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Les nouveaux alliés de la réponse éducative ?

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Longtemps absents des cabinets des juges des enfants, les avocats investissent de plus en plus le champ des mineurs victimes ou délinquants et réintroduisent le débat contradictoire. Une petite révolution.

« Nous sommes passés d'une conception de la justice des mineurs fondée sur la seule présence d'un “bon juge” à une conception fondée sur celle d'un bon débat. » Ce constat du magistrat Michel Allaix, directeur des études de l'Ecole nationale de la magistrature, résume bien le mouvement qui fait peu à peu rentrer la protection de l'enfance sur le terrain du droit et des droits, via la loi du 6 juin 1984 concernant les droits des usagers du service public et la Convention internationale des droits de l'Enfant du 7 août 1990. Logique, dans ce contexte d'émergence et de promotion de défense des droits des mineurs, qu'apparaisse un nouvel acteur : l'avocat. Choisi librement par les représentants légaux ou l'administrateur ad hoc, ou encore commis d'office pour le mineur victime lors d'une constitution de partie civile, il est également présent lors de la défense des mineurs délinquants. Enfin, même si le mouvement reste encore limité, il intervient parfois aussi dans le champ de l'assistance éducative (1). De fait, partout en France, depuis une dizaine d'années, des avocats se sont en quelque sorte spécialisés et regroupés autour de la défense des mineurs (voir encadré).

Des résistances importantes

Mais selon les avocats d'enfants réunis pour la première fois à Bordeaux (2), le chemin à parcourir reste long tant les résistances et les incompréhensions demeurent. En effet, si leur présence est aujourd'hui admise dans les juridictions et auprès des victimes, tel n'est pas encore le cas en assistance éducative (3). Outre la résistance compréhensible de quelques professionnels échaudés par les pratiques de certains membres du barreau menant une croisade systématique et primaire contre les placements d'enfant, les milieux de la protection de l'enfance s'ouvrent lentement à la culture du droit des usagers. La présence des avocats ne risque-t-elle pas de brouiller aux yeux des familles l'image des professionnels perçus alors comme des informateurs du juge ? S'exprimer uniquement en termes de droits de l'enfant ne fait-il pas régresser la notion de protection ? Que faire quand la parole de l'enfant semble contraire à son intérêt ? Ne doit-on pas craindre une conflictualisation, une inflation des contentieux ?Comment gérer cette injonction à l'indépendance juridique de l'enfant vis-à-vis de ses parents avec l'appel récurrent, y compris par la justice, à la responsabilité des parents ? On le voit les craintes sont nombreuses. Et à celles des professionnels se joint la voix de certains magistrats, comme Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris. « Si le contradictoire s'installe de manière pure et dure sur le mode du conflit, nous allons vers la fin de l'assistance éducative et les affaires passeront en droit commun. C'est par ce biais à nouveau la question de la double compétence du juge des enfants qui est posée ainsi que celle de notre capacité de résistance à la pression européenne et mondiale à plus de répression », avertit le juge, néanmoins partisan convaincu de la présence des avocats « dès le premier entretien chez le juge des enfants ».

A l'instar d'Hervé Hamon, beaucoup pensent en effet que l'ensemble de la procédure et du travail éducatif ont énormément à gagner avec la présence d'un conseil auprès de l'enfant, si elle est bien pensée. « Les avocats sont des alliés pour dire et redire la primauté de la réponse éducative, pour apporter des réponses plus élaborées que la maison d'arrêt. Ils contribuent à la construction du débat au sein d'une audience qui ressemble à quelque chose et ils peuvent aussi faciliter la mise en exécution de la décision du juge », estime Michel Allaix. Seuls pour l'instant à avoir accès au dossier dans le cadre de l'assistance éducative, ils aident à l'expression de la parole du mineur. Mais aussi - notamment en l'absence de celle-ci dans le cas des très jeunes enfants -, ils jouent un rôle important en s'assurant du respect des procédures et de la prise des garanties nécessaires lors d'un placement par exemple. Un rôle non négligeable de garde-fou dans un domaine où subsistent encore des zones de non droit et de trop nombreux dénis de la règle : séparation de fratries lors des placements, jugements non ou insuffisamment motivés, placements provisoires anormalement prolongés, notamment les ordonnances de placement parquet, ou encore interprétation abusive par certains juges des enfants de l'article 1187 du nouveau code de procédure civile pour refuser la consultation du dossier par le conseil s'il n'y a pas d'audience...

Une place trop rare auprès des mineurs délinquants

Présents auprès des enfants victimes, les avocats ont un peu plus de difficultés à l'être auprès des mineurs délinquants dès le stade de la garde à vue. Et ils s'interrogent sur leur place encore rare au sein des mesures de réparation ou de médiation mises en place pour les primo-délinquants. D'autant, soulignent certains membres du barreau, que ces mesures peuvent être considérées comme une zone d'infra- droit, parfois confiées aux nouveaux  « délégués du procureur ». En la matière, les pratiques demeurent variées : à Bordeaux, le procureur a tranché en faveur de la présence des avocats lors des rappels à la loi ou des mesures de réparation mises en œuvre par des services associatifs, alors qu'ils ne le sont pas à Paris. C'est aussi, ici, la question de l'accès des mineurs à leurs droits et à l'avocat qui est posée. « Cet accès à la justice et au soutien d'un avocat est essentiel quand on sait que c'est le point de départ, la condition qui rend possible la thérapie », insiste Liliane Daligand, pédo-psychiatre et membre de « Mercredi j'en parle à mon avocat », permanence juridique pour mineurs qui fonctionne à Lyon depuis 1990 avec des avocats et des psychiatres.

Autant de missions de défense et d'assistance qui sont sous-tendues par une pratique spécifique et ne s'envisagent pas en dehors de cadres professionnels, déontologiques et techniques bien définis, s'accordent à penser les acteurs de la justice pour mineurs. Tous rappellent la première exigence, celle d'une formation spécialisée en droit des mineurs « et ce d'autant plus que notre formation initiale en ce domaine est plus que légère », souligne maître Isabelle Desmoulin, présidente du Centre de recherche, d'information et de consultation sur les droits de l'Enfant  (CRIC). En outre, une connaissance du secteur social, d'éléments de psychologie de l'enfant et de méthodologie ne paraît pas superflue. En effet, les entretiens qui échouent avec un enfant soudain mutique, les enfants « manipulés » porteurs de la parole d'un adulte, et les fausses allégations, font partie du quotidien des avocats d'enfants. Lesquels comprennent aisément qu' « on ne recueille pas la parole de l'enfant sans formation spécialisée », estime Liliane Daligand. Reste à gérer le positionnement vis-à-vis des parents : tâche délicate et parfois complexe. Il semble pourtant qu'un aspect central de la légitimité et de la crédibilité de la profession réside bien dans sa capacité à adopter des principes très clairs en ce domaine :pouvoir entendre l'enfant seul, ne jamais être à la fois son avocat et celui des parents, de l'administrateur ad hoc ou encore de l'aide sociale à l'enfance. Enfin respecter strictement la règle du secret professionnel face aux parents.

Quelle indépendance financière ?

« Mais si l'on veut que la parole de l'enfant s'exprime, l'indépendance financière de son avocat doit être garantie, c'est-à-dire prise en charge par l'Etat de droit », précise Michel Allaix. Or loin du monde des avocats d'affaires, les avocats d'enfants vivent quasi exclusivement des aides juridictionnelles. Et ils ont pu se plaindre à juste titre des montants souvent dérisoires et de la lenteur des délais de versement de ces dernières, contraignant les professionnels au militantisme. Aujourd'hui, si le mouvement de grève des avocats, mené à la fin de l'année dernière, a permis la revalorisation des indemnisations, « celle-ci ne touche pas tous les secteurs et ne résout pas le problème de leurs rémunérations », estime maître Isabelle Desmoulin (4). Dans ces conditions, seule la remise à plat de l'aide juridictionnelle promise par Marylise Lebranchu, à la suite des propositions que devrait présenter Paul Bouchet en avril, serait de nature à garantir le respect des droits de l'enfant. « Attention cependant à ne pas en avoir une vision uniquement procédurale et à ne pas pratiquer un forçage systématique de la jurisprudence par la Convention internationale des droits de l'Enfant alors même que les droits substantiels de ce dernier sont mal établis », avertit Jean Hauser, professeur à la faculté de droit de Bordeaux. Lequel veut en finir avec des droits éparpillés, mal assurés et sans cohérence, et prône un véritable droit des mineurs. Valérie Larmignat

À BORDEAUX, LE CRIC RASSEMBLE LES AVOCATS D'ENFANTS

Créé en juin 1989 par le barreau de Bordeaux, choisi comme barreau pilote pour « impulser une défense de qualité des mineurs et participer à la mise en œuvre de [...] la Convention internationale des droits de l'Enfant  », le Centre de recherche, d'information et de consultation sur les droits de l'Enfant (CRIC)   (5) fonctionne comme un service de défense des mineurs. Il est animé, sous la responsabilité du bâtonnier de l'ordre des avocats, par 63 avocats. Chacun d'entre eux, en signant une convention avec l'ordre, s'est engagé à suivre une formation initiale et continue sur l'enfant et ses droits. De son côté, le bâtonnier s'engage à désigner les avocats du CRIC pour toute intervention devant les juridictions des mineurs. Les avocats du CRIC assurent donc la défense et l'assistance des mineurs en justice qu'ils soient délinquants ou victimes. En matière de défense pénale, ils interviennent sur désignation d'office dès la garde à vue grâce à un mode de permanence pénale avec la disposition d'un téléphone portable. En outre, depuis 1999, un système de désignation intitulé  « un mineur, un avocat » permet de solliciter en priorité l'avocat précédemment intervenu auprès du mineur et qui assure ainsi toutes les procédures le concernant y compris dans le domaine de l'assistance éducative. Autres missions : la défense des enfants victimes en cas de constitution de partie civile et l'intervention de plus en plus fréquente en matière d'assistance éducative (en 1999, le CRIC a reçu 25 demandes de désignation d'office de la part de juges des enfants). Enfin, outre les missions de formation de ses membres et d'information sur les droits de l'Enfant dans les établissements scolaires notamment, le CRIC offre des consultations gratuites, le mercredi sur rendez-vous, et tient des permanences (6) , destinées aux mineurs et aux jeunes majeurs.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2177 du 25-08-00 et ce numéro.

(2)  Les 6 et 7 octobre 2000, lors des  « assises nationales des avocats d'enfants », organisées par la Conférence des bâtonniers, le barreau de Bordeaux, le Centre régional de formation professionnelle des avocats de Bordeaux et le CRIC.

(3)  Rappelons que l'article 1186 du nouveau code de procédure civile rend possible, mais non obligatoire, la présence d'un conseil en assistance éducative.

(4)  Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.

(5)  CRIC : 18/20, rue du Maréchal-Joffre - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 44 73 84.

(6)  Liste des permanences et rendez-vous au 05 56 44 20 76.

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