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Le CSTS, future vigie ?

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Dans un rapport examiné le 8 décembre, le Conseil supérieur du travail social préconise la création, en son sein, d'une mission permanente de veille et d'interpellation sur l'éthique et la déontologie en travail social.

Dans les domaines les plus divers, les questions éthiques et déontologiques prennent une importance croissante. Il en va ainsi dans le champ économique avec les débats sur « l'entreprise citoyenne » et plus encore dans celui de la santé avec les questions ouvertes autour des biotechnologies, de l'euthanasie, etc. Le secteur social n'est évidemment pas épargné par ces interrogations. En témoignent les discussions lancées depuis une dizaine d'années (1), les diverses tentatives de codification et les nombreux ouvrages qui paraissent sur le sujet.

Pour clarifier les termes du débat, le Conseil supérieur du travail social  (CSTS) a reçu de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, le 29 septembre 1997, mandat de déterminer si l'exercice du travail social nécessite la définition de règles déontologiques propres aux professionnels du secteur, s'il convient de les formaliser dans un code et s'il faut désigner une instance chargée de répondre aux questions posées par les difficultés d'application. Pour éclairer ces questions, il devait aussi s'interroger sur le « rôle de producteur de norme des travailleurs sociaux et institutions sociales ».

Au terme de ses investigations et auditions, le groupe de travail de 25 membres  (composé de représentants des grandes associations et des syndicats, ainsi que de personnes qualifiées), présidé par Martine Loiseau, directrice du CREAI Midi-Pyrénées et l'une des animatrices de l'association Légalités, a remis un rapport (2) qui a le mérite de faire le point et de conceptualiser la réflexion.

Le document campe d'abord le paysage. Partant de quelques exemples précis de conflits éthiques présents au quotidien dans le travail social, il en esquisse une typologie et définit les différentes notions de valeurs, morale, normes, éthique, déontologie.

L'étude retrace ensuite la montée de la demande de repères depuis les années 80, marquées par la décentralisation, le développement des pratiques contractuelles, l'évolution des normes sociales, bref la perte d'une partie au moins des références spatiales, politiques et culturelles traditionnelles du travail social.

Débattre d'abord dans le collectif de travail

Les rapporteurs décortiquent le foisonnement des tentatives de réponse qui caractérise la période récente. Ils étudient un corpus de 36 textes (codes, chartes, référentiels, manifestes...), émis par des groupes de professionnels, des associations, des collectivités territoriales, en France mais aussi à l'étranger. Ils examinent également les procédures par lesquelles les institutions analysent leurs propres pratiques.

Le « premier niveau » de débat dans l'établissement ou l'association est d'ailleurs jugé très important. Pour la commission, c'est au sein du collectif de travail que la « pertinence des procédures vis-à-vis des finalités de l'action » doit d'abord être vérifiée, que la « cohérence » entre les objectifs et les moyens doit être assurée, que l'efficacité de l'action et son impact sur l'environnement doivent être mesurés, cette responsabilité étant « partagée par les professionnels et l'institution en charge de la mission ». Le rapport appelle ainsi à une «  organisation rigoureuse des procédures de travail  », mais aussi à « l'amélioration in situ des conditions du pluralisme de la parole, de l'expertise » et du débat.

Une enquête menée auprès des centres de formation agréés (avec un taux de réponse relativement faible de 28 %, significatif en soi) fait ressortir les carences de la formation des travailleurs sociaux en matière d'éthique et de déontologie, notamment au niveau V. Pour certains responsables, souligne l'étude, « le terrain de l'éthique apparaît comme miné par l'idéologie et il serait risqué de s'y aventurer ». Le « brouillage des repères théoriques » affaiblit « la légitimité d'une démarche pédagogique ayant l'éthique pour objet ».

En conclusion, le groupe de travail rappelle d'abord quelques « postulats partagés » par ses membres : « La démarche éthique est un des éléments constitutifs des fondements du travail social. La question de la déontologie est une bonne question » qui « traduit la quête d'identité et la demande de repères des travailleurs sociaux [...] mais ne peut toutefois constituer le registre unique de réponses. » [...] « La tension indispensable entre l'engagement d'un sujet singulier et sa soumission aux normes collectivement édictées [...] reste au cœur de la pratique du travail social. »

Des postulats... qui ne vont pas de soi pour tout le monde, regrettent les rapporteurs, qui constatent que « la légitimité » de la réflexion éthique est loin d'être acquise. Certes, l'éthique n'est pas de même nature que le droit : « rien ne permet de l'objectiver comme lui ». Elle ne peut se réduire à un « positionnement par rapport à une échelle de valeurs » qui serait immuable, sans lien avec un contexte social qui les reconnaît comme telles.

Au total, la formalisation de règles professionnelles n'épargnerait à aucun travailleur social « d'avoir à questionner sa pratique et ses actes » par rapport à l'éthique. Mais « toute pratique professionnelle d'intervention sociale s'inscrit dans des normes et des références collectives » qui doivent être débattues « dans un espace politique démocratique ».

A cet égard, l'actuel « foisonnement des productions normatives est une richesse, pas une faiblesse », estime le groupe de travail, qui souhaite que des espaces d'échanges et de réflexion continuent à s'organiser.

Des recommandations à tous les acteurs

Comment ? Le rapport conclut sur une série de propositions, qui se veulent « les plus opérationnelles possibles  » pour l'ensemble des acteurs.

