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L'action sociale dans l'impasse

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Malgré un arsenal de mesures et de dispositifs, le nombre d'exclus du droit au logement continue d'augmenter. L'action sociale associative est devenue incontournable. Ce qui interroge l'effectivité d'un droit pour tous reconnu par la loi.

Au cours de la décennie écoulée, la loi Besson, puis le volet logement de la loi contre les exclusions, la récente loi de solidarité et de renouvellement urbains et, enfin, la réforme en cours des aides au logement ont permis de développer tout un arsenal juridique, censé faciliter l'accès des personnes les plus défavorisées à un logement ordinaire. Et pourtant, les obstacles persistent. Avec le recul, les associations spécialisées s'interrogent sur l'évolution des politiques sociales concernant le logement et sur leur propre contribution à leurs dérives (1).

Au début des années 90, avec l'adoption de la loi Besson, il ne s'agissait pas de développer un habitat spécifique, mais de procurer un logement ordinaire à la fraction la plus défavorisée de la population. Or, en dix ans, la distorsion entre l'offre et la demande, liée à l'augmentation de la précarité, a suscité des réponses spécifiques, à la charnière du social et du logement, « comme si ce dernier était impuissant à tenir à la fois une logique d'égalité et de performance », observe la sociologue Elisabeth Maurel. Cette distorsion s'est accompagnée d'une pénurie de l'offre de logement social, malgré les efforts déployés par l'Etat. Non seulement la précarisation des ménages à faibles ressources les contraint à rester dans un parc qui devrait favoriser les entrées et les sorties, mais, en outre, la construction de logements sociaux est en panne depuis plusieurs années. Ainsi, en 1999, selon la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), sur 10 000 logements très sociaux inscrits au budget, moins de la moitié ont été réellement construits. Il faut dire qu'au niveau local, les communes n'ont pas toujours joué le jeu de la mixité sociale, de même que certains organismes HLM, soucieux de préserver un certain équilibre entre les populations accueillies. Pour preuve : il aura fallu la récente loi de solidarité et de renouvellement urbains pour imposer aux villes un quota de 20 % de HLM sur leur territoire (2). Dans le même temps, « la stigmatisation des quartiers a avivé les craintes de ceux pour qui logement social égale ghettoïsation », relève Alix de la Bretesche, présidente de la FNARS. Ce qui conduit un nombre non négligeable de familles à refuser des logements situés dans des quartiers dégradés.

« Lorsque nous demandons des logements sociaux, on nous répond de plus en plus souvent “logement adapté”. Pourquoi ? Est-il plus facile de construire 10 000 places de résidences sociales que 10 000 logements de droit commun ? » Une remarque qui explique à elle seule l'opacité des frontières entre politiques du logement et politiques sociales.

Face à l'insuffisance de l'offre, les associations doivent-elles, au nom d'une certaine conception de leur utilité sociale, se substituer à des maîtres d'ouvrage défaillants et si oui, jusqu'où ? « Nous n'avons pas choisi de faire de l'immobilier, répond clairement Yves Baise, président de la commission logement de la FNARS Nord-Pas-de-Calais. La production de logements n'est pas notre métier. » Pas question non plus de dédouaner ainsi les opérateurs du logement de leurs responsabilités en leur donnant bonne conscience. Bon gré mal gré, le plus souvent par défaut, certains acteurs associatifs se sont lancés, en faisant, par exemple, de la médiation entre populations et bailleurs privés, comme le Graal, de l'auto-réhabilitation de logements adaptés, comme Actif 36 à Châteauroux, ou bien encore en s'investissant dans le programme d'insertion globale IGLOO, qui lie accès au logement et emploi (3). Les logements produits semblent correspondre aux besoins de ces publics, mais l'offre reste très limitée. De plus, dégage-t-on vraiment, au bout du compte, des solutions pour permettre aux publics concernés d'accéder au patrimoine classique ?

L'inflation de substituts au logement ordinaire

A observer, ces dernières années, la multiplication et la balkanisation des formules intermédiaires de « logement ou d'hébergement temporaire et d'urgence » (centres d'hébergement et de réinsertion sociale, résidence sociale, hôtel social, sous-location, bail glissant..), ainsi que des filières pour y accéder, la diversité des statuts des bénéficiaires (résidents, locataires...), on peut en douter. Le développement des programmes gouvernementaux pour l'hébergement d'urgence entre 1993 et 1995 ont aussi contribué à créer, par défaut, des substituts au logement ordinaire et à brouiller les lignes de démarcation entre les logiques d'action sociale et du logement. Tel est l'un des effets pervers de ce type de mesures, pourtant réclamées par le secteur associatif, lorsqu'elles s'inscrivent dans un système grippé qui reste palliatif et repose en réalité sur une discrimination positive sans accès certain au droit commun. C'est, par exemple, toute l'ambiguïté d'une aide spécifique comme l'allocation de logement temporaire  (ALT) pour les organismes qui accueillent à titre temporaire des personnes défavorisées (4). Car si elle répond à des situations dramatiques, elle peut, en même temps, masquer le déficit de l'offre de logement.

La construction de ces maillons supplémentaires qui s'entrecroisent, à la frontière de l'hébergement et du logement, traduit « une segmentation de l'offre et une fragilisation du droit », analyse Elisabeth Maurel. Ce logement très social ne correspond pas à un produit ou à un habitat spécifique, tout en relevant à la fois du parc social et d'une extension du parc classique. Mais il présente au moins deux caractéristiques particulières : le logement est toujours associé à des services (recherche de logement ordinaire, aide à l'insertion, etc.) et, surtout, il fait l'objet d'un accompagnement social. La présence d'un tiers entre le bailleur et le locataire ou le résident signe, selon la sociologue, une extension des modes sociaux de prise en charge des publics défavorisés.

Tout se passe en effet comme si on glissait vers une logique de parcours obligé, allant de l'hébergement d'urgence au logement temporaire puis d'insertion, pour aboutir au logement ordinaire, assortie d'une prescription sociale incontournable. D'où les états d'âme de nombre d'associations, interpellées par les exigences supplémentaires que ce système en boucle fait peser sur des populations déjà démunies. Si ces formes d'accueil sont utiles, voire parfois indispensables pour des personnes qui ont besoin d'une étape intermédiaire avant d'accéder à un logement autonome, on risque, si on les érige en système, de cautionner un sous-droit par notre action sociale, s'inquiète-t-on à la FNARS.

Le brouillage des repères concerne aussi les publics, la loi Besson n'en donnant pas de définition normative. Compte tenu de la dégradation de la situation de nombreux ménages, les frontières, là encore, sont devenues floues entre les populations à bas revenus et celles qui cumulent précarité, problèmes sociaux et psychologiques. L'accompagnement social est ainsi devenu le passeport de l'accès au logement, quel que soit le public. Et un argument de poids à l'égard des bailleurs que cette garantie sécurise et qui n'hésitent pas à jouer la surenchère. Considéré comme « une assurance tous risques » contre les comportements des locataires, le suivi social conditionne quasi systématiquement l'attribution du logement. « On n'en a pas à proposer, alors en attendant, on offre un accompagnement. De toute façon, sans cela, la famille n'obtiendra rien », constate, amère, une assistante sociale de Limoges.

Au travers de ces modalités d'accompagnement, se sont constituées des catégories inédites de populations tenues pour « inaptes, temporairement ou définitivement inaptes » à vivre en logement autonome, estime Elisabeth Maurel. Ce qui fait peser sur elles une présomption d'incapacité. Et leur désigne une place assignée, qui peut, selon les points de vue, confiner à une sorte de contrôle social revisité. Les intervenants sociaux sont ainsi parfois suspectés par les financeurs et les pouvoirs publics de pratiques assistantielles, lorsqu'ils effectuent un accompagnement dont ils ont d'ailleurs du mal à définir les contours en termes de contenu, de durée et d'évaluation.

Une nouvelle forme d'assistance ?

L'accompagnement s'exerce le plus souvent sur un mode contractuel en exigeant de l'occupant, dans le cas du bail glissant par exemple, une sorte de solvabilisation sociale via son contrat de relogement. « Ce n'est pas l'éthique associative qui est interrogée mais la logique du système », juge Elisabeth Maurel. Ce qui pose la question de savoir comment le droit au logement peut s'accommoder de cet accompagnement, à la valeur juridique incertaine. Difficile néanmoins pour les intervenants sociaux de ne pas succomber à une interrogation éthique fort légitime. Si l'accompagnement social est indispensable pour un certain nombre de publics très en difficulté, l'imposer ne devrait pas l'être. De quelle liberté, sinon virtuelle, dispose en réalité l'usager dans le choix de son logement ou de son hébergement ?

On peut également s'interroger sur un système qui conduit à l'éclatement des dispositifs, à la fragilité et au saupoudrage des financements et dont la pertinence des outils peut être débattue. Dans les structures qui pratiquent différentes formes d'hébergement et de logement, « on a souvent un type de public pour un équipement », note Agnès El Majeri, chargée de mission à la FNARS. Mais ce chaînage se justifie-t-il ? Est-il vraiment opérationnel ?

« Le lien entre hébergement et logement est extrêmement complexe, avance Patrick Doutreligne, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, qui défend un droit au logement distinct de l'hébergement. Si on les assimile, on affaiblit le droit au logement. Jusqu'à présent, le secteur de l'hébergement a raisonné en termes de structures et de financement, sur la logique du monde du logement. C'est une erreur ; il faut partir du public, de ses objectifs et de ses choix, même s'ils sont parfois tronqués. Après seulement, on essaie de tirer les ficelles financières et d'adapter les structures. » D'où la proposition du Haut Comité (5) de différencier trois secteurs : l'hébergement d'urgence dont la fonction est humanitaire et où la protection prédomine ; un secteur dont l'objectif à court terme est l'insertion (CHRS, foyers de jeunes travailleurs, résidences sociales, etc.)  ; un troisième, enfin, dont la mission serait d'accueillir dans la durée des personnes plus gravement désocialisées ou déstructurées, telles les pensions de famille (6). Et Patrick Doutreligne d'attirer l'attention sur le mythe que peut représenter le logement ordinaire pour des personnes qui n'y sont pas prêtes, et ne le seront peut-être jamais.

Paradoxalement, l'embellie économique ne rassure pas le secteur associatif qui craint au contraire, dans l'avenir, le renchérissement du coût du foncier et l'accroissement des disparités. « L'augmentation des moyens financiers ne suffira pas, pronostique l'économiste Francis Calcoen, directeur de recherche au CNRS. Ce qui laisse pendante la question de l'insertion. »

Accueillie avec intérêt par Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement et l'Union des HLM, la proposition de la FNARS de créer un système assurantiel, sur le modèle de la couverture maladie universelle, devrait permettre à la fois d'aider au maintien dans le logement, d'accompagner la recherche d'un toit définitif et, le cas échéant, de fournir un logement de transition. A-t-elle seulement des chances de voir le jour ?

Dominique Lallemand

Notes

(1)  A l'occasion des journées d'étude « Droit au logement et action sociale », organisées les 23 et 24 novembre 2000 à Lille par la FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.

(2)  Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.

(3)  Voir ASH n° 2135 du 1-10-99.

(4)  Voir ASH n° 2193 du 15-12-00.

(5)  Dans son rapport annuel - Voir ASH n° 2189 du 17-11-00.

(6)  Voir ASH n° 2191 du 1-12-00.

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