Recevoir la newsletter

La crise de légitimité

Article réservé aux abonnés

Contestée dans son positionnement, son efficacité et ses procédures, l'assistance éducative semble disqualifiée. Convaincus de sa pertinence et de sa qualité, ses partisans appellent néanmoins à des réformes de fond.

« Y a-t-il encore une foi dans l'acte éducatif ? » Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris est inquiet : l'assistance éducative issue de l'ordonnance du 2 février 1945 - notamment l'action éducative en milieu ouvert (AEMO)  - telle qu'elle est organisée par les textes de 1958 et 1970, est « bousculée », « contestée », voire jugée « obsolète » par certains.

De fait, la France fait figure d'exception européenne en matière de protection de l'enfance et de justice des mineurs. Et cet été, le rapport des inspecteurs Pierre Naves et Bruno Cathala consacré aux « accueils provisoires et placements d'enfants » a posé très clairement la question de l'efficacité des mesures d'AEMO au regard de leur coût (1). Mais il semble bien, comme l'ont encore montré les journées d'études de la Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l'enfance (FN3s)   (2), que la crise soit plus profonde. S'il n'est pas question d'abandonner l'ordonnance de 1945, le temps est bien à une remise en cause et une « refondation » de l'assistance éducative, en particulier en milieu ouvert.

AEMO : la relégation ?

Alors que les textes n'ont fait l'objet que de légers toilettages, l'environnement a changé, comme le rappelle Claire Neirinck, professeur de droit à l'université de Toulouse. En premier lieu, les cadres politiques et territoriaux ont été bouleversés, sans que les acteurs - élus et techniciens - n'en aient vraiment mesuré ni maîtrisé les conséquences. Ainsi, la décentralisation, en confiant la protection administrative des mineurs aux conseils généraux et en laissant le reste à la justice, a provoqué un éclatement des politiques alors que l'ordonnance de 1945 insistait justement sur la cohérence de la réponse éducative tant pour les enfants victimes que pour les mineurs délinquants. Résultat : l'absence de politique cohérente de protection de l'enfance, dans la majorité des départements, tant en matière de signalements, d'orientations, que de mesures éducatives.

Parallèlement, la montée des discours sécuritaires dans les années 80 et l'émergence des politiques de la ville sont venues se greffer sur « un essoufflement de la culture éducative », selon l'expression d'Hervé Hamon. La délinquance d'exclusion que l'on découvrait alors a mis au jour les limites de la mesure d'AEMO. « Depuis les ZEP jusqu'aux contrats locaux de sécurité, la politique de la ville s'est bien construite sur la disqualification du travail social individuel, en rupture avec l'approche clinique privilégiée par ce dernier », souligne le président du tribunal pour enfants de Paris. Ayant perdu ses lettres de noblesse, l'AEMO n'est toujours pas parvenue à s'inscrire dans la politique de la ville et à trouver sa place dans le traitement de phénomènes liés aux nouveaux usages des territoires et des identités familiales et locales. Un échec qu'il ne faudrait pas seulement imputer à une sorte d'inertie technique des travailleurs sociaux. L'absence notable des départements dans la politique de la ville, soulignée par tous les bilans et évaluations, y a aussi largement contribué. Nul doute, à cet égard, que l'AEMO aura encore à relever le défi de l'intervention ciblée sur les groupes et les territoires.

La réponse éducative désavouée ?

Par ailleurs, comment comprendre ce que le sociologue Jacques Faget nomme «  la pénalisation des réponses  » autrement que comme le désaveu, au moins partiel, de la réponse éducative à la délinquance des mineurs ?La généralisation du temps réel, le glissement de prérogatives vers le parquet et le développement des mesures de réparation et de médiation témoignent en effet d'une préférence pour le temps court, le règlement rapide, visible et en quelque sorte magique... bien loin du temps long du travail éducatif. Avec en toile de fond de cette évolution, deux tendances. La première vise peu à peu à sortir les délinquants du lot et donc du champ de l'assistance éducative, en leur proposant des réponses spécifiques - plutôt d'ailleurs du registre de la répression - au mépris même de l'esprit de l'ordonnance de 1945. Quant à la seconde, elle s'attache à raccourcir les mesures d'AEMO « en se satisfaisant de la stabilisation d'une situation et de la seule disparition des symptômes de danger pour l'enfant », selon les termes utilisés par certains éducateurs.

La crise de légitimité ne fait donc aucun doute. Pour autant les mesures d'AEMO sont loin d'être reléguées au placard des outils inusités. L'explosion des signalements et la judiciarisation de la protection de l'enfance ont engorgé les cabinets des juges comme les services éducatifs dont les listes d'attentes ont gonflé. Phénomène provoquant à son tour, d'après Hervé Hamon, « une disqualification implicite supplémentaire de l'assistance éducative jugée incapable de répondre ».

Mais la réaction des partisans de l'assistance éducative ne se limite pas à une levée de boucliers contre toutes ces « agressions extérieures ». Même si le ton inquiet et volontiers défensif de nombreux professionnels pourrait le laisser entendre. Car les remises en cause les plus fondamentales semblent bien venir de leurs propres rangs. Et ils sont les premiers à reconnaître que « la dame » a pris quelques rides, notamment au regard du droit.

