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L'INSEE enquête auprès des personnes sans domicile

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Du 15 janvier au 12 février, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) réalise la première grande enquête sur les populations sans domicile. 4 000 personnes seront interrogées dans les lieux d'hébergement et de restauration gratuite. Interview de Cécile Brousse, responsable de l'étude.

Actualités sociales hebdomadaires  :L'enquête de l'INSEE (1) sur les personnes sans domicile entre dans sa phase active :selon quelles modalités ?

Cécile Brousse  : Son titre exact : « Etude auprès des personnes fréquentant les lieux d'hébergement ou de restauration gratuite » en indique clairement ses contours et ses limites. 350 enquêteurs sont mobilisés pour 20 jours de collecte. Dans 80 agglomérations de plus de 20 000 habitants, ils vont se rendre dans un millier de structures d'accueil, où ils interrogeront de 2 à 12 personnes, selon la taille et la fréquentation des lieux. Avec une moyenne de 4 individus par structure, cela fait au total 4 000 personnes interviewées.

Un échantillon très important par rapport à la population concernée !

- Effectivement, même si nous ne pouvons actuellement la chiffrer. Ce travail va nous permettre de donner un ordre de grandeur.

Comment avez-vous repéré les lieux d'enquête ?

- Le travail pratique a commencé en 1999. Nous avons d'abord tiré au sort les 80 agglomérations enquêtées parmi les 231 de plus de 20 000 habitants que compte la France métropolitaine. Les 20 plus grosses agglomérations y figurent, mais aussi des petites de 20 000 à 50 000 habitants. Dans chacune des villes retenues, la direction régionale de l'INSEE a procédé à un inventaire exhaustif des lieux d'hébergement et d'accueil des personnes sans domicile. Ont ainsi été recensées les structures de distribution gratuite de nourriture :restaurants fixes, « Restos du cœur », « point soupes », camionnettes de distribution... et les structures d'hébergement comme les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les centres maternels, les communautés de travail (type Emmaüs), les hôtels sociaux, les asiles de nuit, les centres d'urgence ouverts durant l'hiver, les petits hôtels dont les chambres sont payées par les collectivités locales ou les associations... Par contre, les résidences sociales ont été exclues. Tous ces organismes ont été joints entre février et avril 2000, pour connaître leur champ d'activité, leur taille, leurs horaires d'ouverture, etc. Ensuite, nous avons tiré au sort les 1 000 structures où se déroulera l'enquête.

Est-ce à dire que vous avez fait l'impasse sur les villes plus petites et les zones rurales ?

- Non, pas d'emblée. Nous avons procédé à un inventaire identique dans 80 agglomérations de 5 000 à 20 000 habitants, où résident 10 % de la population française. Nous avons « mis le paquet » en contactant les communes, les paroisses, les clients des banques alimentaires... Mais ces petites villes comptent très peu de structures d'accueil pour les personnes sans domicile. Néanmoins, nous avons collecté suffisamment d'éléments pour extrapoler nos résultats à cette tranche urbaine. En revanche, nous n'avons pas pris en compte les zones rurales, où n'existe quasiment aucune structure d'accueil : notre méthode ne leur était pas adaptée. En tout état de cause, 60 % de la population française vit dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants et sans doute une proportion plus importante encore des personnes sans logement.

Le choix de la période d'enquête, au cœur de l'hiver, n'est sans doute pas le fait du hasard ?

- Non, puisqu'il s'agit de la période où les sans domicile utilisent le plus les structures d'aide et où nous avons le plus de chance d'y rencontrer toutes les catégories de cette population. Nous voulons aussi vérifier les comportements cycliques et mesurer à quel point la fréquentation est plus importante en fin de mois, à mesure que diminuent les ressources.

Comment les personnes interrogées seront-elles sélectionnées ?

- Par tirage au sort parmi les « clients » de la structure. Il est très important que les personnes interrogées ne soient pas désignées par les accueillants, ni choisies par les enquêteurs. L'entretien se déroulera en face à face, et sans témoin pour garantir la confidentialité. Il durera de 45 à 50 minutes, plus si nécessaire. Le questionnaire comporte 70 pages, mais, naturellement, personne n'aura à répondre à toutes les questions : par exemple, selon que la personne est logée par une association ou dort dans la rue, l'enquêteur passera à telle ou telle partie du document.

Une population qui échappe aux statistiques

Pourquoi une enquête auprès des personnes sans domicile ? Les études traditionnelles de l'INSEE sont fondées sur le logement : les bases de sondage sont mises en place, pour l'essentiel, lors des recensements. Les personnes sans domicile sont donc mal prises en compte. Le Conseil national de l'information statistique (CNIS) y réfléchissait : un groupe de travail sur les sans abri s'est réuni de 1993 à 1996, avec des représentants des grandes associations, des pouvoirs publics, des organisations professionnelles, de la société civile et des chercheurs - 200 personnes au total ! Ce groupe a formulé des recommandations et préconisé la conduite d'une enquête spécifique sur les personnes sans domicile (2) . Parallèlement, des expériences d'enquêtes locales ont été menées, en particulier par l'Institut national d'études démographiques (INED) à Paris (3) , par l'INSEE en Rhône-Alpes, par le CREAI à Strasbourg. Les méthodes ont été comparées et les chercheurs de l'INSEE sont parvenus à un projet réalisable au plan national. Il s'inspire de la méthode utilisée par l'INED, elle-même dérivée du travail initié par le Census (l'équivalent de l'INSEE aux Etats-Unis), qui consiste à prendre contact avec les personnes sans domicile au travers des structures d'aide qu'elles fréquentent.

Faites-vous travailler les enquêteurs habituels de l'INSEE ?

- Oui, à plus de 92 %. Il faut des enquêteurs chevronnés pour réaliser un tel travail. Nous avons simplement renforcé les équipes sur Paris qui concentre une partie importante de la population concernée. Chaque enquêteur a reçu deux ou trois jours de formation. Contrairement à l'habitude, celle-ci n'a pas porté seulement sur le questionnaire, mais s'est étendu au public visé et au réseau d'aide. Dans deux régions sur trois, un travailleur social en contact habituel avec les personnes sans domicile a été invité à animer une demi-journée de formation. De plus, début janvier, chaque enquêteur a pu remplir un questionnaire d'entraînement, à blanc, dans un accueil de jour. Un « debriefing » va permettre de tirer les enseignements de ce premier contact.

Sur quoi porte le questionnaire ?

- La première partie tend à décrire la situation de la personne vis-à-vis du logement et, plus largement, son parcours résidentiel. Nous lui demandons également si elle est en recherche d'un toit personnel ou si elle y renonce, un peu comme nous le faisons dans les enquêtes emploi. Nous essaierons aussi d'apprécier les conditions de vie dans les structures d'hébergement. Mais en ne posant que quelques questions « ouvertes », car leur résultat est toujours difficile à exploiter.

Cherchez-vous aussi à cerner les autres aspects de la situation personnelle ?

- Le second volet, généraliste, doit nous permettre de comparer la situation des personnes sans logement avec celles qui en ont un. Nous posons donc les questions habituelles sur les ressources, le parcours professionnel, la formation, la santé, les relations sociales et familiales, l'histoire personnelle, l'enfance... Avec quelques variantes comme des questions sur la mendicité, ou des interrogations plus poussées sur l'isolement, l'accès au RMI et à la CMU. Plus globalement, nous voulons cerner le degré d'utilisation des prestations sociales, les rapports avec les travailleurs sociaux, les associations et les différents types de services qu'elles proposent.

Qui a réalisé le questionnaire ?

- Il a été conçu par l'INSEE, sous la responsabilité du groupe de pilotage qui comporte des représentants des partenaires financiers et des chercheurs de l'INED. Mais nous avons beaucoup consulté. Des réunions publiques d'information ont été organisées, en mai 1999, pour les associations intéressées, repérées notamment lors des travaux du CNIS. Fait exceptionnel, le projet a été envoyé à une cinquantaine d'associations et de chercheurs : une quinzaine d'entre eux ont réagi et permis d'affiner le questionnaire définitif.

Quelles sont les difficultés à éviter dans ce genre d'enquête ?

- A partir du moment où l'on a décidé de contacter les personnes sans domicile par les services d'aide qu'elles fréquentent, nous savons que celles qui ne recourront à aucun service pendant le mois de l'enquête resteront hors du champ. Par ailleurs, parmi les personnes qui fréquentent les structures d'aide, certaines les utilisent beaucoup, et vont de l'une à l'autre, ici le midi, le soir là, d'autres ne les pratiquent que de loin en loin, en cas d'extrême nécessité. Nous le saurons grâce au questionnaire, ce qui autorisera une pondération éventuelle des réponses. La méthode retenue permet de bien distinguer les populations, de prendre en compte la mobilité des personnes et d'éviter les doubles comptes.

Combien coûte une telle enquête et qui la finance ?

- Le travail est estimé à 15 millions de francs. Le coût interne, soit les deux tiers du total, est pris en charge par l'INSEE. Les coûts externes, soit 5 millions, sont financés par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion, les ministères du Logement et de la Solidarité, la caisse nationale des allocations familiales, le CERC et le Commissariat général du Plan. C'est une procédure habituelle : de nombreuses enquêtes sont cofinancées par des partenaires publics.

Quand livrerez-vous les résultats ?

- Après l'enquête sur le terrain, suit une phase de vérification des questionnaires, de saisie et d'apurement. Les résultats bruts seront disponibles à la fin 2001. Les premières publications sortiront durant le premier semestre 2002.

Propos recueillis par Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  INSEE - Timbre F340 : 18, bd Alphonse-Pinard - 75675 Paris cedex 14 - Tél. 01 41 17 50 50.

(2)  Voir ASH n° 1965 du 8-03-96 et n° 1966 du 15-03-96.

(3)  Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.

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