dernier et l'Unifed, à l'origine de cette initiative, souhaite qu'elle soit étendue à tout le territoire dès la rentrée prochaine (3). Quoi qu'il en soit, cette formule, encore au stade expérimental, ne peut résoudre à elle seule la pénurie de diplômés.

Autre piste de diversification du recrutement, les emplois-jeunes. Les ministères de l'Emploi et de l'Education nationale ont passé un accord-cadre pour professionnaliser des aides-éducateurs dans l'action sociale (4). De leur côté, certains employeurs de la branche, à l'instar de Philippe Calmette, directeur du Snapei, souhaitent « transformer ces emplois précaires en emplois permanents ». Ils feraient ainsi d'une pierre deux coups : profiter de leur expérience dans le secteur tout en rajeunissant la pyramide des âges. Cependant, les emplois-jeunes, qui exercent par définition des « nouveaux services », ne peuvent en aucun cas remplacer au pied levé des éducateurs spécialisés. Sauf à bénéficier d'une formation diplômante à l'un des métiers socio-éducatifs. Ce qu'ont d'ailleurs compris les employeurs puisqu'un tel projet existe pour environ un tiers des 4 000 emplois-jeunes embauchés dans le secteur, d'après l'enquête annuelle de l'observatoire emplois-formation de Promofaf (5).

La déqualification s'accélère

Bref, en attendant les nouveaux diplômés, une bonne partie des employeurs recourent à la déqualification. Certains n'ont pas attendu les 35 heures, mais la dérive s'accélère indéniablement. « Nous sommes obligés de nous rabattre sur les non-diplômés, nous employons des aides médico-psychologiques à la place des éducateurs spécialisés. Lesquelles, malgré toute leur bonne volonté, commettent des erreurs professionnelles », regrette ainsi Marie-France Denamiel, secrétaire générale du SOP. Affrontant une pénurie particulièrement aiguë de personnel éducatif de niveau III en région parisienne, la maison d'enfants à caractère social, Mars 95, a embauché à la place deux psychologues et un animateur. D'autres font même appel à des personnes totalement étrangères à l'action sociale !

Ces établissements agissent souvent en désespoir de cause, après avoir passé des petites annonces pendant des mois. Mais la pénurie a parfois bon dos. Et certaines déqualifications de postes sont en fait pratiquées pour des motifs exclusivement financiers. « Au Pays basque, les gens sont très ancrés dans le terroir et il est donc relativement facile de trouver du personnel. C'est pour répondre à l'obligation d'équilibre budgétaire que j'ai été obligé d'embaucher un moniteur-éducateur à la place d'un éducateur spécialisé », explique ainsi le directeur général de la Sauvegarde de l'enfance du Pays basque.

Les responsables d'établissements se résignent plus ou moins facilement à ce diktat de l'équilibre budgétaire imposé par les financeurs. Lequel prime de plus en plus souvent sur le projet de l'établissement. Certes, à la DGAS, on soutient que la qualité du service aux usagers doit rester prioritaire. Mais dans le même temps, il serait bienvenu de « repenser les conditions dans lesquelles l'accueil et l'orientation des publics pourraient être assurés par des personnels qualifiés à cet effet », déclarait Sylviane Léger, la directrice générale, lors du colloque organisé par CQFD, le 22 septembre (6). Par exemple, « l'optimum de gestion des établissements ouverts 24 heures sur 24, consiste-t-il à être ouvert toute la nuit avec du personnel sans qualification ou à maintenir la capacité d'intervention des professionnels sans ouvrir en continu ? », s'interroge, quelque peu provocateur, Bernard Garro, sous-directeur des institutions, des affaire juridiques et financières à la DGAS.

De fait, à l'occasion du passage aux 35 heures, nombre d'internats ont remplacé les éducateurs spécialisés par des veilleurs de nuit en chambre de veille. Résultat : « Auparavant, les enfants se levaient pour discuter avec l'éducateur. Maintenant qu'il a été remplacé par un veilleur, ils ne se lèvent plus et restent seuls avec leurs angoisses », déplore Dominique Lepage, éducatrice spécialisée à la maison d'enfants Les Maronniers, à Versailles.

Le constat est clair : les usagers paient aujourd'hui les investissements insuffisants dans la formation de travailleurs sociaux ces dernières années, ainsi qu'une volonté de mettre en place les 35 heures au moindre coût. Jusqu'où la société civile et les professionnels accepteront-ils une telle dégradation du service aux plus démunis ?

Paule Dandoy

« J'AI DÛ FERMER UNE UNITÉ D'ACCUEIL »

Christian Portier dirige l'association du groupement éducatif de Mareuil-les-Meaux (Seine-et-Marne), qui accueille des adolescents (7) . Il cumule toutes les difficultés pour recruter du personnel diplômé. «  Lorsque nous avons obtenu l'agrément de notre accord RTT, en février 2000, j'avais 5 postes vacants en plus des 5 équivalents temps plein à créer - dont 3,5 éducateurs spécialisés. J'ai passé pendant des mois des annonces permanentes à l'ANPE locale, ainsi que dans tous les journaux sociaux. J'ai obtenu très peu de réponses. Au final, j'ai dû fermer une unité d'accueil de 12 jeunes et embaucher quatre personnes non diplômées dans le social. Leur profil ? Elles proviennent du secteur commercial ou industriel, souhaitaient changer de carrière et possédaient une petite expérience dans le secteur - animation, bénévolat. Je les ai recrutées sous le statut de candidats-élèves au diplôme d'éducateur spécialisé. »

Notes

(1)  La CC 66 permet d'embaucher des personnes de niveau bac souhaitant intégrer un métier de l'action sociale pour un contrat à durée déterminée de un an, renouvelable une fois à condition que le candidat-élève soit sélectionné à l'entrée d'un centre de formation.

(2)  Voir ASH n° 2186 du 27-10-00.

(3)  Voir ASH n° 2178 du 1-09-00.

(4)  Voir ASH n° 2172 du 23-06-00.

(5)  Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.

(6)  Voir ASH n° 2186 du 27-10-00.

(7)  Association du groupement éducatif : 10, rue Carnot - 77100 Mareuil-les-Meaux - Tél. 01 64 33 14 43.

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