S'adressant aux praticiens de terrain, il recommande d'abord de privilégier le sujet (en « résistant aux logiques de maîtrise de la vie de l'autre » ) et la mission (en « réinterrogeant régulièrement le “comment faire” à la lumière du “pourquoi faire” » ). Il leur demande aussi de préserver « les temps et les espaces nécessaires à la confron- tation et à l'analyse des pratiques » et de revendiquer la prise en compte des « marges de créativité et d'inventivité ».

Insistant sur le rôle de l'encadrement, la commission lui suggère logiquement de « soutenir et de garantir l'existence et la pérennité de lieux et de temps de confrontation et d'élaboration de pratiques ». Il doit également « assurer et assumer la responsabilité des transmissions de valeurs » et de leur traduction dans la pratique, auprès des salariés comme des stagiaires en formation. Enfin, il s'agit pour lui « d'accepter et de favoriser l'imprévu et l'inventivité » dans un cadre et une organisation du travail capables de les accueillir et de les susciter.

De leur côté, les centres de formation sont appelés à intégrer les dimensions éthiques et déontologiques dans toutes les formations de travailleurs sociaux, à enrichir les contenus disciplinaires et les références pour que chaque étudiant puisse repérer les enjeux, à instituer des temps d'analyse des pratiques et à développer l'offre de formation continue sur ces questions.

Le rapport formule aussi des recommandations aux employeurs, invités à « garantir la conformité des pratiques professionnelles et institutionnelles avec l'exercice des libertés [...] et des droits » des usagers ainsi qu'à faciliter concrètement leur participation aux actions qui les concernent. Les employeurs doivent également contribuer à créer les « conditions d'interrogation des pratiques et d'émergence des questions d'éthique », dans les instances internes comme dans les échanges avec l'extérieur et considérer l'élaboration des projets d'établissement, des procédures d´évaluation, des démarches qualité, etc., « comme autant de processus d'explicitation et de réaffirmation des principes et des normes ». Enfin, il faut qu'ils définissent « des exigences de recrutement, des modes d'organisation du travail et des méthodes participatives favorisant la construction de références communes et de compétences collectives ».

Créer une commission d'éthique

Au-delà de ces préconisations, le groupe de travail propose que l'Etat reconnaisse au CSTS une mission permanente qui en ferait « un lieu d'interpellation » capable d'émettre des avis sur la production et la sécurisation de normes en matière d'intervention sociale, « un lieu de veille » sur les problèmes et conflits éthiques, enfin « un lieu de visibilisation » des écrits et des espaces de débat en la matière.

Il est suggéré de déléguer ces fonctions à une commission permanente, ne reflétant pas forcément la composition du CSTS mais recrutée sur des critères de compétences, d'indépendance, de pluridisciplinarité, d'ouverture... Et dont les limites d'action seraient clairement définies : ni « lieu de recours administratif pour les usagers, ni chambre prud'homale pour les conflits salariés-employeurs ». La commission ne se substituerait pas non plus aux possibilités de débats et de traitement à l'intérieur des institutions ou à l'échelon local. Elle appliquerait donc, sans que le mot soit prononcé, ce qu'ailleurs on appelle le principe de « subsidiarité ».

Autant de propositions qui devraient être validées par le prochain CSTS, le 1er février, sachant que le principe de la création d'une commission permanente semble approuvé par tous ses membres.

On le voit, le groupe de travail n'a pas formellement répondu à toutes les questions dans les termes où elles étaient formulées au départ. Sa volonté, explique-t-il, n'est pas de « clore le débat, ni de le maîtriser », mais de permettre le « déploiement d'un dispositif capable d'impulser, de structurer, mutualiser et donner sens aux réponses déjà expérimentées ou en cours d'élaboration ».

« Interrogée sur ses finalités, sur le sens du vivre ensemble », par les contradictions de la société, l'action sociale n'a pas vocation à régler tous les problèmes. Pour le groupe de travail, l'une de ses « responsabilités éthiques [...] réside peut-être dans sa capacité à renvoyer la question à la société tout entière ». Marie-Jo Maerel

MARTINE LOISEAU : « REFONDER DES REPÈRES COMMUNS »

Le groupe de travail que vous présidez ne répond pas favorablement à ceux qui réclament un texte fédérateur rappelant les grands principes du travail social. - Pour nous, ce n'est pas la bonne manière de poser la question, même si le fait qu'elle revienne avec insistance est significatif de la forte demande de repères et de références des travailleurs sociaux. La formalisation dans un code unique ne satisfait pas au nécessaire questionnement de chacun sur sa pratique du travail social. Il ne faudrait pas qu'une formalisation vienne clore les débats ! Pour autant, il n'est pas question de renvoyer le travailleur social seul à ses questions. Il est évident que la pratique professionnelle s'inscrit dans un contexte économique et politique et dans des références collectives. C'est pourquoi nous proposons tout un dispositif, qui englobe les travailleurs sociaux, les employeurs, les centres de formation... et qui doit permettre de refonder des repères communs. Dans ce cas, à partir de quoi la future commission formulera-t-elle ses avis ? - Notre groupe de travail a défini un socle de valeurs communes dans le rapport intermédiaire remis le 22 janvier 1999. Ce texte a été validé, on peut s'y référer (3) . Propos recueillis par M.-J. M.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2188 du 10-11-00, n° 1978 du 7-06-96, n° 1796 du 4-09-92.

(2)  Le rapport Ethique des pratiques sociales et déontologie des travailleurs sociaux sera publié en 2001, aux éditions de l'ENSP.

(3)  Disp. sur Internet : www.social.gouv.fr/htm/ dossiers/indexT.

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