Recevoir la newsletter

Ecouter la souffrance dès la petite enfance

Article réservé aux abonnés

Le centre d'action médico-sociale précoce de Toulon se met à la disposition de structures municipales de la petite enfance pour sensibiliser les professionnels aux possibles souffrances des 0-3 ans. Objectif ? Proposer à temps aux parents une prise en charge appropriée.

Au jardin d'enfants de La Garde, près de Toulon, un petit garçon de 2 ans et demi avait du mal à quitter sa mère qui entretenait avec lui une relation fusionnelle. Deux mois ont été nécessaires pour travailler la séparation. De fait, l'enfant présentait des difficultés de coordination, un comportement d'opposition et un retard de langage. Aussi, la directrice du jardin d'enfants a-t-elle proposé à sa mère l'intervention de la psychologue du centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) de Toulon (1). Sentant un réel intérêt à l'égard de son enfant, cette femme - qui apparaît, par ailleurs, fragile et dépressive et dont le discours occulte le père - acceptera de la rencontrer au jardin d'enfants au cours d'entretiens sur une période de six mois. Quant à son fils, il sera suivi sur place, deux fois par semaine, par une éducatrice. Grâce à une dérogation, il restera une année supplémentaire au jardin d'enfants.

Ainsi, la mère va-t-elle, peu à peu, pouvoir accepter que son enfant fasse l'objet d'une prise en charge globale par le CAMSP de Toulon. Avec des effets positifs, comme le constate son directeur, Jean-Claude Castan, pédopsychiatre : « On a pu observer une reprise des progrès psychomoteurs et de langage de l'enfant, une réduction de ses troubles du caractère, puis une intégration profitable en milieu scolaire maternel. Alors qu'il n'est pas interdit de penser qu'une absence de travail préventif aurait amené cet enfant et sa famille à une première consultation seulement à partir du prévisible refus d'admission en maternelle. »

Eviter les signalements tardifs

Tout un réseau de compétences s'est ainsi mobilisé autour de l'enfant et de ses parents pour essayer de réduire la dépression maternelle et reconstruire un minimum d'autorité paternelle. En retrait jusque-là, le père a peu à peu accepté de participer avec la mère au groupe de parents co-animé au CAMSP par le pédopsychiatre et la psychologue.

Ce partenariat en faveur d'une prévention auprès des moins de 3 ans part d'un constat : la grande majorité des enfants présentant des troubles graves de la personnalité ne parviennent à leur première consultation spécialisée qu'à l'âge du dépistage à l'école maternelle. D'où l'intérêt de travailler de concert avec les professionnels intervenant en amont.

La commune de La Garde - une petite ville de 25 000 habitants proche du CAMSP toulonnais - a d'emblée été favorable au projet. Elle compte 570 enfants, de 0 à 3 ans, dont plus de la moitié sont suivis par les cinq structures municipales d'accueil : deux haltes-garderies, un jardin d'enfants et deux crèches, une familiale et une collective. En 1996, une convention signée entre la municipalité et le centre permet la création d'une antenne de prévention en amont de la maternelle. L'équipe d'origine comprend un pédopsychiatre qui intervient en consultation, à la demande, directement dans les structures ou au CAMSP de Toulon. Il est épaulé par une psychologue qui visite régulièrement chaque établissement.

Fin 1998, l'équipe s'agrandit d'une psychomotricienne et d'une infirmière psychiatrique. La municipalité met à disposition un bureau de consultation et un local de psychomotricité contigus à une salle d'attente. La structure est implantée à La Garde, sur le site du centre municipal de l'enfance où l'on trouve la protection maternelle et infantile, la crèche familiale, une halte-garderie et le jardin d'enfants.

Une présence rassurante

La psychomotricienne se rend une fois par semaine dans les deux haltes-garderies et la crèche collective. En participant à l'accueil, au goûter, aux jeux, elle observe les enfants. Elle peut effectuer des tests et des prises en charge individuelles. Elle anime ou co-anime des activités favorisant l'élaboration progressive du schéma corporel chez les petits. Rassurante, car elle parle du corps, la psychomotricienne a été bien accueillie par les familles. Mais ce fut plus difficile pour l'infirmière psychiatrique qui est intervenue au jardin d'enfants et dans une des deux haltes-garderies. Au début, les parents n'appréciaient pas qu'elle les aborde directement. Aussi a-t-elle travaillé par la suite avec le personnel sur les troubles du sommeil et l'hygiène alimentaire et joué un rôle d'étayage pour repérer et verbaliser les difficultés des enfants. Sa fonction s'oriente désormais vers la prévention dans le champ de la néonatologie.

« La psychologue aussi fait peur », remarque Florence Pelé, insistant sur la prudence et le temps nécessaires pour que s'instaure une relation de confiance avec les intervenantes d'accueil, et par conséquent, avec les parents. Ne pas se précipiter ni dramatiser, éviter l'étiquetage trop hâtif des problèmes que peut présenter un enfant, s'interdire le jargon ; les erreurs à éviter sont nombreuses. Aussi, la psychologue a-t-elle mis au point une stratégie visant à créer, dans chaque structure, des groupes de réflexion avec les professionnels sur leur pratique.

A la crèche familiale - qui rassemble quelque 70 enfants accueillis au domicile d'une quarantaine d'assistantes maternelles - l'arrivée de la psychologue a d'abord provoqué de fortes réticences. Mais, « les assistantes maternelles ont vite réalisé que la psychologue n'était pas là pour les juger, qu'elle pouvait tout entendre », affirme Anne Mattéoli, directrice de la crèche. Aujourd'hui, plus de la moitié d'entre elles fréquente les groupes de parole qui leur permettent de réfléchir sur les conduites à adopter.

« La difficulté du personnel à mettre des mots sur les problèmes rencontrés s'est estompée au fil du temps, observe Florence Pelé. De même que la demande de réponses miracles visant à faire disparaître le symptôme. Mon but est que l'on parle du développement de l'enfant dès qu'il inspire de l'inquiétude. Mais certains personnels restent encore piégés par leur trop grande relation affective avec les parents auxquels ils craignent de faire de la peine. » Et quand ils osent une tentative, ils se heurtent souvent à une attitude de déni ou de banalisation : « Mon enfant n'est pas malade, ça lui passera en grandissant. »

Parler la souffrance de l'enfant

Il n'est pas question de contraindre les parents à s'entretenir avec la psychologue ou à consulter le pédopsychiatre, mais de les amener progressivement à s'interroger sur la souffrance de leur enfant en abordant les situations où elle se manifeste par un trouble du comportement : pertes d'appétit, pleurs, insomnies, troubles de santé à répétition, colère, agitation... Au jardin d'enfants, une petite fille a refusé pendant longtemps d'aller à la selle. Les parents ne voyaient là qu'un problème intestinal. Il a fallu un an pour les convaincre de voir la psychologue.

Le regard extérieur et l'appui apporté par la psychologue à la halte-garderie des Cistes sont également fortement appréciés. Cette structure accueille une centaine d'enfants, par groupe de 20, pour des plages horaires de deux heures. Passer à la halte est pour le tout-petit la première occasion de se séparer du milieu familial. C'est pourquoi le rôle des accueillantes est bien plus qu'un simple gardiennage. « Si quelque chose nous interpelle, explique la responsable, Marie-France Rémy, on peut en parler à la psychologue. On se sent épaulé, même si aucune prise en charge ne s'avère nécessaire. » Dans ce cas, la directrice est tenue au courant de l'évolution de l'enfant grâce aux réunions de synthèse avec l'équipe du centre d'action médico-sociale précoce. Il n'en est pas de même avec l'école, en aval, dont elle regrette le manque d'intérêt pour « le travail préparatoire » réalisé à la halte. Une situation qui devrait évoluer grâce à des rencontres organisées entre la psychologue du CAMSP et la psychologue scolaire.

Lors des trois premières années de fonctionnement de l'antenne, 77 enfants ont vu leur cas évoqué devant la psychologue et 23 dossiers de prise en charge ont été ouverts, soit environ 10 % de l'effectif accueilli. Evidemment, il ne s'agit pas pour le CAMSP de rechercher une clientèle à tout prix mais d'offrir « une aide à mieux vivre », une « bienveillante observation », ou ce que Jean-Claude Castan appelle une « prévenance » qui passe d'abord par les accueillants : « Chaque professionnel du CAMSP a eu à s'inventer une place, à peaufiner son rôle préventif au contact des enfants, des personnels, des parents. » Pour quels résultats ? S'il y a eu des échecs, fuite ou refus agressif de parents, les effets restent difficilement mesurables. Comment quantifier la diminution de l'incidence d'un symptôme, la désinhibition d'une personnalité, l'apaisement de conflits familiaux ?

Donner un temps de parole aux personnels

L'appréciation même des troubles infantiles diffère d'ailleurs d'une responsable de structure à l'autre. Avec le changement de direction de la crèche collective, des problèmes de comportement, auparavant estimés comme préoccupants, sont aujourd'hui jugés dérangeants mais « normaux ». Une évolution qui remet en cause la nature de la coopération avec le CAMSP et que son directeur regarde finalement comme « un salutaire exercice d'assouplissement psychologique ».

En tout état de cause, ces trois ans d'expérience avec les structures de la petite enfance ont mis en évidence l'importance de la procédure d'agrément des assistantes maternelles dont la capacité d'écoute des enfants est primordiale. De même, apparaît-il indispensable de prévoir un temps régulier de parole pour le personnel de chaque structure. Enfin, autre retombée de l'initiative, le CAMSP envisage d'aménager,  dans l'un des établissements, un accueil spécialisé pour les très jeunes ayant des problèmes neuropsychiatriques.

Françoise Gailliard

PRÉVENIR... AVEC QUELS MOTS ?

« Jusqu'où peut-on aider les gens sans prendre leur place ? » s'interroge Jean-Pierre Visier, pédopsychiatre (2) . « Dans notre culture, une proposition d'aide est facilement vécue comme une intrusion et renvoie à l'incompétence des personnes aidées. La prévention est un concept très large. Pour les familles, c'est la reconnaissance que nous n'avons pas de prévention à leur égard. Il s'agit d'être modeste, de faire attention à ce qui nous sert de théorie. Nos repères ne servent pas obligatoirement à nos interlocuteurs et peuvent même les égarer. Par exemple, si l'on parle de l'inconscient et que les gens le décodent comme du conscient. De même, il y a des mots qui font naître ou augmentent la culpabilité. Une mère dont l'enfant cancéreux est en danger de mort, se sent coupable : il convient de l'accueillir mais d'accueillir aussi les défenses qu'elle met en place pour ne pas être envahie par cette culpabilité. Si l'on veut entrer en relation avec les parents, il faut se mettre en empathie avec eux, c'est-à-dire “partager” leurs émotions mais en se “dissociant” des réactions liées à ces émotions. »

Notes

(1)  CAMSP : Le « Jean Le Blanc » - 26, rue Jean-Philippe-Rameau - 83000 Toulon - Tél. 04 94 03 32 32.

(2)  Lors de la journée des CAMSP du Sud-Est 2000, le 16 octobre 2000, à la Seyne-sur-Mer, sur le thème : « La prévention, mythe ou réalité ? ».

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur