Trop rares sont les études qui interrogent, longtemps après leur passage dans une institution d'aide sociale, les personnes qui sont sorties durablement de l'exclusion. C'est le principal mérite du rapport de la Fondation Abbé-Pierre pour le relogement des défavorisés, de tenter de cerner comment les boutiques solidarité ont réussi à susciter l'élan vers la réinsertion chez certains de ses usagers. Autre intérêt, plutôt que d'interroger les professionnels, la fondation a donné la parole à neuf anciens exclus qui ont non seulement retrouvé un logement, un emploi et une famille, mais aussi gardé des liens avec les boutiques. Pas de théorie, aucune analyse des rapports entre accueillis et accueillants, donc : des témoignages bruts et des regards sans concession sur certaines structures d'accueil « classiques ».
Si les itinéraires des six hommes et des trois femmes interrogés ne se ressemblent guère et sont tout sauf linéaires, la plupart se recoupent sur un point : ces personnes ont mal vécu leur passage en foyer d'accueil, « à la DDASS » ou en centre d'hébergement. Et elles racontent leur difficulté à supporter les contraintes horaires, les travailleurs sociaux « ayant tendance à juger, classer », les lieux dénués de convivialité. « Dans les centres d'accueil, on ne rentre pas en contact avec les gens, c'est hors de question, les relations sont très rares », regrette l'un des témoins.
En quoi les boutiques solidarité sont-elles différentes des autres structures d'urgence ? « Une certaine légèreté de l'accueil, une spontanéité, [...] le sentiment d'être sur un plan d'égalité avec les accueillants ». « Je venais tous les jours à la boutique chercher un endroit où je pouvais être tranquille, où je pouvais me poser sans qu'on me pose de questions », répondent certains usagers. De fait, lorsque la Fondation Abbé-Pierre lance ces structures en 1991, elle tient à ce qu'elles soient « des lieux non ségrégatifs et respectant l'anonymat ». Aucune inscription, liberté totale de fréquentation, respect du secret, absence de mission éducative. « C'est bien ce fonctionnement sans condition qui semble avoir séduit les personnes interviewées et qui a constitué pour elles un élément très important de leurs parcours d'insertion », analysent les auteurs de l'étude. Ce serait donc ce « vide faisant écho à d'autres vides » (celui du sens de l'existence, du corps « qui finit par rester sourd au plaisir comme à la souffrance » ), souvent évoqués dans les récits, qui provoquerait le fameux « déclic », la naissance du désir d'insertion. Ce lieu ouvert, « où rien n'est proposé sinon d'installer les conditions d'une écoute et donc d'une parole », permet aux personnes fragilisées de s'ouvrir, selon leur propre rythme, à des relations avec les accueillants ou avec d'autres usagers, selon les auteurs. Et surtout, ces rencontres vont souvent de pair avec la reconstruction des liens rompus autrefois avec la famille, les enfants en particulier.
Par définition, cette étude n'évoque que ceux qui s'en sont sortis. Sans en faire, toutefois, de portrait précis. Or, ces témoignages laissent transparaître chez ces personnes une autonomie ou une volonté d'indépendance suffisamment fortes pour pouvoir s'épanouir dans ces structures peu contraignantes. Et l'on devine combien ce fameux « vide » peut être angoissant pour d'autres.
Paule Dandoy
(1) Les boutiques solidarité, du lieu au lien : les anciens, que sont-ils devenus ? - Disp. à la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés : 53, bd Vincent-Auriol - 75013 Paris - Tél. 01 53 82 80 30.