La procédure, reconnaissent-ils, n'est plus adaptée. Organisée autour du « bon juge », seul garant du respect du contradictoire, elle ne lui a laissé en fait que peu de place. L'accès des familles à leur dossier, autorisé en théorie, n'est en fait que rarement possible. Car, en dépit d'initiatives locales (3), l'avocat est encore trop souvent absent des procédures. Quant à la possibilité d'appel, elle est en quelque sorte virtuelle, la mesure ayant souvent été exécutée avant même que la juridiction compétente puisse traiter le recours. Bon nombre de professionnels se rejoignent donc sur l'idée défendue par Claire Neirinck « d'imaginer de nouvelles procédures et des contre-pouvoirs au juge des enfants ». De même, la plupart estiment nécessaire que le juge motive ses décisions et adhèrent au souci du groupe de travail piloté par Jean-Pierre Deschamp, président du tribunal pour enfants de Marseille, de permettre l'accès direct des familles à leur dossier dès le début de la procédure  (voir encadré). Reste que si ces démarches peuvent relégitimer l'assistance éducative, elles s'annoncent complexes et non sans risques. Risques, si l'on n'y prend garde, de rendre l'accès au dossier trop brutal. Ou de verser dans une justice par trop procédurière... Alors, « quel équilibre trouver entre les droits et l'efficacité des pratiques éducatives ? », s'interroge Jacques Faget.

Clarifier les textes sur l'autorité parentale

Mais une réforme des procédures ne saurait suffire. En fait, avancent de concert Claire Neirinck et plusieurs juges des enfants, les mesures d'assistance éducative (placement et milieu ouvert) doivent reprendre leur place au sein d'une clarification juridique des textes concernant l'autorité parentale. Autrement dit, il s'agit de faire cesser « un contrôle qui ne dit pas son nom » et de réduire le fossé qui s'est creusé entre la réalité des mesures - de fait attentatoire à l'autorité parentale - et le droit. Ici, le psychanalyste Serge Lesourd rejoint le juriste en rappelant qu' « un des non-dits fondamentaux de la mesure éducative réside bien dans la substitution de valeurs d'un idéal éducatif ». Bref, résume Claire Neirinck, « il faut que le droit et le juge disent clairement ce qu'ils retirent et ce qu'ils laissent aux parents », faute de quoi l'assistance éducative ne peut fonctionner correctement.

Le nœud de la réforme de fond à entreprendre semble bien là : autour d'une autre approche des fonctions parentales et de l'exercice de la parentalité. C'est ce que défend Hervé Hamon qui plaide pour « une réflexion sur l'économie des mesures éducatives, entre placement et milieu ouvert, qui soit fondée sur un nouveau découpage juridique de l'autorité parentale ». Une réforme du droit que Claire Neirinck appelle également de ses vœux, étonnée d'ailleurs que le rapport Dekeuwer-Défossez (4), soit resté quasi muet sur l'assistance éducative. Les expériences et les inventions de dispositifs qui cherchent à lancer des passerelles entre le placement et l'AEMO (AEMO renforcée, placements à la carte, accueil de jour, internat partiel) trouveraient ainsi un fondement légal et viendraient élargir la palette de solutions proposées aux familles en difficulté. Au-delà du changement juridique, le défi est aussi culturel comme le laisse entendre Jean Lavoué, directeur d'un service d'AEMO à Lorient et administrateur du Cnaemo. Pour celui-ci, les services doivent effectuer « un déplacement » et passer de la suppléance et du conseil à « une pédagogie de la relation parentale ».

Toutes ces pistes de sortie de crise risquent cependant d'en rester aux incantations si la volonté politique et les moyens ne suivent pas. Or, «  jusqu'à présent, les députés se sont saisis de la question de l'exclusion ou encore de celle du handicap, mais pas de la question éducative  », déplore Bruno Cathala. Quant aux élus locaux, ils peinent encore à s'emparer du social et de l'éducatif, oscillant entre les deux caricatures de « l'élu qui n'y connaît rien » et de l'élu  (le même parfois) « super assistante sociale ». Dans ce contexte, peut-on espérer la généralisation de schémas départementaux conjoints (conseil général/justice) de protection de l'enfance, porteurs d'un minimum de régulation et de cohérence locale ? Enfin, la justice des mineurs et les services éducatifs qu'elle mandate pourront-ils encore longtemps gérer l'engorgement actuel ? S'il s'agit sûrement d'organiser et de réguler autrement la saisine des juges, il faut aussi augmenter les moyens dévolus aux tribunaux pour enfants. Une recommandation qui figurait en bonne place dans le rapport remis le 20 novembre dernier au président de la République,  par la défenseure des enfants, Claire Brisset (5). C'est aussi, rappelait-elle, une question de « crédibilité ».

Valérie Larmignat

COMMENT COMMUNIQUER LES DOSSIERS AUX FAMILLES ?

En mai 2000, le ministère de la Justice a installé un groupe de travail, sous la direction de Jean-Pierre Deschamps, président du tribunal pour enfants de Marseille, afin de réfléchir à la communication des dossiers et au droit des familles dans le cadre de l'assistance éducative (6) . Attendues vers la fin janvier, ses conclusions visent notamment à modifier le code de procédure civile. Le groupe de travail estime ainsi nécessaire que, lors de la saisine du juge des enfants, le père et la mère soient entendus dans un délai raisonnable. Et que le droit à un avocat leur soit précisé. De même, il souhaite rendre impératif, après la saisine, une audience dans les six mois. Et autoriser l'accès à leur dossier des familles qui le souhaitent, de façon aménagée et avec des restrictions motivées.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2177 du 25-08-00.

(2)  Organisées du 22 au 24 novembre 2000 à Angers sur le thème : « L'assistance éducative dans tous ses états »  - FN3s : 36, route de l'Ormeau - 86180 Bruxerolles - Tél. 05 49 38 38 00.

(3)  Voir ce numéro.

(4)  Voir ASH n° 2133 du 17-09-99.

(5)  Voir ASH n° 2190 du 24-11-00.

(6)  Composé de magistrats, juristes, représentants de conseils généraux, des familles, des professionnels de la PJJ et de services spécialisés - Voir ASH n° 2191 du 1-12-00.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur